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ESSAI
LIBRE ARBITUE
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ARTHUR SCHOPENHÛUER
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t( Ml 4* Il ne liultlriiilli.
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ESSAI
SUR
LE LIBRE ARBITRE
COCLUMMIEBS. — TTPOG. PACL BRODABD
ESSAI
SUR LE
LIBRE ARBITRE
PAR
ARTHUR SCHOPENHAUER
TRADUIT EN FRANÇAIS POUR LA PREMIÈRE FOIS
La liberté est un mystère.
Malebranche.
DEUXIÈME ÉDITION
> •
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C'«
108, BOULEVARD SAINT- GERMAIN, 108
Ao coin de la ne HsilrfraiUe.
1880
F S"
AVERTISSEMENT
La dissertation dont nous donnons aujour-
d'hui la traduction fut écrite en 1838, à l'occa-
sion d'un concours ouvert par TAcadémie de
Norvège *. Elle fait partie de V Éthique de Scho-
penhauer , qui contient en outre une longue
exposition des principes de sa morale. La der-
nière édition est précédée de deux préfaces, di-
rigées en grande partie contre TAcadémie de
Danemark, qiii n'avait pas couronné cette se-
1 . Voici renoncé de la question mise au concours par
rÂcadémie Royale de Norvège : c Num liherum hominum
arbitrium e sut ipsius conscientiâ demonstrarl potest f »
En français : < Le libre arbitre peut-il être démontré par
le témoignage de la conscience ?» Le prix fut décerné à
la dissertation de Schopenhauer (d Trondhiem, le SO Jan-
vier i839).
MjJ'
VI AVERTISSEMENT
conde dissertation, et avait reproché assez ver-
tement à Tauteur son intempérance de langage
à regard de Fichte et de Hegel. (Plures recen-
tioris œtatis summos philosophos tam indecenter
commemoravit , ut justam et gravem offensionem
habeat.) Nous n'avons pas jugé utile de repro-
duire ces œuvres de polémique ; mais nous ex-
trayons de la seconde préface les lignes suivan-
tes, datées du mois d'août 1860, et qui sont si-
gnificatives :
« J'ai fini par m'ouvrir une voie en dépit *de
la résistance de tous les professeurs de philoso-
phie pendant de longues années conjurés con-
tre moi, et les yeux du public éclairé s'ouvrent
de plus en plus sur le compte des summi philo-
sophi de l'Académie de Danemark. Si, pour quel-
que temps encore peut-être, de malheureux pro-
fesseurs de philosophie qui se sont depuis long-
temps compromis avec eux soutiennent leur
drapeau avec des forces défaillantes, ils sont ce-
pendant bien tombés dans l'estime publique, et
Hegel notamment s'achemine à grands pas vers
le mépris réservé à son nom auprès de la pos-
térité..,. Que nos professeurs de philosophie
AVERTISSEMENT VU
allemands aient considéré le contenu des dis-
sertations que je réimprime ici comme ne mé-
ritant aucuns égards, bien loin qu'elles soient di-
gnes d'un examen sérieux, c'est ce que j'ai déjà
reconnu ailleurs \ et cela va du reste de soi.
Gomment donc de hauts esprits de cette nature
devraient-ils faire attention à ce que de petites
gens comme moi écrivent? De petites gens, sur
lesquels, dans leurs écrits, ils daignent à peine
jeter en passant et de haut en bas un regard de
1. c Le seul talent de ces gens-là (les professeurs de
philosophie), et leur arme unique contre la vérité et le
talent, c'est de se taire, de ne pas desserrer les dents.
Dans aucune de leurs innombrables et inutiles productions
publiées depuis 1841, il n'y a un seul mot consacré à
mon Éthique, quoiqu'elle soit sans contredit ce qui s'est
fait de plus important en morale dans ces soixante der-
nières années... Zitto, Zitto, pour que le public ne s'aper-
çoive de rien, telle est, et telle reste toute leur politique.
La pitoyable peur qu'ils ont de mes écrits n'est que leur
crainte de la vérité. » {Dissertation sur la Quadruple
Racine du Principe de Raison Suffisante, 3» édition, 1875).
Ailleurs, dans le même ouvrage, Schopenhauer s'exprime
avec une confiance dont témoigne déjà l'épigraphe de
l'Éthique : MsyaAvi ^ «AviOcta, xai V7rs/9e<rxuc( . « Le lecteur
qui ne s'intéresse point à la chose peut, s'il le veut,
laisser passer intact à ses petits-fils ce livre, comme tout
le reste de mes écrits. Moi, je m'en soucie peu : car je
ne suis pas là pour une seule génération, mais pour un
grand nombre. » Et plus loin : « Les professeurs de phi-
losophie ne veulent rien apprendre de moi, et ne recon-
naissent point combien de choses j'aurais à leur ensei-
gner : à savoir, tout ce que leurs enfants, petits-enfants
et arrière-petits-enfants apprendront de moi un jour. »
VIII AVERTISSEMENT
mépris et de blâme ! Oui, ce que je produis ne
les regarde pas : qu'ils restent cloîtrés dans leur
libre arbitre et dans leur loi morale.... car ce
sont là, ils le savent bien, des articles de foi. ...
Aussi méritent-ils tous d'être créés d'un seul
coup membres de l'Académie de Danemark. »
3 /
ESSAI
SUB LE
LIBRE ARBITRE
CHAPITRE PREMIER
DÉFINITIONS.
Dans une question aussi importante, aussi sé-
rieuse et aussi difficile , qui rentre en réalité dans
un problème capital de la philosophie moderne et
contemporaine, on conçoit la nécessité d'une exac-
titude minutieuse, et, à cet effet, d*une analyse des
notions fondamentales sur lesquelles roulera la
discussion.
lo qu'entend-on par la liberté?
Le concept de la liberté, à le considérer exacte-
ment, est négatif. Nous ne nous représentons par
6GH0PEMUAUEU 1
2 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
lui que Tabsence de tout empêchement et de tout
obstacle : or, tout obstacle étant une manifestation
de la force , doit répondre à une notion positive.
Le concept de la liberté peut être considéré sous
trois aspects fort différents , d'où trois genres de
libertés correspondant aux diverses manières d'être
que peut affecter l'obstacle : ce sont la liberté
physique, la liberté intellectuelle, et la liberté mo-
rale.
1° La liberté physique consiste dans Tabsence
d'obstacles matériels de toute nature. C'est en ce
sens que Ton dit : un ciel libre (sans nuages), un
horizon ii6re, l'air libre (le grand air), l'électricité
libre y le libre cours d'un fleuve (lorsqu'il n'est
plus entravé par des montagnes ou des écluses),
etc .... ^ Mais le plus souvent, dans notre pensée,
l'idée de la liberté est l'attribut des êtres du règne
animal, dont le caractère particulier est que leurs
mouvements émanent de leur volonté, qu'ils sont,
comme on dit, volontaires^ et on les appelle libres
lorsqu aucun obstacle matériel ne s'oppose à leur
accomplissement. Or,remarquons que ces obstacles
peuvent être d'espèces très- diverses, tandis que la
puissance dont ils empêchent Texercice est tou-
1. Schopenhauer cite encore quelques autres expres-
sions, qui sont de purs germanismes. Ainsi les Allemands
disent une lettre libre, pour signifier une lettre affranchie.
Nous laissons de côté ce qui est intraduisible.
DÉFINITIONS 3
jours identique à elle-même, à savoir la volonté;
c*est par cette raison , et pour plus de simplicité,
que Ton préfère considérer la liberté au point de
vue positif. On entend donc par le mot libre la qua-
lité de tout être qui se meut par sa volonté seule, et
qui n'agit que conformément à elle, — interversion
qui ne change rien d'ailleurs à l'essence de la
notion. Dans cette acception toute physique de la
liberté, on dira donc que les hommes et les ani-
maux sont libres lorsque ni chaînes , ni entraves,
ni infirmité, ni obstacle physique ou matériel d'au-
cune sorte ne s'oppose à leurs actions, mais que
celles-ci, au contraire, s'accomplissent suivant leur
volonté.
Cette acception physique delà liberté, considérée
surtout comme l'attribut du règne animal, en est
l'acception originelle , immédiate, et aussi la plus
usuelle ; or, envisagée à ce point de vue, la liberté
ne saurait être soumise à aucune espèce de doute
ni de controverse, parce que l'expérience de cha-
que instant peut nous en affirmer la réalité. Aussi-
tôt en effet qu'un animal n'agit que par sa volonté
propre, on dit qu'il est libre dans cette acception
du mot, sans tenir aucun compte des autres in-
fluences qui peuvent s'exercer sur sa volonté elle-
même. Car l'idée de la liberté, dans cette signifi-
cation populaire que nous venons de préciser, im-
plique simplement la puissance d'agir, c'est-à-dire
4 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Tabsence d'obstacles physiques capables d'entraver
les actes. C'est en ce sens que Ton dit : l'oiseau
vole librement dans Tair, les bêtes sauvages errent
libres dans les forêts, la nature a créé rhomme
libre, l'homme libre seul est heureux. On dit aussi
qu'un peuple est libre, lorsqu'il n'est gouverné que
par des lois dont il est lui-même l'auteur : car alors
il n'obéit jamais qu'à sa propre volonté. La liberté
politique doit, par conséquent, être rattachée à la
liberté physique.
Mais dès que nous détournons les yeux de cette
liberté physique pour considérer la liberté sous
ses deux autres formes, ce n'est plus avec une
acception populaire du mot, mais avec un concept
tout philosophique que nous avons à faire, et ce
concept, comme on sait, ouvre la voie à de nom-
breuses difficultés. Il faut distinguer en effet, en
dehors de la liberté physique, deux espèces de
libertés tout à fait différentes, à savoir : la liberté
intellectuelle et la liberté morale.
2« La liberté intellectuelle — ce qu'Aristote
entend par to éxou9iov xal àxouffiov xarà Siavoiav (le Vo-
lontaire et le non-volontaire réfléchis) — n'est
prise en considération ici qu'afin de présenter la
liste complète des subdivisions de l'idée de la
liberté : je me permets donc d'en rejeter l'examen
' jusqu'à la fin de ce travail, lorsque le lecteur sera
familiarisé par ce qui précède avec les idées qu'elle
DÉFINITIONS 5
implique, en sorte que je puisse la traiter d'une
façon sommaire. Mais puisqu'elle se rapproche le
plus par sa nature de la liberté physique, il a fallu,
dans cette énumération, lui accorder la seconde
place, comme plus voisine de celle-ci que la liberté
morale.
3® J'aborderai donc tout de suite Texamen de la
troisième espèce de liberté, la liberté morale^ qui
constitue à proprement parler le libre arbitre, sur
lequel roule la question de l'Académie Royale.
Cette notion se rattache par un côté à celle de
la liberté physique, et c'est ce lien qui existe entre
elles qui rend compte de la naissance de cette der-
nière idée, dérivée de la première, à laquelle elle
est nécessairement très-postérieure. La liberté
physique, comme il a été dit^ ne se rapporte qu'aux
obstacles matériels, et l'absence de ces obstacles
suffit immédiatement pour la constituer. Mais
bientôt on observa, en maintes circonstances,
qu'un homme, sans être empêché par des obs-
tacles matériels, était détourné d'une action à la-
quelle sa volonté se serait certainement déter-
minée en tout autre cas, par de simples motifs,
comme par exemple des menaces, des promesses,
la perspective de dangers à courir, etc. On se de-
manda donc si un homme soumis à une telle in-
fluence était encore libre, ou si véritablement un
motif contraire d'une force suffisante pouvait.
6 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
aussi bien qu'un obstacle physique, rendre impos-
sible une action conforme à sa volonté. La réponse
à une pareille question ne pouvait pas offrir de
difficulté au sens commun : il était clair que jamais
un motif ne saurait agir comme une force phy-
sique, car tandis qu'une force physique, supposée
assez grande, peut facilement surmonter d'une
manière irrésistible la force corporelle deThomme,
un motif, au contraire, n'est jamais irrésistible en
lui-même, et ne saurait être doué d'une force ab-
solue ^ On conçoit, en effet, qu'il soit toujours pos-
sible de le contrebalancer par un motif opposé
plus fort, pourvu qu'un pareil motif soit dispo-
nible, et que l'individu en question puisse être dé-
terminé par lui. Pour preuve, ne voyons-nous pas
que le plus puissant de tous les motifs dans l'ordre
naturel, l'amour inné de la vie, paraît dans cer-
tains cas inférieur à d'autres, comme cela a lieu
dans le suicide, ainsi que dans les exemples de
dévouements, de sacrifices, ou d'attachements
inébranlables à des opinions, etc. ; — réciproque-
ment, l'expérience nous apprend que les tortures
les plus raffinées et les plus intenses ont parfois
été surmontées par cette seule pensée, que la con-
servation de la vie était à ce prix. Mais quand
même il serait démontré ainsi que les motifs ne
1. Unhedingt, inconditionnée»
DÉFINITIONS 7
portent avec eux aucune contrainte objective et
absolue , on pourrait cependant leur attribuer une
influence subjective et relative, exercée sur la per-
sonne en question : ce qui finalement reviendrait
au même ^ Par suite, le problème suivant restait
toujours à résoudre : La volonté elle-même est-
elle libre ? — Donc la notion de la liberté, qu'on
n'avait conçue jusqu'alors qu'au point de vue de
la puissance d'agir, se trouvait maintenant en-
visagée au point de la vue de la puissance de
vouloir^ et un nouveau problème se présentait : le
vouloir lui-même est-il libre*? — La définition
populaire de la liberté (physique) peut-elle em-
brasser en même temps cette seconde face de la
question ? C'est ce qu'un examen attentif ne nous
permet point d'admettre. Car, d'après cette pre-
mière définition, le mot libre signifie simplement
« conforme à la volonté » : dès lors, demander si la
volonté elle-même est libre, c'est demander si la
volonté est conforme à la volonté , ce qui va de
soi, mais ne résout rien. Le concept empirique
de la liberté nous autorise à dire : a Je suis libre,
si je peux faire ce que je veux ; mais ces mots
a ce que je veux » présupposent déjà l'existence
de la liberté morale. Or c'est précisément la liberté
du vouloir qui est maintenant en question, et il
1, C'estrà-dire, supprimerait partiellement la liberté.
8 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
•faudrait en conséquence que le problème se posât
comme il suit: « Peux-tu aussi vouloir ce que
tu i^euxPn — ce qui ferait présumer que toute voli-
tion dépendît encore d'une volilion antécédente.
Admettons que Ton répondit par raffirmative à
cette question : aussitôt il s'en présenterait une
autre : a Peux tu aussi vouloir ce que tu veux vou-
loir? » et l'on irait ainsi indéfiniment en remontant
toujours la série des volitions, et en considérant
chacune d'elles comme dépendante d'une volition
antérieure et placée plus haut, sans jamais parvenir
sur cette voie à une volition primitive, susceptible
d'être considérée comme exempte de toute relation
et de toute dépendance. Si, d'autre part, la nécessité
de trouver un point fixe * nous faisait admettre une
pareille volition, nous pourrions, avec autant de
raison, choisir pour volition libre et inconditionnée
la première de la série, que celle même dont il
B'agit, ce qui ramènerait la question à cette autre
fort simple : a Peux-tu vouloir? t> Suffit-il de ré-
pondre affirmativement pour trancher le problème
du libre arbitre? Mais c'est là précisément ce qui
est en question, et ce qui reste indécis. Il est donc
impossible d'établir une connexion directe entre
le concept originel et empirique de la liberté ,
1. C'est ràvayxii 9T«|yot(. Kant et Schopenhauer ont con-
sidéré celte première volilion libre comme extemporelle»
— V. le dernier chapitre.
DÉFINITIONS 9
qui ne se rapporte qu'à la puissance d'agir, et le
concept du libre arbitre, qui se rapporte unique-
ment à la puissance de vouloir. C'est pourquoi il a
fallu, afin de pouvoir néanmoins étendre à la vo-
lonté le concept général de la liberté, lui faire subir
une modification qui le rendit plus abstrait. Ce but
fut atteint, en faisant consister la liberté dans la
simple absence de toute force nécessitante. Par
ce moyen , cette notion conserve le caractère né-
gatif que je lui ai reconnu dès le commencement.
Ce qu'il faut donc étudier sans plus de retard,
c'est le concept de la Nécessité, entant que concept
positif indispensable pour établir la signification
du concept négatif de la liberté.
Qu*enlend-on par nécessaire ? La définition or-
dinaire : « On appelle nécessaire ce dont le con-
traire est impossible, ou ce qui ne peut être autre-
ment, » est une simple explication de mots, une
périphrase de l'expression à définir, qui n'aug-
mente en rien nos connaissances à son sujet. En
voici, selon moi, la sçule définition véritable et
complète : « On entend par nécessaire tout ce qui
résulte d'une raison suffisante donnée », définition
qui, comme toute définition juste, peut aussi être
•
retournée. Or, selon que cette raison suffisante ap-
partient à l'ordre logique, à l'ordre mathématique,
ou à l'ordre physique (en ce cas elle prend le nom de
cause), la nécessité est dite logique (ex. : la conclu-
1.
10 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sion d'un syllogisme, étant données les prémisses),
— mathématique (l'égalité des côtés d'un triangle
quand les angles sont égaux entre eux); ou bien
physique et réelle (comme Tapparition de Teffet,
aussitôt qu'intervient la cause) : mais, de quelque
ordre de faits qu'il s'agisse, la nécessité de la con-
séquence est toujours absolue, lorsque la raison
suffisante en est donnée. Ce n'est qu'autant que
nous concevons une chose comme la conséquence
d'une raison déterminée, que nous en reconnais-
sons la nécessité; et inversement, aussitôt que
nous reconnaissons qu'une chose découle à titre
d'effet d'une raison suffisante connue, nous conce-
vons qu'elle est nécessaire : car toutes les raisons
sont nécessitantes. Cette explication est si adéquate
et si complète, que les deux notions de nécessité
et de conséquence d'une raison donnée sont des
notions réciproques (convertibles), c'est-à-dire
qu'elles peuvent être substituées Tune à l'autre.
D'après ce qui précède, la non-nécessité (contin-
^ gence) équivaudrait à l'absence d'une raison suffi-
' santé déterminée. On peut cependant concevoir
l'idée de la contingence comme opposée à celle
de la nécessité : mais il n'y a là qu'une difficulté
apparente ^. Car toute contingence n'est que
1 . Schopenhauer se fait cette objection : Si Tidée de la
nofi'nécessité est absurde et impensable, comment se
DÉFINITIONS il
relative. Dans le monde réel, en effet, qai peut
seul nous donner Tidée du hasard, chaque é?éne-
ment est nécessaire , par rapport à sa cause ;
mais il peut être contingent par rapport à tous les
autres objets, entre lesquels et lui peuvent se pro-
duire des coïncidences fortuites dans Fespace el
dans le temps. Il faudrait donc que la liberté, dont
le caractère essentiel est Tabsence de toute néces-
sitation, fût l'indépendance absolue à Tégard de
toute cause, c'est-à-dire la contingence et le hasard
absolus 1. Or c'est là un concept souverainement
problématique, qui peut-être ne saurait même pas
être clairement pensé, et qui cependant, chose
étrange à dire, se réduit identiquement à celai de
la liberté. Quoi qu*il en soit, le mot libre signifie
ce qui n'est nécessaire sous aucun rapport^ c'est-
à-dire ce qui est indépendant de toute raison su£g-
fait-il que nous concevions celle de la contingence 7 U
explique fort bien que les notions de cootingeoœ (non-
solidarité entre les séries de causes), et de hasard absolu
(absence de cause; ne sont pas identiques, et que la seconde
seule est absurde.
1. Sur l'identité du hasard absolu et de la fatalité > voir
le beau travail de M. Fouillée, Liberté et Déterminisme y
chap. I. — Le hasard, entendu dans toute la rigueur du
terme, ne peut être ni perçu, ni même conçu. In mundo
non est casus, est une affirmation du sens commun, qui
n'est qu'une expression un peu différente de celle du
principe de causalité. Mais dans le langage vulgaire, la
notion du hasard répond simplement à celle c de l'indé-
pendance ou de la non- solidarité entre les diverses séries
de causes. » (M. Gournot.) Cf. Stuart-Mill, Logique^ et
P. Janet, Causes finales, p. 21-27.
12 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
santé. Si un pareil attribut pouvait convenir à la
volonté humaine, cela voudrait dire qu'une vo-
lonté individuelle, dans ses manifestations exté-
rieures, n'est pas déterminée par des motifs, ni par
des raisons d'aucune sorte, puisque autrement —
la conséquence résultant d*une raison donnée, de
quelque espèce qu'elle soit, intervenant toujours
avec une nécessité absolue — ses actes ne seraient
plus libres, mais nécessités. Tel était le fondement
de la pensée de Kant, lorsqu'il définissait la liberté,
« le pouvoir de commencer de soi-même une série
de modifications. » Car ces mots c de soi-même, »
ramenés à leur vraie signification, veulent dire
c sans cause antécédente, >» ce qui est identique à
G sans nécessité. » De sorte que cette définition, bien
qu'elle semble en apparence présenter le concept
de la liberté comme un concept positif, permet à
une observation plus attentive d'en mettre de nou-
veau en évidence la nature négative.
Une volonté libre, avons-nous dit, serait une vo-
lonté qui ne serait déterminée par aucune raison,
c'est-à-dire par rien^ puisque toute chose qui en
détermine une autre est une raison ou une cause ^ ;
une volonté, dont les manifestations individuelles
4. Schopenhauer a distingué nettement la raison et la
cause dans sa Dissertation sur le Quadruple Principe, etc.
P. 7-22. Elles diffèrent comme le principe de raison suf-
fisante diffère du principe de causalité. (V. Fouillée,
PhU. de Platon, t. II, p. 4G81.
DÉFINITIONS i3
(volitions), jailliraient au hasard et sans sollicitation
aucune, indépendamment de toute liaison causale
et de toutei règle logique. En présence d'une pa-
reille notion, la clarté même de la pensée nous fait
défaut, parce que le principe de raison suffisante,
qui, sous tous les aspects qu'il revêt, est la forme
essentielle de notre entendement, doit être répu-
dié ici, si nous voulons nous élever à Tidée de
la liberté absolue. Toutefois il ne manque pas
d'un terme technique (terminus technicus ad
hoc) pour désigner cette notion si obscure et si
difficile à concevoir : on l'appelle liberté d'indiffé-
rence ^ (liberum arbitrium indifferentise). D'ail-
leurs, de cet ensemble d'idées qui constituent le
libre arbitre, celle-ci est la seule qui soit du moins
clairement définie et bien déterminée ; aussi ne
1. L*expression de liberté d'indilTérence a dans la langue
philosophique moderne deux sens qu'il faut distinguer. Le
premier répond à la doctrine (généralement abandonnée
aujourd'hui) qui refuse aux motifs toute influence quelle
qu'elle soit sur les déterminations d'une volonté parfaite :
appliquée à la volonté divine par Duns Scot, elle a con-
duit à la théorie fameuse du décret absoiu (Crusius), com-
battue par Malebranche malgré Tautorité de Descartes.
Le second désigne cette prétendue liberté, sur laquelle ont
tant insisté Reid et ses successeurs, grâce à laquelle nous
nous déterminons actuellement, sans motifs , entre deux
termes équipoUents. Quoique Descartes n'ait vu en elle
que le gradun infimus libertatis, le spiritualisme s'en est
servi longtemps pour combattre les déterministes; mais
les faits sdlégués sont, au contraire, tout à Tavantage de
ces derniers. Voyez sur ce point un des plus beaux cha-
pitres de l'ouvr. cit. de M. Fouillée, p. 74-100.
14 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
peut- on la perdre de vue, sans tomber dans des
explications embarrassées, vagues, nuageuses,
derrière lesquelles cherche à se dissimuler une
timide insuffisance, — comme lorsqu'on parle de
raisons n'entraînant pas nécessairement leurs con-
séquences 1. Toute conséquence découlant d'une
raison est nécessaire, et toute nécessité est la con-
séquence d'une raison. L'hypothèse d'une pareille
liberté d'indifférence entraîne immédiatement l'af-
firmation suivante, qui est caractéristique, et doit
par conséquent être considérée comme la marque
distinctive et l'indice de cette idée : à savoir qu'un
homme, placé dans des circonstances données, et
complètement déterminées par rapport à lui, peut,
en vertu de cette liberté d'indifférence, agir de
deux façons diamétralement opposées.
2» QU'ENTEND- ON PAR LA CONSCIENCE?
Réponse : la perception (directe et immédiate)
du moi, par opposition à la perception des objets
extérieurs, qui est l'objet de la faculté dite percep-
tion extérieure. Cette dernière faculté , avant
1. C'est le cas de ceux qui répondent aux déterministes
t que les motifs éclairent la volonté, mais qu'ils ne la
déterminent pas, » ou bien, avec Reid : « qu'ils ne nous
déterminent pas, mais nous déterminent seulement à
nous déterminer. » Comme si ce n'était pas déjà, objecte
M. Fouillée, leur reconnaître une force déterminaotel
DÉFINITIONS 15^
même que les objets extérieurs viennent se pré-
senter à elle, contient certaines formes nécessaires
[à priori] de la connaissance,. qui sont par suite
autant de conditions de l'existence objective ^ des
choses, c'est-à-dire de leur existence pour nous
en tant qu'objets extérieurs : telles sont, comme
on sait, le temps, l'espace, la causalité. Or, quoique
ces formes de la perception extérieure résident en
noies, elles n'ont pourtant pas d'autre but que de
nous permettre de prendre connaissance des objets
extérieurs en tant que tels, et dans une relation
constante avec ces formes; aussi n'avons-nous pas
à les considérer comme appartenant au domaine
de la conscience, mais bien plutôt comme de sim-
ples conditions de la possibilité de toute connais-
sance des objets extérieurs, c'est-à-dire de la
perception objective.
En outre , je ne me laisserai pas abuser par le
double sens du mot conscientia 2 employé dans
l'énoncé de la question, et je me garderai de con-
fondre avec la conscience proprement dite l'en-
semble des instincts moraux de l'homme, désigné
sous le nom de conscience morale ou de raison
1. N'est-ce pas plutôt subjective qu'il faudrait dire ? Je
n'ai pas osé changer le texte.
2. En français et en latin, la confusion est possible, et
l'on sait combien eUe est fréquente. En allemand, on a
les deux mots Gewissen et Bewustseyrif et en anglais
conscience et consciousness, qui permettent d'éviter toute
équivoque.
16 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
pratique, avec les impératifs catégoriques queKant
(ui attribue ; et cela, d'une part, parce que ces ins-
tincts ne commencent à se développer dans l'homme
qu'à la suite de l'expérience et de la réflexion, c'est-
à-dire à la suite de la perception extérieure ; d'autre
part, parce que dans ces instincts mêmes la ligne
de démarcation entre ce qui appartient originaire-
ment et en propre à la nature humaine, et ce que
Véducation morale et religieuse y ajoute, a*est pas
encore tracée d'une façon nette et indiscutable.
D'ailleurs il n'entre certainement pas dans Tinten
tion de l'Académie de voir détourner artificiellement
la question sur le terrain de la morale par une
confusion de la conscience morale avec la cons-
cience psychologique, et d'entendre renouveler
aujourd'hui la preuve morale, ou bien plutôt le
postulat de Eant, démontrant la liberté par le sen-
timent à priori de la loi morale, au moyen du fa-
meux argument (enthymème) : a Tu peux^ parce
que tu dois. »
Il ressort de ce qui vient d'être dit que la par-
tie la plus considérable de notre faculté cognitive
en général n'est pas constituée par la conscience,
mais par la connaissance du non-moi, ou per-
ception extérieure. Cette faculté est dirigée avec
toutes ses forces vers le dehors, et est le théâtre
(on peut môme dire, à un point de vue plus élevé,
la condition), des objets du monde extérieur, dont
DÉFINITIONS i7
elle commence tout d'abord par recevoir les im-
pressions avec une passivité apparente ; mais bien-
tôt réunissant pour ainsi dire les connaissances
acquises par cette voie, elle les élabore et les
transforme en notions, qui, en se combinant indé-
finiment avec le secours des mots^ constituent la
pensée * . Ce qui nous resterait donc, après déduc-
tion de cette partie de beaucoup la plus considé-
rable de notre faculté cognitive , ce serait la con-
science psychologique. Nous concevons, dès lors,
que la richesse de cette dernière faculté ne saurait
être bien grande : aussi, si c'est la conscience qui
doit véritablement renfermer les données néces-
saires à la démonstration du libre arbitre, nous
avons le droit d'espérer qu'elles ne nous échappe-
ront pas. Ou a aussi émis l'hypothèse d'un sens
intérieur \ servant d'organe à la conscience, mais
il faut le prendre plutôt au sens figuré qu'au sens
réel, parce que les connaissances que la conscience
nous fournit sont immédiates, et non médiates
comme celles des sens. Quoi qu'il en soit , notre
1. Dans cette assertion fort contestable, on reconnaît
l'influence de Técole française du xvm« siècle, que Scho*
penhauer avait étudiée de fort près.
2. « n se trouve déjà mentionné dans Cicéron, sous le
nom de tcu:tu8 interior (Acad» Quœst. Vf, 1), Plus explici-
tement encore dans Saint- Augustin {de Lib, Arb., II, 3 et
sq,), puis dans Descartes {Princ, Phil, IV, 190) ; il est
décrit avec tous les développements désirables par
Lx>cke« « {Note de Schopenhauer).
18 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
prochaine question s'énonce ainsi : Quel est le cort"
tenu de la conscience? ou bien : Gomment et sous
quelle forme le moi que nous sommes se révèle-
t-il immédiatement à lui-même? — Réponse : En
tant que le moi d'un être voulant i. Chacun de
nous, en effet, pour peu qu'il observe sa propre
conscience , ne tardera pas à s'apercevoir que
l'objet de cette faculté est invariablement la vo-
lonté de sa personne; et par là il ne faut pas seu-
lement entendre les volitions qui passent aussitôt
à l'acte, ou les résolutions formelles qui se tra-
duisent par des faits sensibles. Tous ceux en effet
qui savent distinguer, malgré les différences dans
le degré et dans la manière d'être, les caractères
essentiels des choses, ne feront aucune difficulté
pour reconnaître que tout fait psychologique, désir,
souhait, espérance, amour, joie, etc., ainsi que les
sentiments opposés, tels que la haine, la crainte,
la colère, la tristesse, etc., en un mot toutes les
affections et toutes les passions , doivent être
comptées parmi les manifestations de la volonté;
car ce ne sont encore là que des mouvements plus
1 . « Le sentiment immédiat de la force n'est autre que
celui de notre existence môme dont l'activité est insépa-
rable... La cause, ou force actuellement appliquée à mou-
voir le corps, est une force agissante que nous appelons
volonté. Le moi s'identifie complètement avec cette force
agissante. » (Maine de Biran» œuvres inédites, p. 49).
C'est du reste le développement des idées de Leibniz.
(Édit. Janet, t. II, p. 526).
DÉFINITIONS lî>
OU moins forts, tantôt violents et tumultueux ,
tantôt calmes et réglés, de la volonté individuelle,
selon qu'elle est libre ou enchaînée, contente ou
mécontente, et se rapportant t ou-, avec une grande
variété de direction, soit à la possession ou au
manque de Tobjet désiré, soit à la présence ou à
Téloignement de l'objet haï. Ce sont donc bien des
affections multiples de la même volonté, dont la
force active se manifeste dans nos résolutions et
dans nos actes i. On doit même ajouter à la précé-
dente énumération les sentiments du plaisir et de
la douleur : car, malgré la grande diversité sous
laquelle ils nous apparaissent, on peut toujours
les ramener à des affections relatives au désir
i . c II est très-digne de remarque, que déjà Saint-Augus-
tin a parfaitement reconnu ce fait, tandis qu'un grand
nombre de philosophes modernes, avec leur prétendue
faculté de sentir, ne paraissent pas s'en douter. Car dans
la Cité de Dieu (lib. XIV, c. 6), il parle des affections de
Tâme, qu'il a rangées dans le livre précédent en quatre caté-
gories, à savoir : le désir, la crainte, la joie et la tristesse,
et il ajoute : « La volonté est en tous ces mouvements,
ou plutôt tous ces mouvements ne sont que des volontés.
En effet, qu'est-ce que le désir et la joie, qu'une volonté
qui approuve ce que nous voulons? Et qu'est-ce que la
crainte et la tristesse, qu'une volonté qui improuve ce
que nous ne voulons pas o ? {Note de Schopenhauer : Trad,
Fr, de Lombert). Les modernes dont parle l'auteur sont
sans doute les sensualistes qui oublièrent que le carac-
tère essentiel de l'àme est d'être une force en acte, vis
8UÎ motrix. Schopenhauer lui-même aurait dû s'en sou-
venir, lorsque, perdant de vue ce point fondamental de
toute saine psychologie^ il compare l'âme à une balance.
(P. 140.)
^0 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
OU à l'aversion, c'est-à-dire à la volonté prenant
conscience d'elle-même en tant qu'elle est satis-
faite ou non satisfaite, entravée ou libre : bien
plus, cette catégorie comprend même les impres-
sions corporelles, agréables ou douloureuses, et
tous les innombrables intermédiaires qui séparent
ces deux pôles de la sensibilité; puisque ce qui
fait l'essence de toutes ces affections, c'est qu'elles
entrent immédiatement dans le domaine de la
conscience en tant que conformes ou non confor-
mes à la volonté. A y regarder de près, on ne
peut môme prendre immédiatement conscience de
son propre corps qu'en tant qu*il est l'organe de la
volonté agissant vers le dehors, et le siège de la
sensibilité pour des impressions agréables ou dou-
loureuses; or ces impressions elles-mêmes, comme
nous venons de le dire, se ramènent à des affec-
tions immédiates de la volonté, qui lui sont tantôt
conformes et tantôt contraires ^ Du reste, on peut
indifféremment compter ou ne pas compter parmi
les manifestations de la volonté ces sensations
simples du plaisir et de la douleur; il reste en tous
cas que ces mille mouvements de la volonté, ces
alternatives continuelles du vouloir et du non-vou-
loir, qui, dans leur flux et dans leur reflux inces-
l.'Ges idées ont été cent fois exprimées par les phUo-
sophes français depuis Maine de Biran, avec quelle supé-
riorité de langnge, il n'est pas besoin de le dire.
DÉFINITIONS 2r
sants, eonstituent Tunique objet de la conscience,,
ou, si Ton veut, du sens intime, sont dans un rap-
port constant et universellement reconnu avec les
objets extérieurs que la perception nous fait con-
naître. Mais cela, comme il a été dit plus haut^
n'est plus du domaine de la conscience immédiate,
à la limite de laquelle nous sommes donc arrivés,
au point où elle se confond avec la perception
extérieure, dès que nous avons touché au monde
extérieur. Or les objets dont nous prenons connais-
sance au dehors sont la matière même et Tocca-
sion 1 de tous les mouvements et actes de la
volonté. On ne reprochera pas à ces mots de ren-
fermer une pétition de principe : car que notre
volonté ait toujours pour objet des choses exté-
rieures vers lesquelles elle se porte, autour des-
quelles elle gravite, et qui la poussent, au moins
en tant que motifs, vers une détermination quel-
conque, c*est ce que personne ne peut mettre en
doute. Soustrait à cette influence, Thomme ne
conserverait plus qu'une volonté complètement
isolée du monde extérieur, et emprisonnée dans
le sombre intérieur de la conscience individuelle.
La seule chose qui soit encore douteuse à nos yeux,
c'est le degré de nécessité avec lequel les objets
1. II y a dans le mot allemand anlass quelque chose de
plus : la véritable traduction serait cau^e excitatrice*
^2 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
du monde extérieur déterminent les actes de la
volonté.
C'est donc la volonté qui est l'objet principal,
je dirai même l'objet exclusif de la conscience*.
Mais la conscience peut -elle trouver en elleniiême
-et en elle seule des données suffisantes qui permet-
tent d'affirmer la liberté de cette volonté, dans le
sens que nous avons précisé plus haut, le seul d'ail-
leurs qui soitclair et nettement déterminé? C'est
là même le problème vers la solution duquel nous
allons maintenant diriger notre course, après nous
^n être rapprochés dans ce qui précède, en lou-
voyant il est vrai, mais déjà toutefois d'une manière
fiotable.
1 . On sait que dans le système de Schopenhauer, la
volonté est la chose en soi, le noumenon, mais « la per-
ception interne que nous avons de notre propre volonté,
ne peut en aucune fagon nous donner une connaissance
complète, adéquate de la chose en soi. Gela ne pourrait
-être que si la volonté nous était connue immédiatement.
Mais elle a besoin d*un intermédiaire, Tintelligence, qui
suppose elle-même un intermédiaire : le corps, le cer-
veau. La volonté est donc, pour nous, liée aux formes de
la connaissance ; elle est donnée dans la conscience sous
la forme d'une perception et comme telle se scinde en
sujet et en objet, etc. » (M. Ribot, p. 91-98;. Voir, pour
l'exposition des fondements du système de Schopenliauer,
MM. Ribot, La Philosophie de Schopenhauer ; Challemel-
Lacour, Revue des Deux-Mondes du 15 mars 1870; et
Em. Charles, dans le Dictionnaire des sciences philoso-
phiques (nouvelle édition).
CHAPITRE II
LA VOLONTE DEVANT LA CONSCIENCE.
Quand un homme veut, il veut aussi quelque
chose : sa volition a toujours quelque objet vers
lequel elle tend, et ne peut être pensée qu'en rap-
port avec cet objet. Mais que signifie vouloir quel-
que chose? Voici ce que j'entends par là. La voli-
tion, qui en elle-même est seulement Tobjet de la
conscience, se produit sous Tinflueuce de quelque
mobile appartenant au domaine de la connaissance
du non-moi, et qui par conséquent est un objet
de la perception extérieure ; ce mobile, désigné au
point de vue de cette influence sous le nom de
motif, est non- seulement la cause excitatrice^
mais la matière de la volition, parce que celle-ci
est dirigée sur lui, c'est-à-dire qu'elle a pour but
24 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
de le modifier en quelque façon, qu'elle réagit par
conséquent sur lui (à la suite de Timpulsion même
qu'elle en reçoit) : et c'est dans celte réaction que
consiste toute entière la volition ^ Il ressort déjà
de ceci que la volition ne saurait se produire sans
motif; car alors elle manquerait également de
cause et de matière. Seulement on se demande si,
dès que cet objet est présent à notre entendement,
la volition doit ou non se produire nécessaire-
ment; bien plus, si en présence d'un même motit,
il pourrait se produire une volition différente, ou
même diamétralement opposée ; ce qui revient à
mettre en doute si la réaction dont nous avons
parlé peut, dans des circonstances identiques,
se produire ou ne se produire pas, affecter telle
forme ou telle autre, ou mémo deux formes
absolument contraires. En un mot, la volition
est-elle provoquée nécessairement par le motif?
ou faut-il admettre que la volonté , au moment oix
nous prenons conscience du motif, conserve son
entière liberté de vouloir 2 ou de ne pas vou-
1. Le motif est moins la cause efficiente que la cause
finale de l'action. C'est une particularité qui le distingue
de la cause physique, et que Schopenhauer aurait dû
marquer plus nettement. Peut-être qu*en approfondissant
cette différence, on y trouverait un argument contre le
déterminisme.
2. Ce n'est pas la volonté qui veut, mais le moi qui se
déte%*mine. L'expression de Schopenhauer est au moins
impropre. (V. plus bas p. 36.)
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 25-
loir? Ici donc la notion de la liberté , dans le sens
abstrait que la discussion précédente lui a donné
et que j'ai prouvé être le seul acceptable, est enten-
due comme une simple négation de la nécessité, et
notre problème est ainsi clairement posé. Mais c'est
dans la conscience immédiate que nous avons à
chercher les données nécessaires à sa solution, et
nous examinerons jusqu'au bout le témoignage d&
cette faculté avec toute l'exactitude possible, loin
de nous contenter de trancher brutalement le
nœud comme l'a fait Descartes, en émettant, sans
prendre la peine de la justifier, l'affirmation sui-
vante : ic Nous avons une conscience si parfaite de
la liberté d'indifférence qui est en nous, qu'il n'est
rien qui nous soit connu avec plus de lucidité ni-
d'évidence. » (Princ. Phil, 1, § 41. j Leibniz lui-
même a déjà fait ressortir ce qu'il y avait d'insuffi-
sant dans une telle affirmation {Théod. 1, § 50,
et III, § 292) , lui qui, cependant , sur cette ques-
tion, s'est montré comme un frêle roseau cédant à-
tous les vents; car après les déclarations les plus
contradictoires, il aboutit finalement à cette con-
clusion, que la volonté est, il est vrai, inclinée
par les motifs, mais qu'ils ne la nécessitent pas.
D dit en effet : t Toutes les actions sont détermi-
nées, et jamais indifférentes, parce qu'il y a tou-
jours quelque raison inclinante, mais non toutefois
nécessitante, pour qu'elles soient telles plutôt que^
SGHOPfN^AUEIl. 2
16 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
telles. » (Leibniz, De libertate^ Opéra, Ed. Erd-
mann, p. 669.) Ceci me donne Toccasion de faire
observer qu'une pareille voie, cherchant un milieu
entre les deux termes de ralternative posée plus
haut, n'est pas tenable, et qu'on ne peut pas dire,
comme quelques-uns, en se retranchant à plaisir
derrière une indécision hésitante, que les motifs ne
déterminent la volonté qu'en une certaine me-
sure, qu'elle subit leur influence, mais seulement
jusqu'à un certain point, et qu'à un moment donné
elle a le pouvoir de s'y soustraire. Car aussitôt que
nous avons accordé à une force donnée l'attribut de
la causalité, et reconnu par conséquent qu'elle est
une force active, cette force n'a besoin, dans l'hy-
pothèse d'une résistance, que d'un surcroît d'in-
tensité, dans la mesure de cette résistance même,
pour pouvoir achever son effet. Celui qui hésite
encore et ne peut pas être corrompu par l'offre de
10 ducats, le sera assurément si on lui en pro-
pose 400, et ainsi de suite...
Considérons donc maintenant, en vue de la so-
lution que nous cherchons, la conscience immé-
diate entendue dans le sens établi plus haut. Quelle
clef cette faculté peut-elle nous fournir pour la
solution de cette question abstraite, à savoir Tap-
plicabilité, ou la non-applicabilité du concept de
la nécessité à la production de la volition, en pré-
sence d'un motif donné, c'ect-à-dire connu et
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 27
conçu par rentendement ^ ? Nous nous exposerions
à bien des déceptions si nous nous attendions à
tirer de cette conscience des renseignements pré-
cis et détaillés sur la causalité en général, et sur
la motivation en particulier, comme aussi sur le
degré de nécessité qu'elles portent toutes deux
avec elles. Car la conscience, telle qu'elle habite
au fond de tous les hommes, est chose beaucoup
trop simple -et trop bornée, pour pouvoir donner
des explications sur de pareilles questions. Bien
plus, ces notions de causalité et de nécessité sont
puisées dans Tentendement pur qui est tourné
vers le dehors , et ne peuvent être amenées à une
expression philosophique que devant le forum de
la raison réilective. Mais quant à cette conscience
naturelle, simple, je dirais même bornée 3, elle ne
peut même pas concevoir la question, bien loin
qu'elle y puisse répondre. Son témoignage au su-
jet de nos volitions, que chacun peut écouter dans
son propre for intérieur, pourra être exprimé à
peu près commé^il suit, quand on l'aura dépouillé
de tout accessoire inutile et étranger à la ques-
tion, et ramené à son contenu le plus strict : a Je
peux vouloir, et lorsque je voudrai un acte quel-
1. Le texte ajoute : « ou de la possibilité, ou non-pos-
sibilité, de sa non-produclion en pareil cas. »
2. Einfache, ja, einfaeltige. Le mot simple, en français,
peut être pris en deux sens assez diiïérents correspon-
dant chacun à un des termes employés par Schopenhauer.
^8 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
conque, les membres de mon corps qui sont capa-
bles de mouvement (placés dans la sphère du
mouvement volontaire) Taccompliront à l'instant
même, d*une façon tout à fait immanquable. » Cela
veut dire en peu de mots : « Je puis faire ce que
■JE VEUX ! » La déclaration de la conscience immé-
diate n'a pas une plus grande portée, de quelque
manière qu'on puisse la contourner et sous quelque
forme que l'on veuille poser la question. Elle se
réfère donc toujours au « Pouvoir d'agir confor-
mément à la volonté ; » mais n'est-ce pas là cette
idée empirique, originelle et populaire de la li-
berté, telle que nous l'avons établie dès le com-
inencement, d'après laquelle le mot libre veut
dire : a conforme à la volonté? » C'est cette liberté,
et celle-là seule, que la conscience affirmera caté-
-goriquement ^ Mais ce n'est pas celle que nous
cherchons à démontrer. La conscience proclame la
liberté des acies, avec la présupposition de la li-
berté des volitions : mais c'est la liberté des voli-
iions qui a seule été mise en question. Car nous
étudions ici le rapport entre la volonté môme et les
motifs : or sur ce point l'affirmation : « je peux
faire ce que je veux, » ne fournit aucun renseigne-
ment. La dépendance où sont nos actes, c*est-à-
1. La page qu'on vient de lire est d'une extrême impor-
tance : eUe est la base et en même temps le résumé de
toute la première partie de Touvraise.
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 29
dire nos mouvements corporels, relativement à
notre volonté (dépendance qui est affirmée , sans
doute, par la voix de la conscience), est quelque
chose dé tout à fait différent de Tindépendance de
nos volitions par rapport aux circonstances exté-
rieures^ ce qui constituerait véritablement le libre
arbitre ; mais sur Texistence de ce libre arbitre,
la conscience ne peut rien nous apprendre. Cette
question, en effet, est nécessairement en dehors de
sa sphère, parce qu'elle concerne le rapport de
causalité du monde sensible (qui ne nous est
donné que parla perception extérieure), avec nos
résolutions, et que la conscience ne peut évidem-
ment pas porter de jugement sur'le rapport d'une
chose qui est tout à fait en dehors de son domaine,
à une autre, qui lui appartient en propre. Car
aucune puissance cognitive ne peut établir une
relation entre deux termes dont l'un ne saurait lui
être donné d'aucune manière. Or il est bien évi-
dent que les objets de la volonté, qui déterminent
précisément la volition, sont placés, au-delà de
la limite de la perception interne , dans la per-
ception du non- moi; seule, la volition se produit
à l'intérieur, et c'est justement le rapport de cau-
salité qui lie la volition et ces objets du dehors
que Ton cherche à préciser. La volition seule est
du domaine de la conscience, avec son empire
absolu sur les membres du corps, empire dont le
2.
30 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sentiment intime est, à proprement parler, à la
racine de Taffirmation : « Je peux ce que je veux. >
Aussi n'est-ce tout d*abord que Texercice de cet
empire, c'est-à-dire l'acte lui-même, qui imprime
à la volition,aux regards de la conscience, le
sceau d'une manifestation de la volonté. Car aussi
longtemps qu'elle s'élabore peu à peu, elle s'ap-
pelle désir ^ : quand elle est achevée et prête à
passer à l'acte, elle s'appelle résolution : mais
qu'elle soit passée effectivement à l'état de réso-
lution, c'est ce que l'action seule peut démontrer
à la conscience ; car jusqu'à l'action qui la réalise,
elle peut changer. Et ici nous nous trouvons ame-
nés à la source principale de cette illusion, dont
on ne peut guère nier la force 2, en vertu de la-
quelle un esprit naïf, c'est-à-dire sans éducation
philosophique, sMmagine que dans un. cas donné
deux volitions diamétralement opposées lui se-
raient possibles; et, fort de cette conviction, il
s'enorgueillit de Tabondance des lumières que lui
fournit sa conscience, dont il croit de bonne foi
entendre là le témoignage. C'est l'effet de la con-
1. Non pas désir, mais velléité. On verra plus bas les
conséquences de cette confusion.
2. Le positivisme en prend son parti : a La liberté morale
est une réalité psychologique, ou, si l'on veut, anthropo-
logique... Il faut l'analyser comme une nécessité phéno-
ménologique de rintelligence humaine, comme une réaUté
psychologique. » (A. Herzen, Revue philosophique du
1" sept. 1876 Le morceau entier est du plus haut intérêt.)
LA VOLONTÉ DEyANT LA CONSCIENCE 3!
fusion entre le désir et la volonté ' . On peut, en eiïet,
désirer deux choses opposées, on n'en peut vou-
loir qu'une : et pour laquelle des deux s'est dé-
cidée la volonté, c'est ce dont la conscience n'est
instruite qu'à posteriori, par Taccomplissement
de l'acte. Mais relativement à la nécessité ration-
nelle en vertu de laquelle, de deux désirs opposés,
c'est l'un et non pas l'autre qui passe à l'état de
volition et d*acte, la conscience ne peut pas four-
nir d'éclaircissement, précisément parce qu'elle
apprend le résultat (du conflit des motifs) tout-à-
fait à posteriori, et ne saurait d'aucune façon le
connaître à priori. Des désirs opposés, avec les
motifs à leur appui, montent et descendent devant
elle, et se succèdent alternativement comme sur
un théâtre : et pendant qu'elle les considère indivi-
duellement, elle déclare simplement que dès qu'un
désir quelconque sera passé à l'état de volition>
il passera immédiatement après à l'état d'acte.
Car cette dernière possibilité purement subjective
est le privilège commun de tous les désirs {vel--
léités)y et se trouve justement exprimée par ces
1. Cela n*est ni clair, ni exact. La confusion du désir
et de la volonté conduit au contraire au déterminisme.
Y. pour leur distinction, deux admirables pages de Maine
de Biran {Œuvres inédites , t, III, p. 479 et 498). Scho-
penhauer identifie à tort avec les désirs la simple vue
des possibles, tels qu'ils se présentent à notre esprit dans
la délibération, vue qui suscite ce qu'il appelle lui •même
plus bas les velUilés.
32 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
roots : a Je peux faire ce que je veux. » Mais re-
marquons que celte possibilité subjective, est tout
à fait hypothétique, et que le témoignage de la
conscience se réduit à ceci : « Si je veux telle
-chose, je puis Yaccomplir. » Or ce n'est pas là
que se trouve la détermination nécessaire à la
volonté : puisque la conscience ne nous révèle
absolument que la volition^ mais non les motifs
^ui la déterminent, lesquels sont fournis par la
perception extérieure, dirigée vers les objets du
dehors. D'autre part, c'est la possibilité objec-
tive qui détermine les choses : mais cette possibi-
iité réside en dehors du domaine de la conscience,
•dans le monde objectif, auquel le motif et l'homme
lui-même appartiennent. Cette possibilité subjec-
tive dont nous parlions tout à Theure est du même
genre que la puissance que possède le caillou de
donner des étincelles ^ possibilité qui se trouve
<îependant conditionnée par Tacier, où réside la
possibilité objective dé Tétincelle. Dans le chapitre
suivant, j'arriverai à la même conclusion par une
autre voie, en considérant la volonté non plus par
le dedans, comme nous l'avons fait jusqu'ici, mais
par le dehors, et en examinant à ce point de vue
la possibilité objective de la volition : alors la
1 . Dans la langue d'Âristote, les étincelles sont en puis-
sance dans le caillou, et c'est l'acier qui les fait passer à
ïucte»
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 33
question, se trouvant éclairée de deux côtés diiïé-
rents, aura acquis toute sa netteté, et sera encore
fendue plus saisissable par des exemples.
Donc ce sentiment inhérent à notre conscience
a je peux faire ce que je veux » nous accompagne
toujours et partout : mais il affirme simplement ce
fait, que nos résolutions et nos volitions, quoique
ayant leur origine dans les sombres profondeurs
de notre for intérieur, se réaliseront immédiate-
ment dans le monde sensible, puisque notre corps
en fait partie, comme tout le reste des objets.
Cette conscience établit comme un pont entre le
monde extérieur et le monde intérieur , qui sans
elle resteraient séparés par un abîme sans fond;
elle disparue, en effet, il ne resterait dans le pre-
mier, en tant qu'objets, que de simples apparences,
complètement indépendantes de nous dans tous
les sens, et dans le second, que des volitions stériles,
qui demeureraient pour nous à Tétat de simples
sentiments. — Interrogez un homme tout à fait sans
préjugés : voici à peu près en quels termes il s'ex-
primera au sujet de cette conscience immédiate, que
Ton prend si souvent pour garante d'un prétendu
libre arbitre : « Je peux faire ce que je veux. Si je
veux aller à gauche, je vais à gauche : si je veux
aller à droite, je vais à droite. Cela dépend uni-
quement de mon bon vouloir : je suis donc libre. »
Un tel témoignage est certainement juste et véri-
34 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
dique : seulement il présuppose la liberté de la
volonté, et admet implicitement que la décision
est déjèi prise : la liberté de la décision elle-même
ne peut donc nullement être établie par cette affir-
mation. Car il n^y est fait aucune mention de la
dépendance ou de l'indépendance de la volition au
moment où elle se produit, mais seulement des
œnséquences de cet acte, une fois qu'il est ac-
compli, ou, pour parler plus exactement^ de la
nécessité de sa réalisation en tant que mouvement
corporel. C'est le sentiment intime ^ qui est à la
racine de ce témoignage, qui seul fait considérer à
rhomme naïf, c'est-à-dire sans éducation philoso-
phique (ce qui n'empêche pas qu'un tel homme
puisse être un grand savant dans d'autres bran-
ches), que le libre arbitre est un fait d'une certi-
tude immédiate; en conséquence, il le proclame
comme une vérité indubitable, et ne peut même
pas se figurer que les philosophes soient sérieux
quand ils le mettent en doute : au fond du cœur,,
il estime que toutes les discussions qu'on a enga-
gées à ce sujet, ne sont qu'un simple exercice
d escrime auquel se livre gratuitement la dialec-
tique de l'école, — en somme une véritable plai-
1. L'action directe de la volonté sur les membres a été
niée par Hume, malgré le témoignage formel de la cons-
cience, par la raison que nous ne connaissons qu'à poste-
riori quelles sont les parties de notre corps qui se trou-
vent dans la sphère du mouvement volontaire.
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 35
santerie. Pourquoi cela ? C'est que cette certitude
que le sens intime lui fournit (certitude qui a bien
son importance), est constamment présente à son
esprit; et, s'il l'interprète mal, c'est que Thomme
étant avant tout et essentiellement un être pra-
tique, non théorique, acquiert une connaissance
beaucoup plus claire du côté actif de ses volitions,
c'est-à-dire de leurs effets sensibles, que de leur
côté passif, c'est-à-dire de leur dépendance. Aussi
est-il malaisé de faire concevoir à l'homme qui ne
connaît point la philosophie la vraie portée de
notre problème, et de l'amener à comprendre
clairement que la question ne roule pas sur les
conséquences^ mais sur les raisons et les causes
de ses volitions. Certes, il est hors de doute que ses
actes dépendent uniquement de ses volitions; mais
ce que Ton cherche maintenant à savoir, c'est de
quoi dépendent ces volitions elles-mêmes, ou si
peut-être elles seraient tout à fait indépendantes.
Il est vrai qu'il peut faire une chose, quand il la
veut^ et qu'il en ferait tout aussi bien telle autre,
s'il la voulait à son tour : mais qu'il réfléchisse,
et qu'il songe s'il est réellement capable de vouloir
l'une aussi bien que Tautre. Si donc, reprenant
notre interrogatoire, nous posons la question à
notre homme dans ces termes : « Peux-tu vrai-
ment, de deux désirs opposés qui s'élèvent en toi,
donner suite à l'un aussi bien qu'à l'autre? Par
36 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
exemple, si on te donne à choisir entre deux
objets qui s'excluent l'un Tautre, peux-tu préférer
indifféremment le premier ou le second ? i Alors
il répondra : o Peut-être que le choix me paraîtra
difficile : cependant il dépendra toujours de moi
seul de vouloir choisir l'un ou Tautre, et aucune
autre puissance ne pourra m'y obliger : en ce cas
j'ai la pleine liberté de choisir celui que je veux,
et quelque choix que je fasse je n'agirai jamais que
conformément à ma volonté. » J'insiste, et je lui
dis : a Mais ta volonté, de quoi dépend-elle? >
Alors mon interlocuteur répond eh écoutant la
voix de sa conscience : « Ma volonté ne dépend
absolument que de moi seul ! Je peux vouloir ce
que je veux : ce que je veux, c'est moi qui le
veux. » Et il prononce ces dernières paroles, sans
avoir Tintention de faire une tautologie, ni sans
s'appuyer, à cet effet, dans le fond même de sa
conscience, sur le principe d'identité qui seul la
rend possible. Bien plus, si en ce moment on le
pousse à bout, il se mettra à parler d'une volonté
de sa volontés ce qui revient au même que s*H
parlait d'un moi de son moi. Le voilà ramené
pour ainsi dire jusqu'au centre, au noyau de sa
conscience, où il reconnaît l'identité fondamentale
1. Schopcnhauer n'a-t-il pas parlé plus haut d'un»
volonté qui veut? (o. 24.)
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 37
de son moi et de sa volonté S mais où il ne reste
plus rien, avec quoi il puisse les juger Tun et
Vautre. La volition finale qui lui fait rejeter un des
termes entre lesquels s'exergait son choix (étant
donnés son caractère, ainsi que les objets en pré-
sence), était-elle contingente, et aurait-il été pos-
sible que le résultat final de sa délibération fût dif-
férent de ce qu'il a été ? Ou bien faut-il croire que
cette volition était déterminée aussi nécessaire-
ment (par les motifs) , que, dans un triangle, au
plus grand angle doit être opposé le plus grand
côté? Voilà des questions qui dépassent telle-
ment la compétence de la conscience naturelle,
qu on ne peut même pas les lui faire clairement
concevoir. A plus forte raison, n*est-il point vrai
de dire qu'elle porte en elle des réponses toutes
prêtes à ces problèmes, ou même seulement des
solutions à Tétat de germes non développés, et
qu'il suffise pour les obtenir de l'interroger naïve-
ment et de recueillir ses oracles ! — Il est encore
vraisemblable que notre homme, à bout d'argu-
ments, essayera toujours encore d'échapper à la
perplexité qu'entraîne cette question, lorsqu'elle
i. C'est là même una des bases de son système.
« Quand le jour viendra où on lira mes ouvrages, on re-
connaîtra que ma philosophie est semblable à la Thèbes
aux cent portes : on peut y pénétrer par tous les côtés,
et toutes les routes que Ton prend conduisent directe-
ment jusqu'au centre. » (!'• préface de VÉthiquef 4840.)
SCHOPËNHAUER. 3
38 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
est vraiment bien comprise, en se réfugiant k
l'abri de cette même conscience immédiate, et en
répétant k satiété : « Je peux faire ce que jo veux,
et ce que je veux, je le veux. > C'est un expédient
auquel il recourra sans cesse , de sorte qu'il sera
difficile de l'amener à envisager tranquillement la
véritable question, qu'il s'efforce toujours d'esqui-
ver. Et qu'on ne lui en veuille point pour cela :
car elle est vraiment souverainement embarras-
sante. Elle plonge pour ainsi dire une main inves-
tigatrice dans le plus profond de notre être : elle
demande , en dernière analyse , si l'homme aussi ,
comme tout le reste de la création, est ud être
déterminé une fois pour toutes par son essence,
possédant comme tous les autres êtres de la nature
des qualités individuelles fixes , persistantes , qui
déterminent nécessairement ses diverses réactions
en présence des excitations extérieures , — et si
l'ensemble de ces qualités ne constitue pas pour
lui un caractère invariable, de telle sorte que ses
modifications apparentes et extérieures soient en-
lisement soumises k la détermination des motifs
venant du dehors ; — on à l'homme fait seul
exception à cette loi universelle de la naturtf. Mais
si l'on réussit enfin b. fixer solidement sa pensée
r cette question si sérieuse , et h lui faire claire-
ht comprendre que ce que l'on cherche ici
L l'origine même de ses volitions, la règle , s'il
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 39
en est une, ou l'absolue irrégularité (manque de
règle) qui préside à leur formation ; alors on dé-
couvrira en toute évidence que la conscience im-
médiate ne fournit aucun renseignement à ce sujet,
par ce fait que Thomme sans préjugés renoncera
tout à coup à alléguer cette autorité, et témoi-
gnera ouvertement de sa perplexité en s'arrôtant
pour réfléchir, puis en se livrant à des tentatives
d'explication de toute sorte, en s*efforçant par
exemple de tirer des arguments, tantôt de son
expérience personnelle et de ses observations,
tantôt des règles générales de l'entendement; mais
il ne réussira par là qu'à montrer dans le plein
jour de l'évidence, par l'incertitude et Thésitation
de ses explications, que sa conscience immédiate
ne donne aucun éclaircissement sur la question
entendue comme il convient, tandis qu'elle lui en
fournissait précédemment en abondance pour ré-
pondre à la question mal comprise. Cela repose
en dernière analyse sur ce que la volonté de
l'homme n'est autre que son moi proprement dit,
le vrai noyau de son être : c'est elle aussi qui
constitue le fond même de sa conscience, comme
quelque subsiratum immuable et toujours pré-
1. On a dit souvent, à l'appui des théories dynamistes,
que l'impossibilité où nous nous trouvons de définir la
force, et de pénétrer sa nature intime, prouve précisé-
ment que nous sommes nous-mêmes une force, dont la
coQscience ne nous révèle que les manifestations.
40 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sent, dont il ne saurait se dégager pour pénétrer
au-delà. Car lui-môtne il est comme il veut, et il
veut comme il est^. Donc, quand on lui demande
s'il pourrait vouloir autrement qu'il ne veut, on
lui demande en vérité s'il pourrait être autrement
quil n'est : ce qu*il ignore absolument. Aussi le
philosophe, qui ne se distingue du premier venu
que par la supériorité que lui donne la pratique
de ces questions, doit, si dans ce problème diffi-
cile il veut atteindre à la clarté, se tourner en
dernière instance vers les seuls juges compétents,
à savoir Ventendementt qui lui fournit ses notions
à priori^ la raison qui les élabore, et Vexpérience
qui lui présente ses actions et celles des autres
pour expUquer et contrôler les intuitions de sa
raison. Sans doute leur décision ne sera pas aussi
facile, aussi immédiate, ni aussi simple que celle
de la conscience, mais par cela même elle sera à
la hauteur de la question et fournira une réponse
adéquate. C'est la tête qui a soulevé la question :
c'est la tête aussi qui doit la résoudre.
D'ailleurs nous ne devons pas nous étonner qu'à
une question aussi abstruse, aussi haute, aussi dif-
ficile, la conscience immédiate n'ait pas de réponse
1. Il n*y a pas là, comme on pourrait le croire, d'allusion
prématurée à la doctrine du choix extemporel de Kant.
Cet aphorisme prétentieux signifie simplement que notre
essence est conforme à nos volitions , lesquelles récipro-
quement manifestent notre essence.
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 41
à offrir. Car la conscience n'est qu'une partie très-
restreinte de notre entendement, lequel, obscur
au dedans, est dirigé vers le monde extérieur de
toutes les énergies dont il dispose. Toutes ses con-
naissances parfaitement sûres, c'est-à-dire cer-
taines à priori^ concernent seulement le monde
extérieur, et là il peut, en appliquant certaines
lois générales, qui ont en lui-même leur fonde-
ment, distinguer d'une façon infaillible ce qui est
possible au dehors et ce qui est impossible, ce qui
est nécessaire et ce qui ne l'est pas. G*est ainsi
qu'ont été établies les mathématiques pures, la
lo^que pure, et même les bases de la science na-
turelle, toutes à prion. Ensuite l'appUcation de
ces formes, connues à priori, aux données fournies
par la perception sensible, lui ouvre un accès sur
le monde visible et réel, et en même temps lui rend
possible l'expérience * : plus tard, l'application de
la logique et de la faculté de penser, qui en est la
base, à ce monde extérieur révélé par les sens, lui
fournira les concepts, ouvrira à son activité le
monde des idées, et par suite permettra aux
sciences de naître et à leurs résultats de fructifier
à leur tour. C'est donc dans le monde extérieur
que rintelligence voit devant elle beaucoup de
1. C'est la meUleure réfutation de rempirisme . Bien loin
que rexpérience puisse nous donner les premiers prin*
cipes, elle est impossible sans eux, et les présuppose.
42 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
lumière et de clarté. Mais à l'intérieur il fait
sombre, comme dans un télescope bien noirci :
aucun principe à priori n*éclaire la nuit de notre
for intérieur; ce sont des phares qui ne rayon-
nent que vers le dehors. Le sens intime, comme
on Ta prouvé plus haut, ne perçoit directement
que la volonté, aux différentes émotions de laquelle
tous les sentiments dits intérieurs peuvent être ra-
menés. Mais tout ce que cette perception intime
de la volonté nous fait connaître se ramène, comme
on Ta vu précédemment, au vouloir dt au non-vour
loir; c'est à elle en outre que nous devons cette
certitude tant prônée qui se traduit par Taffirma-
tion : a ce que je veux, je peux le faire i», et qui
revient en vérité à ceci m chaque acte de ma volonté
se manifeste immédiatement à ma conscience (par
un mécanisme qui m'est tout à fait incompréhen^
sible), comme un mouvement de mon corps, s  y
regarder de près , il n'y a là pour le sujet qui Faf-
firme qu*un principe résultant de Texpérience ^.
Mais au-delà, on n'y découvre plus rien. Le tri-
bunal que nous avons consulté est donc incompé-
tent pour résoudre la question soulevée : bien
plus, interprétée dans son véritable sens, elle ne
i. Oa objecterait avec raison que pour expliquer îe
premier mouvement volontaire, il faut admettre déjà un
sentiment au moins implicite de notre pouvoir sur nos
organes. L'assertion de Schopenhauer (reprise de Hume)
43st donc un cercle.
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 43
peut pas lui être soumise, parce qu'elle ne saurait
être comprise par lui.
L'ensemble des réponses que nous avons obte-
nues dans notre interrogatoire de la conscience
peut se résumer ainsi qu*il suit sous une forme
plus concise. La conscience de chacun de nous lui
affirme très- clairement qu'il peut faire ce qu'il
veut Or puisque des actions tout-à-fait opposées
peuvent être pensées comme ayant été voulues
par lui, il en résulte qu'il peut aussi bien faire une
action que l'action opposée, s'il la veut. C'est là
précisément ce qu'une intelligence encore mal
armée confond avec cette autre affirmation bien
diJB&rente, à savoir que dans un cas déterminé le
même homme pourrait vouloir également bien
deux choses opposées, et elle nomme libre arbitre
ce prétendu privilège. Or que l'homme puisse
ainsi, dans des circonstances données, vouloir à la
fois deux actions opposées, c*est ce que ne com-
porte en aucune façon le témoignage de la cons-
cience, laquelle se contente d'affirmer que de deux
actions opposées, il peut faire Tune, s'il la veut, et
que s'il veut l'autre, il peut l'accomplir également.
Mais est-il capable de vouloir indifféremment
Tune ou l'autre? Cette question demeure sans ré-
ponse, et exige un examen plus approfondi, dont
la simple conscience ne saurait préjuger le ré-
sultat. La formule suivante, quoique un peu em-
44 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
preinte de scolaslique, me semblerait Texpression
la plus courte et la plus exacte de cette conclu-
sion : a Le témoignage de la conscience ne se rap-
porte à la volonté qu'a parte post : la question du
libre arbitre au contraire a parte ante. o Donc,
cette déclaration indéniable de la conscience : a Je
peux faire ce que je veux », ne renferme ni ne dé-
cide rien du tout touchant le libre arbitre, car
celui-ci consisterait en ce que chaque volition indi-
viduelle, dans chaque cas particulier (le caractère
du sujet étant complètement donné), ne fût pas
déterminée d'une façon nécessaire par les circons-
tances extérieures au milieu desquelles l'homme
en question se trouve, mais pût s'incliner finale-
ment soit d'un côté, soit de l'autre. Or, sur ce
points la conscience est absolument muette : car le
problème est tout à fait en dehors de son domaine,
puisqu'il roule sur le rapport de causalité qui
existe entre l'homme et le monde extérieur. Si l'on
demande à un homme de bon sens, mais dénué
d'éducation philosophique, en quoi consiste véri-
tablement ce hbre arbitre qu'il affirme avec tant
de confiance sur l'autorité de sa conscience, il ré-
pondra : « Il consiste en ce que je peux faire ce
que je veux, aussitôt que je ne suis pas empêché
par un obstacle physique. » C'est donc toujours le'
rapport entre ses actions et ses volitions dont il
parle. Mais cette absence d'obstacles matériels ne
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 4^
constitue encore que la liberté physique, comme
je Fat montré dans le premier chapitre. Lui de-
mande- 1- on encore si dans un cas donné il pour-
rait vouloir indifféremment telle chose ou son
contraire, dans le premier feu de la réplique il
s'empressera sans doute de répondre oui : maïs
aussitôt qu*il commencera à saisir le sens profond
de la question, il deviendra pensif, et finalement il
tombera dans l'incertitude et le trouble; puis, pour
s'en tirer, il essayera de nouveau de se sauver der*
riëre son thème favori « je peux faire ce que je
veux t et de s'y retrancher contre toutes les rai-
sons et tous les raisonnements. Mais la véritable
réponse à cette assertion , comme j'espère le
mettre hors de doute dans le chapitre suivant, s'é-
noncerait ainsi : « Tu peux, il est vrai, faire ce
que tu veux : mais à chaque moment déterminé
de ton existence, tu ne peux vouloir qu'une
chose précise et une seule, à l'exclusion de toute
autre. »
La discussion contenue dans ce chapitre suffirait
déjà à la rigueur pour m* autoriser à répondre né-
gativement à la question de l'Académie Royale;
mais ce serait là m'en tenir seulement à une vue
d'ensemble, car cette exposition même du rôle des
faits dans la conscience doit recevoir encore quel-
ques compléments dans ce qui va suivre. Or il
peut se trouver, dans un cas, que la justesse de
46 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
notre réponse négative se voie confirmée avec
éclat par une preuve de plus. Si en effet nous nous
adressions maintenant, la même question sur les
lèvres, à ce tribunal auquel nous avons été ren-
voyés tout à Theure, comme à la seule juridiction
compétente, — je veux dire au tribunal de l'en-
tendement pur, de la raison qui réfléclait sur ses
données et les élabore, et de l'expérience qui com-
plète le travail de Tune et de l'autre, — si alors,
dis-je, la décision de ces juges tendait à établir que
le prétendu libre arbitre n*existe absolument
poinf, mais que les actions des hommes, comme
tous les phénomènes de la nature, résultent, dans
■chaque cas particulier, des circonstances précé-
dentes comme un effet qui se produit nécessaire-
ment à la suite de sa cause ; cela nous donnersùt en
outre la certitude que Vexistence même dans la
conscience de données aptes à fournir la démons-
tration du libre arbitre, est chose parfaitement im-
possible. — Alors, renforcée par une conclusion a
non posse ad non esse, qui seule peut servir à
établir à priori des vérités négatives, notre déci-
sion recevrait, en surcroit de la preuve empirique
exposée dans ce qui précède, une confirmation
rationnelle, d'où elle tirerait évidemment une certi*
tude bien plus grande encore. Car une contradic-
tion formelle entre les affirmations immédiates de
la conscience, et les conséquences tirées des prin-
LA VOLONTÉ DEVANT LA CONSCIENCE 47
cipes fondamentaux de la raison pure, avec leur
application à Texpérience, ne saurait être admise
comme possible : la conscience de Thomme ne
peut pas être ainsi mensongère et trompease. (l
faut remarquer à ce propos que la prétendue anti-
monie kantienne (entre la liberté et la néces-
sité)» n*a pas pour origine, même dans l'esprit de
son auteur, la différence des sources à'oHi décou*
lent la thèse et rantithèses» Tune émanant du té-
moignage de la conscience , l'autre du témoignage
de l'expérience et de la raison. La thèse et l'anti-
thèse sont toutes deux subtilement déduites de
raisons pr^ndues objectives ; et tandis que la
thèse ne repose sur rien, si ce n'est sur la rai-
son paresseussy c'est-à-dire sur la nécessité de
trcHiver un point fixe dans un recul à l'iniini^ l'an-
tithèse^ au contraire, a véritablement en sa faveur
tous les motifs objectifs ^
i. Eant, en effet, n'a point dit : Thèse : Le témoignage de
la conscience nous affirme notre libre arbitre. Antithèse :
Le principe de raison suffisante conduit au déterminisme
universel ; — mais bien : Thèse : La causalité d'après les
lois natureUes n*est pas la seule dont nous puissions
dériver tous les phénomènes; il est nécessaire d'admettre
encore une causalité par la liberté. Preuve. Tout ce qui
arrive suppose un état antérieur : or, cet état antérieur
doit être lui-même devenu dans le temps (avoir une cause),
et ainsi de suite. Si donc tout arrive suivant les seules lois
de la nature, il n'y a jamais qu'un commencement relatf,i
et par conséquent aucune intégralité de la série des causes
provenant les unes des autres.) — Antithèse, — Il n'y a
pas de liberté, mais tout dans le monde arrive suivant
48 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Cette étude indirecte que nous allons entre-
prendre maintenant sur le terrain de la faculté co-
gnitive et du monde extérieur qui se présente à
elle, jettera en même temps beaucoup de clarté
sur la recherche directe que nous avons effectuée
jusqu'ici, et servira ainsi à la compléter. Elle dé-
voilera les illusions naturelles que fait naître Fex-
plication fausse du témoignage si simple de la
conscience, lorsque celle-ci entre en conflit avec la
perception extérieure, laquelle constitue la faculté
cognitive, et a sa racine dans un seul et même
sujet où réside également la conscience. Ce n*est
môme qu'à la fin de cette étude indirecte qu'il se
fera un peu de lumière pour nous sur le vrai sens
et le vrai contenu de cette affirmation « je veux »
.qui accompagne toutes nos actions, et sur la cons-
cience de notre causalité immédiate et de notre
pouvoir personnel, grâce auxquels les actions que
nous faisons sont vraiment nôtres. Alors seulement
l'investigation conduite jusqu'à présent par des
procédés directs recevra enfin son couronnement.
des lois naturelles, — On voit donc que c'est au fond
ravàyxn 9ri}y«c qui est à la base de la Thèse» tandis que
TAntilhèse est une déduction rigoureusement logique du
principe de causalité.
CHAPITRE ni
LA VOLONTE DEVANT LA PERCEPTION
EXTÉRIEURE.
Si maintenant nous demandons à la perception
extérieure des^ éclaircissements sur notre pro-
blème, nous savons d'avance que puisque cette fa-
culté est par essence dirigée vers le dehors, la
volonté ne peut pas être pour elle un objet de
connaissance immédiate, comme elle paraissait
l'être tout à Theure pour la conscience, qui pour-
tant a été trouvée un juge incompétent en cette
matière. Ce que Ton peut considérer ici, ce sont
les êtres doués de volonté qui se présentent à
l'entendement en tant que phénomènes objectifs et
extérieurs, c'est-à-dire en tant qu'objets de l'expé-
rience, et doivent être examinés et jugés comme
tels, en partie d'après des règles générales, cer-
taines à priori, relatives à la possibiUté même de
50 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
•
Texpérience, en partie d'après les faits que fournit
Texpérience réelle, et que chacun peut constater.
Ce n'est donc plus comme auparavant sur la vo-
lonté même, telle qu'elle n'est accessible tiu'à la
conscience, mais sur les êtres capables de vou-
loir, c'est-à-dire sur des objets tombant sous les
sens, que notre examen va se porter. Si par là
nous sommes condamnés à ne pouvoir considérer
l'objet propre de nos recherches que médiatement
et à une plus grande distance» c'est là un inconvé-
nient racheté par un précieux avantage; car nous
pouvons maintenant faire usage dans nos recher-
ches d*un instrument beaucoup plus parCsdt que
le sens intime, cette conscience si obscure, si
sourde, n'ayant vue sur la réalité que d'un seul
côté. Notre nouvel instrument d'investigation sera
l'intelligence, accompagnée de tous les sens et de
toutes les forces cognitives, armées, si j'ose dire,
pour la compréhension de l'objectif.
La forme la plus générale et la plus essentielle
de notre entendement est le principe de causalité :
ce n'est même que grâce à ce principe, toujours
présent à notre esprit, que le spectacle du monde
réel peut s'ofifrir ànos regards comme un ensemble
harmonieux ^, car il nous fait concevoir inunédia-
1. « Le principe de causalité est le père du monde exté-
rieur » (V. Cousin.) Sans lui a on arriverait à considérer
Tensemble des événements et des êtres comme un simple
monceau, n (M. Taine).
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 51
temeoi comme des effets les affections et les modi-
fications survenaés dans les oi^anes de nos sens * •
Aussitôt la sensation éprouvée, sans qu*il soit
besoin d'aucune éducation ni d'aucune expérience
préahd^le, nous passons immédiatement de ces
modifications à leurs causes, lesquelles, par l'effet
inême de cette opération de rintelUgence, se pré-
sentent alors à nous comme des objets situés
dans l'espace. Il suit de là incontestablement
que le principe de causalité nous est connu à
priori, c'eal-à-dire comme un principe néces-
saire relativement à la possibilité de toute expé-
rience en général; et il n'est pas besoin, à ce qu'il
semble^ de la preuve indirecte, pénible, je dirai
même insufOsante, que Kant a donnée de cette
importante vérité. Le principe de causalité est
établi solidement à priori, comme la règle géné-
rale à laquelle sont soumis sans exception tous les
objets réels du monde extérieur . Le caractère
absolu de ce principe est une conséquence même
de son àpriorité. Il se rapporte essentiellement et
exclusivement aux modifications phénoménales;
lorsqu'on quelque endroit ou en quelque moment,
dans le monde objectif, réel et matériel, une
chose quelconque, grande ou petite, éprouve une
1 . On trouvera le développement de cette théorie dans
la Dissertation sur le Principe de Raison Suffisante, § 21
de la 2« édition. (Note de Schopenhauer).
52 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
modification, le principe de causalité nous fait
comprendre qu'immédiatement avant ce phéno-
mène, un autre objet a dû nécessairement éprouver
une modification, de même qu'aûn que ce der-
nier pût se modifier, un autre objet a dû se mo-
difier antérieurement, — et ainsi de suite à Tinfini.
Dans cette série régressive de modifications sans
fin, qui remplissent le temps comme la matière
remplit l'espace, aucun point initial ne peut être
découvert, ni même seulement pensé comme pos-
sible, bien loin qu'il puisse être supposé comme
existant. En vain l'intelligence, reculant toujours
plus haut, se fatigue à poursuivre le point fixe qui
lui échappe : elle ne peut se soustraire à la question
incessamment renouvelée : a Quelle est la cause
de ce changement? » C'est pourquoi une cause
première est absolument aussi impensable que le
commencement du temps ou la limite de l'espace *.
1. Schopenhauer dit aiUeurs « qu'une cause première
est une contradictio in adjecto, » Aussi rejette- t-il dédai-
gneusement la preuve de Texistence de Dieu dite par la
nécessité d'une cause première. (Preuve cosmologique).
L'avàyxvi 9ri{y«c^ nécessité subjective^ peut-elle nous faire
admettre l'existence d'un point initial? « Si le principe
de causalité est absolu, pourquoi s'arrêter? On ne le peut.
Si son énergie est telle qu'il enfante une série infinie de
causes, il faut la subir. Quand nous opposons rftvayxn
rr^yac au principe de causalité, n'est-ce pas comme si les
principes de nos spéculations se tournaient contre nous
pour nous confondre? » (J. Simon, École d'Alexandrie^
p. 29). Cf. Schopenhauer, Dissertation sur le Quadruple
Principe, etc. P. iJ6 et sq.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 53
La loi de causalité atteste non moins sûrement que
lorsque la modification antécédente, — la cause —
est entrée en jeu, la modifications conséquente qui
est amenée par elle — TefTet — doit se produire
immanquablement, et avec une nécessité absolue.
Par ce caractère de nécessité, le principe de causa-
lité révèle son identité avec le principe de raison
suffisante S dont il n*est qu'un aspect particulier.
On sait que ce dernier principe, qui constitue la
forme la plus générale de notre entendement pris
dans son ensemble, se présente dans le monde
extérieur comme principe de causalité, dans le
monde de la pensée comme loi logique du prin-
cipe de la connaissance, et même dans Tespace
vide, considéré à priori, comme loi de la dépen-
dance rigoureuse de la position 'âes parties les
unes à Tégard des autres; dépendance nécessaire,
dont l'étude spéciale et développée est Tunique
objet de la géométrie ^. C'est précisément pour
1. Ce point de doctrine a été développé par Scho-
penhaaer dans Touvrage qu'on vient de citer. V. aussi
quelques belles pages de M. Fouillée, Philosophie de
Platon, t. II, p 469 et sq.
2. « Suivant Schopenhauer, le principe de raison suffi-
sante a quatre formes : l» Le principe de raison suffisante
du devenir qui gouverne tous les changements et constitue
ce qu'on appelle d'ordinaire la loi de causalité. 2o Le
principe de raison suffisante de la connaissance» Sous
cette forme, surtout logique, il règle les concepts abs-
traits, en particulier le jugement. 3^ Le principe de raison
suffisante de Vessence qui régit le monde formel, les iu-
54 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
ceia, comme je l'ai déjà établi en commençant,
que le concept de la nécessité et celui de consé-
quence d'une raison déterminée^ sont des notions
identiques et convertibles.
Toutes les modifications qui ont pour théâtre le
monde extérieur sont donc soumises à la loi de
causalité, et, par conséquent, chaque fois qu'elles
se produisent, elles sont revêtues du caractère de
la plus stricte nécessité. A cela il ne peut pas y avoir
d*exception, puisque la règle est établie à priori
pour toute expérience possible. En ce qui concerne
son application à un cas déterminé , il suffît de
se demander chaque fois s'il s'agit d'une modifica-
tion survenue à un objet réel donné dans l'expé^
rience externe : aussitôt que cette condition est
remplie, les modifications de cet objet sont sou-
mises au principe de causalité, c'est-à-dire qu'elles
doivent être amenées par une cause, et, partant,
qu'elles se produisent d'une façon nécessaire.
Maintenant, armés de cette règle à priori^ con-
sidérons non plus la simple possibilité de l'expé-
rience en général, mais les objets réels qu'elle
offre à nos regards, dont les modifications actuelles
ou possibles sont soumises au principe général éta-
tui lions à priori de temps et d^espace et les vérités
mathématiques qui en déri\rent. 4« Le principe de raison
suffisante de l'action, qu*il appeUe aussi loi de motivation,
qui s'applique à la causalité des événements internes. »
Ribot, Philosophie de Schopenhauer, p. 5).
LA VOLONTÉ D£VANT LÀ PERCEPTION EXTÉRIEURE 55
bli plus haut. Tout d'abord nous observons entre ces
objets un certain nombre' de différences fondamen-
tales profondément marquées, d'après lesquelles,
du reste, on les a classés depuis longtemps : on
distingue en effet les corps inorganiques, c'est-à-
dire dépourvus de vie, des corps organiques, c*est«
à-dire vivants, et ceux-ci à leur tour se divi-
$ent en végétaux et en animaux. Ces derniers,
biea que présentant des traits de ressemblance
essentiels, et répondant à une même idée générale,
nous paraissent former une chaîne continue extrê-
mement variée et finement nuancée {sic), qui
monte par degré jusqu'à la perfection \ depuis
ranimai' rudimentaire qui se distingue à peine de
la plante, jusqu'aux êtres les plus capables et les
plus adievés, qui répondent le mieux à l'idée de
1. Un des mérites les plus incontestables de Scho-
penhauei^ est ce profond sentiment de la continuité de la
nature^ et de l'étroite parenté des êtres des trois règnes.
Il va trop loin en attribuant la volonté aux végétaux —
encore le mot volonté a-t-il chez lui un sens beaucoup
plus général qu'en français : — mais les expériences
récentes de M. Claude Bernard démontrent^ contrairement
à Italome de Cuvier, qu'il faut accorder au moins aux
plantes une sensibilité inconsciente, et fort analogue à
celle de certains animaux. {Congrès de Clermont, 1876 . —
Les pages que Ton va lire sont d'une haute valeur philo-
sophique, et Schopenhauer a avoué lui-même (Diss. sur
la Quadr. Racine, etc.) qu'il en était fort satisfait. Il
est extrêmement curieux de les rapprocher d'un pas*
sage analogue de la beUe thèse de M. Ravaisson sur l'Ha-
bitude (1838) : ce sont les mêmes idées, quelquefois les
mèoies expressions chez les deux philosophes.
56 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
l*ânimalité : au haut terme de cette progression
nous trouvons Thomme — nous-mêmes.
Envisageons à présent, sans nous laisser égarer
par cette diversité infinie» Tensemble de toutes les
créatures en tant qu'objets réels de l'expérience
externe, et essayons d'appliquer notre principe
général de causalité aux modifications de toute
espèce dont de pareils êtres peuvent être Tobjet.
Nous trouverons alors que sans doute Texpérience
vérifie partout la loi certaine, à priori, que nous
avons posée; mais en même temps, qu'à la grande
dilFérence signalée plus haut entre la nature des
objets de Texpérience, correspond aussi une cer-
taine variété dans la manière dont la causalité
s'exerce, lorsqu'elle régit les changements divers
dont les trois règnes sont le théâtre. Je m'explique.
Le principe de causalité, qui régit toutes les modi-
fications des êtres, se présente sous trois aspects,
correspondants à la triple division des corps en
corps inorganiques, en plantes, et en animaux ; à
savoir : 1^ La Causation, dans le sens le plus étroit
du mot; 2« l'Excitation (Reiz) ; 3o enfin la Motiva-
tion. Il est bien entendu que sous ces trois formes
différentes, le principe de causalité conserve sa
valeur à priori^ et que la nécessité de la liaison
causale subsiste dans toute sa rigueur.
i^' La causation^ entendue dans le sens le plus
étroit du mot, est la loi selon laquelle se pro-
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 57
duisent tous les changements mécaniques, physi-
ques et chimiques dans les objets de Texpérience.
Elle est toujours caractérisée par deux signes
essentiels ; en premier lieu, que là où elle agit la
troisième loi fondamentale de Newton (l'égalité de
Faction et de la réaction] trouve son application :
c'est-à-dire que l'état antécédent, appelé la cause,
subit une modification égale à celle de Tétat con-
séquent, qui se nomme Y effet; en second lieu,
que, conformément à la seconde loi de Newton, le
degré d*intensité de l'efTet est toujours exactement
proportionné au degré d'intensité de la cause, et
que par suite une augmentation d*intensité dans l'un
entraîne une augmentation égale dans l'autre. Il en
résulte que lorsque la manière dont TefTet se pro-
duit est connue une fois pour toutes, on peut aus-
sitôt savoir, mesurer, et calculer, d'après le degré
d'intensité de l'effet, le degré d'intensité de la
cause, et réciproquement. Toutefois, dans l'ap-
plication empirique de ce second critérium, on
ne doit pas confondre l'effet proprement dit avec
l'efTet apparent [sensible], tel que nous le voyons
se produire. Par exemple, il ne faut pas s'attendre
à ce que le volume d'un corps soumis à la com-
pression diminue indéfiniment, et dans la pro-
portion môme où s'accroît la force comprimante.
Car l'espace dans lequel on comprime le corps
diminuant toujours, il s'en suit que la résistance
58 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
augmente : et si dans ce cas encore, reflFet réel,
qui est l'augmentation de densité , s'accroît vé-
ritablement en proportion directe de la cause
(comme le montre, dans le cas des gaz, la loi de
Mariotte), on voit cependant qu'il n*en est pas de
même de l'efTet apparent, auquel on pourrait vou-
loir à tort appliquer cette loi. De môme, une
quantité croissante de chaleur agissant sur Peau
produit jusqu'à un certain degré un échauffe-
ment progressif, mais au delà de ce point un
excès de chaleur ne provoque plus qu'une évapo-
ration rapide \ Ici encore, comme dans un grand
nombre d*autres cas, la même relation existe entre
Tintensité de la cause et l'intensité réelle de Teffet.
C'est uniquement sous la loi d*une pareille causa-
tion (dans le sens le plus étroit du mot), que s'opè-
rent les changements de tous les corps privés de
vie, c'est-à-dire inorganiques. La connaissance et
la prévision de causes de cette espèce éclairent
l'étude de tous les phénomènes qui sont Tobjet
de la mécanique, de Thydrostatique, de la physi-
que et de la chimie. La possibilité exclusive d'être
déterminé par des causes agissant de la sorte est,
par conséquent, le caractère distinctif, essentiel,
d'un corps inorganique.
1. On explique ce fait de la façon la plus simple par la
théorie mécanique de la chaleur.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 59
2^ La seconde forme de la causalité est Vexcita-
tion^ caractérisée par deux particularités : i^ Il
n'y a pas proportionnalité exacte entre Faction et
la réaction correspondante ; 2* On ne peut établir
aucune équation entre l'intensité de la cause et
rihtensité de FelFet. Par suite, le degré d'intensité
de TefiTet ne peut pas être mesuré et déterminé
d'avance lorsqu'on connaît le degré d'intensité de
la cause : bien plus, une très-petite augmentation
dans la cause excitatrice peut provoquer une aug-
mentation très-grande dans l'effet, ou au contraire
annuler complètement l'effet obtenu par une force
moindre, et même en amener un tout opposé. Par
exemple, on sait que la croissance des plantes
peut être activée d'une façon extraordinaire par
rinfluence de la chaleur, ou de la chaux mélangée
à la terre, agissant comme stimulants de leur force
Titale : maïs pour peu que Ton dépasse la juste
mesure dans le degré de Vexcitation, il en résul-
tera non plus un accroissement d'activité et une
maturité précoce, mais la mort de la plante. C'est
ainsi que nous pouvons par l'usage du vin ou de
l'opium tendre les énergies de notre esprit, et les
exalter d'une façon notable ; mais si nous dépas-
sons une certaine limite, le résultat est tout à fait
opposé. — C'est celte forme de la causalité, dési-
gnée sous le nom d'excitation, qui détermine
toutes les modifications des organismes, considé"
60 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
rés comme tels. Toutes les métamorphoses suc-
cessives et tous les développements des plantes,
ainsi que toutes les modifications uniquement or-
ganiques et végétatives, ou fonctions des corps
animéSf se produisent sous l'influence d'excitations.
C'est de cette façon qu'agissent sur eux la lu-
mière, la chaleur, Tair, la nourriture, — qu'opè-
rent les attouchements, la fécondation, etc. —
Tandis que la vie des animaux, outre ce qu'elle a
de commun avec la vie végétative, se meut encore
dans une sphère toute différente, dont je vais par-
ler à l'instant, la vie des plantes, au contraire, se
développe tout entière sous l'influence de l'excita-
tion. Tous leurs phénomènes d'assimilation, leur
croissance, la tendance de leurs tiges vers la lu-
mière, de leurs racines vers un terrain plus pro-
pice, leur fécondation j leur germination, etc., ne
sont que des modifications dues à Texcitation. Dans
quelques espèces, d'ailleurs fort rares, on constate,
outre les qualités énùmérées plus haut, la produc-
tion d'un mouvement particulier et rapide, qui
lui-même n'est que la conséquence d'une exci-
tation, et qui leur a fait donner cependant le nom
de plantes sensitives. Ce sont principalement,
comme on sait, la Mimosa pudica, le Hedysa^
rum gyrans^ et la Dionœa muscipula, La dé-
termination exclusive et absolument générale par
l'excitation est le caractère distinctif des plantes.
lA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 61
On peut donc considérer comme appartenant au
règne végétal tout corps, dont les mouvements et
modifications particulières et conformes à sa na-
ture se produisent toujours et exclusivement sous
Hnfluence de l'excitation.
3<* La troisième forme de la causalité motrice est
particulière au règne animal, et le caractérise :
c'est la motivation^ c'est-à-dire la causalité agis-
sant par l'intermédiaire de l'entendement. Elle in-
tervient dans l'échelle naturelle des êtres au point
où la créature ayant des besoins plus compliqués
et par suite fort variés, ne peut plus les satisfaire
uniquement sous l'impulsion des excitations, qu'elle
devrait toujours attendre du dehors ; il faut alors
qu'elle soit en état de choisir, de saisir, de recher-
cher même, les moyens de donner satisfaction &
ces nouveaux besoins. Voilà pourquoi, dans les
êtres de cette espèce, on voit se substituer à la
simple réceptivité des excitationSj et aux mouve-
ments qui en sont la conséquence, la réceptivité
des motifs^ c'est-à-dire une faculté de représenta-
tion, un intellect, offrant d'innombrables degrés
de perfection, et se présentant matériellement sous
la forme d'un système nerveux et d'un cerveau,
avec le privilège de la connaissance. On sait d'ail-
leurs qu'à la base de la vie animale est une vie
purement végétative, qui en cette qualité ne pro-
cède que sous TinHuence de l'excitation. Mais tous
StmOPENHArER. 4
62 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
ces mouvements d'un ordre supérieur que l'ani-
mal accomplit en tant qu'animal, et qui pour
cette raison dépendent de ce que la physiologie
désigne sous le nom de fonctions animales, se
produisent à la suite de la perception d'un objet,
par conséquent sous l'influence de motifs. On
comprendra donc sous l'appellation d'animaux
tous les êtres dont les mouvements et modifica-
tions caractéristiques et conformes à leur nature,
s'accomplissent sous l'impulsion des motifs, c'est
à- dire de certaines représentations présentes à
leur entendement, dont l'existence est déjà pré-
supposée par elles. Quelques innombrables de-
grés de perfection que présentent dans la série
animale la puissance de la faculté représentative,
et le développement de l'intelligence, chaque ani-
mal en possède pourtant une quantité suffisante
pour que les objets extérieurs puissent agir sur
lui, et provoquer ses mouvements, en tant que
motifs ^ C'est cette force motrice intérieure, dont
chaque manifestation individuelle est provoquée par
un motif, que la conscience perçoit intérieurement,
et que nous désignons sous le nom de volonté.
1. Cest-à-dire en tant que causes finales de ces mou-
vements. Il y a là un point qu'il ne faut pas perdre de
vue : l'action des motifs sur la volonté est toujours Tac-
tion de la volonté vers les motifs, et les déterministes
seraient peut-être embarrassés d'expliquer pourquoi un
cet est absolument nécessité par cela seul qu'il a un but.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 63
Savoir si on corps donné se meut d'après des
excitations ou d*après des motifis^ c'est ce qui
ne peut jamais faire de doute même pour Tobser-
vation externe (et c'est à ce point de vue quo
nous nous sommes placés ici). L'excitation et les
aioti& agissent en effet de deux manières si com-
plètement différentes, qu'un examen même su-
perficiel ne saurait les confondre. Car Fexcita-
tion agit toujours par contact immédiat^ ou même
par intussusceptiorif et là où le contact n'est pas
apparent, comme dans les cas où la cause excita-
trice est Tair, la lumière, ou la chaleur, ce mode
d'action se trahit néanmoins parce que Teffet est
dans une proportionnalité manifeste avec la durée
et rintensité de l'excitation, quand même cette
proportionnalité ne reste pas constante à tous les
degrés. Dans le cas, au contraire, où c'est un motif
qui provoque le mouvement, ces rapports carac-
téristiques disparaissent complètement. Car ici Fin*
termédiaire propre entre la cause et l'effet n*est
pas l'atmosphère, mais seulement l'entendement.
L'objet agissant comme motif n'a absolument be-
soin, pour exercer son influence, que d'être perçu
et connu; il n'importe plus de savoir pendant
combien de temps, avec quel degré de clarté, et b
' quelle distance (du sujet), l'objet perçu est tombé
sous les sens. Toutes ces particularités ne chan-
gent rien ici à l'intensité de l'effet; dès que l'objet
64 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
a été seulement perçu, il agit d'une façon tout à fait
constante; — à supposer toutefois qu'il puisse être
un principe de détermination pour la volonté indi-
viduelle qu'il s'agit d'émouvoir. Sous ce rapport,
d'ailleurs, il en est de même des causes physiques
et chimiques, parmi lesquelles on range toutes les
excitations, et qui ne produisent leur effet que si le
corps à affecter présente à leur action une récep-
tivité propice. Je disais tout à Theure : « de la
volonté qu'il s'agit d'émouvoir, » car, comme je
l'ai déjà indiqué, ce qui est désigné ici sous le nom
de volonté, force immédiatement et intérieurement
présente à la conscience des êtres animés, est cela
même qui, à proprement parler, communique au
motif la force d'action, et le ressort caché du
mouvement qu'il sollicite. Dans les corps qui se
meuvent exclusivement sous l'influence de l'exci-
tation, les végétaux, nous appelons cette condi-
tion intérieure et permanente d'activité, la force
vitale — dans les corps qui ne se meuvent que
sous l'influence de motifs (dans le sens le plus
étroit du mot), nous l'appelons force naturelle, ou
l'ensemble de leurs qualités*. Cette énergie inté-
rieure doit toujours être posée d'avance, et anté-
rieurement à toute explication (des phénomènes),
1. « Qualitaet. » On traduirait plus exactement ce mot
par le terme scolastique de quiddité {notérm) correspon-
dant au rb rc ^y cevac d'Âristote, qu'on a nommé plus tard
la forme substantielle. (V. Aristote, Mt'taph, VII, 6.)
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 65
comme quelque chose i' inexplicable ^ parce qu'il
n'est dans le sombre intérieur des êtres aucune
conscience aux regards de laquelle elle puisse être
immédiatement accessible. Maintenant, laissant de
côté le monde phénoménal, pour diriger nos rocher*
ches sur ce que Kant appelle la chose en ^oij nous
pourrions nous demander si cette condition inté-
rieure de la réaction de tous les êtres sous Tin-
fluence de motifs extérieurs, subsistant même dans
le domaine de l'inconscient et de Tinanimé, ne se-
rait peut-être pas essentiellement identique à ce
que nous désignons en nous-mêmes sous le nom
de volonté, comme un philosophe contemporain a
prétendu le démontrer ; — mais c*est là une hypo-
thèse que je me contente d'indiquer, sans vouloir
toutefois y contredire formellement ^
Par contre, je ne dois pas laisser sans examen la
différence qui, dans la motivation même, constitue
l'excellence de l'entendement humain relativement
i, celui de tout autre animal. Cette excellence,
que désigne à proprement parler le mot raison ^
consiste en ce que l'homme n est pas seulement
capable, comme l'animal, de percevoir par les
sens le monde extérieur, mais qu'il sait aussi, par
i. c On comprend que c'est de moi-même qu'il s'agit en
ce passage, mais je ne pouvais m'exprimer à la première
personne, l'incognito étant de rigueur. » (Note de Scho-
penliauer.) -- V. Th. Ribot, Ouvr. cit^ p. 63 92.
66 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
l'abstraction, tirer de ce spectacle des notions gé-
nérales (notiones universales)^ qu'il désigne par
des mots, afin de pouvoir les fixer et les conserver
dans son esprit. Ces mots donnent lieu ensuite à
d'innombrables combinaisons, qui toujours, il est
vrai, comme aussi les notions dont elles sont for -
mées, se rapportent au monde perçu par les sens,
mais dont l'ensemble constitue cependant ce qu'on
appelle la pensée, grâce ^ à laquelle peuvent se
réaliser les grands avantages de la race humaine
sur toutes les autres, à savoir le langage, la ré*
flexion, la mémoire du passé, la prévision de l'a-
venir, l'intention, Tactivité commune et méthodique
d'un grand nombre d'intelligences, la société poli-
tique, les sciences, les arts, etc. Tous ces privilèges
dérivent de la faculté particulière à l'homme de
former des représentations non sensibles, abs-
traites, générales, que Ton appelle concepts (c*esl-
à-dire formes collectives et universelles de la réa-
lité sensible), parce que chacune d'elles comprend
une collection considérable d'individus *. Cette fa-
culté fait défaut aux animaux, même aux plus intel-
ligents : aussi n'ont-ils d'autres représentations que
des représentations sensibles , et ne connaissent-ils
que ce qui tombe immédiatement sous leurs sens,
I. En allemand, Berpiff, concept ou notion, vient du
verbe begreifen, qui bigniûe comprehendere. La rigueur
philosophique de la langue est ici parfaite.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 67
vivant uniquement renfermés dans le moment pré-
sent. Les mobiles par lesquels leur volonté est in*
fluencée doivent par suite être toujours présents et
sen^bles. Il en résulte que leur choix ne peut être
que fort limtté, car il ne peut s'exercer qu'entre
les objets accessibles à Finstant même à leur vue
bornée et à leur pouvoir représentatif étroit, c'est-
à-dire contigus dans l'espace et dans le temps. De
ces objets, celui qui est le plus fort en tant que
motif détermine aussitôt leur volonté : chez eux, par
conséquent, la causalité directe du motif se révèle
d'une façon très-manifeste. Le dressage» qui n*est
qu'une crainte opérant par l'intermédiaire deThabi-
tude, constitue une exception apparente à ce qui
précède ; les actes instinctifs en sont uneautre, véri-
table sous certains rapports; car l'animal, en vertu
de l'instinct qui est en lui, est mû, dans l'ensemble
de ses^ actions, non pas, à proprement parler, par
des motifs, mais par une impulsion et une puissance
intérieures. Cette impulsion cependant, dans le
détail des actions individuelles et pour chaque
moment déterminé, est dirigée d'une façon précise
par des motifs, ce qui nous permet de rentrer
dans la donnée générale. L'examen plus approfondi
de la théorie de l'instinct m'entraînerait ici trop
loin de mon sujet : le 27' chapitre du second vo-
lume de mon ouvrage principal y est consacré. —
L^homme, par contre, grâce à sa capacité de former
68 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
des représentations non sensibles, au moyen des-
quelles il pense et réftéchity domine un horizon
infiniment plus étendu, qui embrasse les objets
absents comme les objets présents, Tavenir comme
le passé : il offre donc, pour ainsi dire, une surface
beaucoup plus grande à Taction des motifs exté-
rieurs, et peut, par conséquent, exercer son choix
entre un nombre beaucoup plus considérable d'ob*^
jets que Tanimal, dont les regards sont bornés
aux limites étroites du présent. En général, ce
n'est pas ce qui est immédiatement présent dans
Tespace et dans le temps à sa perception sensible,
qui détermine ses actions : ce sont bien plus sou-
vent de simples pensées, qu'il porte partout avec
lui dans sa tête et qui peuvent le soutraire à Faction
immédiate et fatale de la réalité présente ^ Lors-
qu'elles ne remplissent pas ce rôle, on dit que
rhomme agit déraisonnablement : au contraire,
on dit que sa conduite est raisonnable^ lorsqu'il
agit uniquement sous l'influence de pensées bien
mûries, et par suite complètement indépendantes
de l'impression des objets sensibles présents. Le fait
même que l'homme est dirigé dans ses actes pai*
une classe particulière de représentations que ra-
nimai ne connaît pas (notions abstraites , pensées)
se révèle jusque dans son existence intérieure ;
1. Fatis avolea voluntas.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 69
car rhomme imprime à toutes ses actions, même
aux plus insignifiantes, même à ses mouvements
et à ses pas, l'empreinte et le caractère de Yinteri'
fionnalité et de la préméditation. Ce caractère dif-
férencie si nettement la manière d'agir de l'homme
de celle des animaux, que Ton conçoit par quels
fils déliés et à peine visibles (les motifs constitués
par de simples pensées) ses mouvements sont
dirigés, tandis que les animaux sont mus et gou-
vernés par les grossières et visibles attaches de la
réalité sensible. Mais la différence entre l'homme
et ranimai ne s'étend pas plus loin. La pensée
devient motif, comme la perception devient motif,
aussitôt qu'elle peut exercer son action sur une
volonté humaine. Or tous les motifs sont des causes,
et toute causalité entraîne la nécessité. L'homme
peut d'ailleurs, au moyen de sa faculté de penser,
' évoquer devant son esprit dans l'ordre qui lui
plaît, en les intervertissant ou en les ramenant
à plusieurs reprises, les motifs dont il sent Tin-
fluence peser sur lui, afin de les placer succes-
sivement devant le tribunal dé sa volonté; c'est en
cette opération que consiste la délibération *•
1. n y a là une inconséquence grave. Si Schopenhauer
reconnaît à rhomme le pouvoir de faire agir les motifs
sur sa volonté dans l'ordre qui lui plaît, la question du
libre arbitre est résolue contre les déterministes. Qu'est-ce
d'ailleurs que cet être qui veut séparé de sa volonté, puis-
que c'est sur elle-même que se porte sa volition ? Est-ce
70 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
L'homme est capable de délibération, et, en vertu
de cette faculté, il a, entre divers actes possibles,
un choix beaucoup plus étendu que Fanimal. Il y
a déjà là pour lui une liberté relative, car il devient
indépendant de la contrainte immédiate des objets
présents, à l'action desquels la volonté dé l'ani-
mal est absolument soumise. L'homme, au con-
traire, se déterminé indépendamment des objets
présents, d'après des idées, qui sont ses motifs à
lui. Cette liberté relative n'est en réalité pas autre
chose que le libre arbitre tel que l'entendent des
personnes instruites, mais peu habituées à aller au
fond des choses : elles reconnaissent avec ra^on
dans cette faculté un privilège exclusif de l'homme
sur les animaux. Mais cette liberté n'est pourtant
que relative^ parce qu'elle nous soustrait à la
contrainte des objets présents, et comparatit:e, en
ce qu'elle nous rend supérieurs aux animaux \
la substance dernière qui nous constitue, un aubstra-
tum de nos facultés, auquel Schopenhauer se voit mal-
gré lui obligé d'accorder la liberté? Ce serait le cas de
rappeler les paroles d'un profond phiiosophe que nous
avons plus d'une fois cité dans ces notes : < Le nécessaire
ne saurait être primitif... le libre peut seul offrir ce ca-
ractère. Le principe des choses ne peut pas être une né-
cessité de quelque genre qu'elle soit, mais une liberté,
parce que la liberté seule est infime et absolue. »
1. C'est celte liberté relative que revendique seule
l'auteur des lignes suivantes, auxquelles a souscrit M. Ra*
vaisson : t De ce que la volonté dépend toujours des
motifs qui la déterminent, faut-il conclure que la volonté
n'est pas libre? Non; car ces motifs qui me déterminent
LÀ VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 71
Elle ne fait que modifier la manière dont s'exerce
la motivation, mais la nécessité de l'action des
motifs n'est nullement suspendue, ni même di-
minuée. Le motif abstrait, consistant simplement
dans une pensée, est un motif extérieur, nécessitant
la volonté, aussi bien que le motif sensible, pro-
duit par la présence d'un objet réel : par suite,
c'est une cause aussi bien que tout autre motif, et
môme , comme les autres , c'est toujours un
motif réel, matériel, en tant qu'il repose en der-
nière analyse sur une impression de l'extérieur,
perçue en quelque lieu et à quelque époque que ce
soit. La seule différence est dans la longueur plus
grande du âl directeur des mouvements humains :
je veux dire par là que les motifs de cette espèce
n'agissent pas comme les motifs purement sensibles,
sous la condition expresse de l'immédiation dans
le temps et dans l'espace, mais que leur influence
s'étend à une distance plus grande, à un inter-
valle plus long, grâce à l'enchaînement successif
de notions et de pensées se rattachant les unes
aux autres. La cause en est dans la constitution
même, et dans l'éminente réceptivité de l'organe
qui subit l'influence des motifs , et se modifie en
sont mes motifs. En leur obéissant c'est à moi que j'obèijs
et la liberté consiste précisément à ne dépendre que de
soi. » — « Ces explications, remarque un critique, sont
peut-être fortes contre le déterminisme^ mais elles le
sont encore plus contre le libre arbitre. »
72 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
conséquence, à savoir le cerveau de l'homme, ou
la raison. Mais cela n^atténue pas le moins du
monde la puissance causale des motifs, ni la né-
cessité avec laquelle s'exerce leur action. Ce n'est
donc qu'en considérant la réalité d'une façon très-
superficielle qu'on peut prendre pour une liberté
d'indifférence celte liberté relative et comparative
dont nous venons de parler. La faculté délibéra-
tive qui en provient n'a en vérité d'autre effet que
de produire le conflit si souvent pénible entre les
motifs, que précède l'irrésolution, et dont le champ
de bataille est Tâme et l'intelligence tout entière
de l'homme. Il laisse, en effet, les motifs essayer à
plusieurs reprises leurs forces respectives sur sa
volonté*, en se contrebalançant les uns les autres,
de manière que sa volonté se trouve dans la môme
situation qu'un corps sur lequel différentes forces
agissent en des directions opposées, — jusqu'à ce
qu'enfin le motif le plus fort oblige les autres à lui
céder la place et détermine seul la volonté. C'est
cette issue du conflit des motifs qui s'appelle la
résolution, et qui se trouve revêtue, en cette qua-
lité, d'un caractère d'absolue nécessité.
Si maintenant nous envisageons encore une fois
toute la série des formes de la causalité, parmi les-
1 . V. la note de la page 69. Schopenhauer accuse ridée
du libre arbitre d'ôlre impensable : il paraît qu'il éprouve
lui-même quelque difficullé à rester conséquent avec son
idée déterministe.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 73
quelles on distingue nettement les causes dans le
sens le plus étroit du mot, puis les excitationSy et
enûn les motifs (qui eux-mêmes se subdivisent en
motifs sensibles et en motifs abstraits), nous re-
marquerons que, lorsque nous parcourons de bas
en haut la série des êtres, la cause et reflet se dif-
férencient de plus en plus, se distinguent plus
clairement et deviennent plus hétérogènes, la cause
devenant de moins en moins matérielle et pal-
pable; — de sorte qu'il semble qu'à mesure que
Ton avance, la cause contient toujours moins de
force, et l'effet toujours davantage; le lien qui
existe entre la cause et l'effet devient fugitif, insai-
sissable, invisible ^ . Dans la causation mécanique,
ce lien est le plus apparent de tous, et c'est pour-
1. Il est intéressant de voir comment M. Ravaisson tire
de prémisses presque semblables une conclusion tout à
fait opposée : nous résumons ses paroles plutôt que nous
ne les reproduisons : < Dans la vie inorganique, Taction
et la réaction sont égales : dès le premier degré de la
vie animale, eUes s'écartent et se difîérencient de plus en
plus. Les affections de la réceptivité et les actes de la
spontanéité deviennent de plus en plus différents en
grandeur : une cause hyper-organique apparaît. Car si la
réaction est de plus en plus indépendante de l'action à
laquelle elle répond, il faut nécessairement qu'il y ait un
centre qui leur serve de commune limite, où l'une arrive
et dont l'autre parte. D'ailleurs ce n'est pas un moyen
terme indifférent comme le centre des forces opposées du
levier; c'est un centre qui, par sa propre vertu, mesure
et dispense la force. Ce juge, ce dispensateur de l'action,
c*esi Vàme libre. — Ainsi semble apparaître dans l'empire
de la Nature le régne de la connaissance, de la pré-
voyance, et poindre la première lueur de la liberté. » Rap-
5
74 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
quoi cette forme de la causalité est la plus facile à
comprendre : de là cette tendance née au siècle
dernier, encore subsistante en France, et qui plus
récemment s'est révélée même en Allemagne, de
ramener toute espèce de causalité à celle-là, et
d'expliquer par des causes mécaniques tous les
phénomènes physiques et chimiques, puis, en
s'appuyant sur la connaissance de ceux-ci, d'expli-
quer mécaniquement jusqu'au phénomène de la
vie 1. Le corps qui donne une impulsion meut le
corps immobile qui la reçoit, et il perd autant de
force qu'il en communique; en ce cas nous voyons
immédiatement la cause se transformer en un effet
de même nature : ils sont tous les deux parfaite-
ment homogènes, exactement commensurables, et
en même temps sensibles. Il en est ainsi dans tous
les phénomènes purement mécaniques. Mais Ton
trouvera que ce mode d'action se transforme de
plus en plus à mesure que l'on remonte l'échelle
des êtres, et que les différences indiquées plus
haut tendent à s'accentuer.
prochez cette conception de la liberté de celle qui est
exposée à la p. 70, note 1.
1. C'est ViatrO'physicisme. « Le mécanisme de Des-
cartes et de Boerhaave subsiste encore, sinon à Tétat de
doctrine, du moins à l'état de tendance. Il y a aujour-
d'hui, et il y aura longtemps encore des physiciens con-
vaincus qu'on peut ramener tous les phénomènes de la
nature, même ces phénomènes si délicats et si compli*
qués de l'organisalion, aux lois générales du mouve-
ment. » (E. Saisset, Revue des Deux-Mondes, 15 août 1862.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 75
Que Ton examine, pour s'en convaincre, le rap-
port entre l'effet et la cause à différents degrés
d'intensité, par exemple, entre la chaleur en tant
que cause et ses divers effets, tels que la dilata-
tion, l'ignition, la fusion, l'évaporation, la combus-
tion, la thermo-électricité, etc., — ou entre l'éva-
poration en tant que cause, et le refroidissement,
la cristallisation, qui en sont les effets : ou entre
le frottement du verre, envisagé comme cause , et
le développement de l'électricité libre avec ses
singuliers phénomènes ; ou bien entre l'oxydation
lente des plaques, et le galvanisme, avec tous les
^ihénomènes électriques, chimiques, et magnéti-
ques qui s'y rattachent. Donc la cause et l'effet se
diffiérendent de plus en plus, deviennent de plus
en plus hétérogènes, leur lien devient plus difficile
à saisir, l'effet semble renfermer plus que la cause,
parce que celle-ci paraît de moins en moins pal-
pable et matérielle. Toutes ces différences se ma-
nifestent plus clairement encore quand nous pas-
sons au règne organique, où ce ne sont plus que
de simples excitations, — tantôt extérieures comme
celles de la lumière, de la chaleur, de Tair, du
sol, de la nourriture ; tantôt intérieures , comme
l'action des sucs et Taclion réciproque des or-
ganes — qui agissent comme causer, tandis que
la vie, dans sa complication infinie et ses variétés
d'aspect innombrables, se présente comme l'effet
76 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
et la résultante de toutes ces causes, sous les dif-
férentes formes de l'existence végétale et animale ^
Mais pendant que cette hétérogénéité, cette in-
commensurabilité, cette obscurité toujours crois-
sante des rapports entre la cause et Teffet se ma-
nifestent dans le règne organique, la nécessité que
la liaison causale impose se trouve-t-elle atténuée
en rien? Aucunement, pas le moins du monde. La
même nécessité qui fait qu'une bille en roulant
met en mouvement la bille qui est en repos, fait
qu'une bouteille de Leyde, quand on la tient d'une
main et qu'on la touche de l'autre, se décharge,
— que l'arsenic tue tout être vivant, que le grain
•de semence, qui, préservé dans un milieu sec, n'a,
pendant des milliers d'années, subi aucune trans-
formation, aussitôt qu'on l'enfouit dans un terrain
propice, qu'on le soumet à l'action de la lumière,
de l'air, de la chaleur, de l'humidité, doit germer,
croître, et se développer jusqu'à devenir une
plante ^. La cause est plus compliquée, l'effet plus
hétérogène, mais la nécessité de son intervention
n'est pas diminuée de l'épaisseur d'un cheveu (sic).
Dans la vie des plantes et dans la vie végétative
des animaux, l'excitation et la fonction organique
1. V. Touvrage de Schopenhaur intitulé « La volonté
dans la nature, » p. 80 de la 2« édition, où ces idées sont
reprises avec quelques développements.
2. Le fait a été constaté sur des grains de blé trouvés
dans des sarcophages égyptiens.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 77
provoquée par elle, sont, il est vrai, fort différentes
sous tous les rapports, et peuvent être nettement
distinguées Tune de l'autre. Cependant elles ne sont
pas encore à proprement parler séparées, et il faut
toujours que le passage de l'une à Vautre s'effechie
par un contact, quelque léger et quelque imper-
ceptible qu'il soit. La séparation complète ne com-
mence à se produire que dans la vie animale, dont
les actes sont provoqués par des motifs; dès lors
la cause, qui jusque-là était toujours rattachée ma-
tériellement à Teffet, se montre complètement indé-
pendante de lui, d'une nature tout à fait différente,
tout immatérielle, et n'est qu'une simple repré-
sentation. C'est donc dans le motif qui provoque les
mouvements de l'animal que cette hétérogénéité de
la cause et de l'effet^ leur différenciation de plus en
plus profonde, leur incommensurabilité, l'immaté-
rialité de la cause, et, par suite, son manque appa-
rent d'intensité quand on la compare à l'effet, —
atteignent leur plus haut degré. L'inconcevabilité
du rapport qui les lie deviendrait même absolue»
si ce rapport, comme les autres relations causales,
ne nous était connu que par le dehors; or, on sait
qu'il n*en est pas ainsi. Une connaissance d'une
autre nature, tout intérieure , complète celle que
les phénomènes nous donnent, et nous percevons
au dedans de nous la transformation que subit la
cause, avant de se manifester de nouveau comme
78 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
effet. L'instrument de cette transformation, nous
le désignons par un terminus ad hoc : la volonté.
Que d*autre part, ici comme ailleurs, comme dans
le cas le plus simple de l'excitation, la causalité
n'a rien perdu de son pouvoir nécessitant, c'est ce
que nous prononçons d'une façon décisive aussitôt
que nous reconnaissons Texistence d'un rapport
de causalité entre l'effet et la cause, et que nou9
pensons ces deux phénomènes par rapport à cette
forme essentielle de notre entendement. En outre,
nous trouvons que la motivation est essentielle-
ment analogue aux deux autres formes de la cau-
salité examinées plus haut, et qu'elle n'est que le
degré le plus élevé auquel celles-ci atteignent
dans leur évolution progressive. Au plus bas degré
de l'échelle animale, le motif est encore très-voi-
sin de la simple excitation : les zoophytes, les
radiaires en général , les acéphales parmi les mol-
lusques, n'ont qu'un faible crépuscule de connais-
sance, juste ce qu'il en faut pour apercevoir leur
nourriture ou leur proie, pour l'attirer vers eur,
quand elle se présente, ou même, en cas de néces-
sité, pour changer leur séjour contre un plus favo-
rable. Aussi, dans ces êtres inférieurs, l'action du
motif nous semble-t-elle encore aussi claire, aussi
immédiate, aussi apparente, que celle de l'excita-
tion. Les petits insectes sont attirés par Téclat de
la lumière jusque dans la llamme : la moucha vient
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 79
se poser avec confiance sur la tête du lézard, qui
à l'instant même , sous ses yeux, a englouti une de
ses pareilles. Qui songera ici à la liberté ? Chez les
animaux supérieurs et plus intelligents, l'influence
des motifs devient de plus en plus médiate : en
effet le motif se différencie de plus en plus nette-
ment de Faction qu il provoque, à tel point que
Ton pourrait môme se servir de ce degré de diffé-^
renciation entre Fintensité du motif et celle de
Tactequi en résulte, pour mesurer Tintelligence des
animaux. Chez l'homme, cette différence devient
incommensurable. Par contre, même chez les ani-
maux les plus sagaces, la représentation, qui agit
comme motif de leurs actions, doit toujours encore
être une image sensible : même là où un choix
commence déjà à être possible, il ne peut s'exercer
qu'entre deux objets sensibles également présents.
Le chien reste hésitant entre l'appel de son mai-
iare et la vue d*une chienne : le motif le plus fort
détermine son action, et la nécessité avec laquelle
elle se produit alors n'est pas moins rigoureuse
que celle d'un effet mécanique. De même nous
voyons un corps soustrait à sa position d'équi-»
libre, osciller pendant quelque temps de droite à
gauche, jusqu'à ce qu'il soit décidé de quel côté
se trouve son centre de gravité, et qu'il se précii-
pite dans cette direction. Or, aussi longtemps que
la motivation est bornée à des représentations sen-
80 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sibles, son affinité âvec rexcitation et la causation
en général devient encore plus apparente par ce
fait que le motif, en tant que cause active, doit être
quelque chose de réel et de présent, et même
exercer encore sur les sens, par la lumière, le son,
ou par rôdeur, une action qui, bien que médiate,
reste toujours cependant une action physique. En
outre, pour l'observateur, la cause est ici aussi
apparente que Teffet : il voit le motif entrer en jeu
et Faction de ranimai en êlre l'inévitable consé-
quence, aussi longtemps qu'aucun autre motif non
moins frappant, ou TefTet du dressage, n'influe en
sens contraire. Il est impossible de mettre en
doute le lien qui les rattache. C'est pourquoi
il n'entrera même dans Tesprit de personne de
prêter aux animaux une liberté d'indifférence ,
c'est-à-dire de leur attribuer des actes qui ne soient
déterminés par aucune cause.
Mais dès que la faculté cognitive devient le pri-
vilège d*un être raisonnable, dès qu'elle devient
capable de s'étendre aux objets non sensibles, de
s'élever à des notions abstraites et à des idées ,
alors les motifs deviennent tout à fait indépen-
dants du moment présent et des objets immédia-
tement contigus; ils restent par suite cachés à
l'observateur. Car ce ne sont plus que de simples}
idées, que l'homme porte avec lui dans sa tête,
dont Torigine est toujours cependant dans la réa-
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 8i
iité extérieure^ quoique souvent bien loin en arrière
dans le passé ; tantôt en effet il les doit à l'expé-
rience personnelle des années écoulées, tantôt à
une tradition communiquée par récriture ou par!
la parole, datant même des temps les plus reculés,
mais ayant toujours pourtant un commencement
réel et objectif. — Ajoutons que grâce à la combi-
naison souvent difficile de circonstances extérieu-
res fort compliquées, beaucoup d'erreurs, et, par
reflet de la tradition, beaucoup d'illusions, par suite
aussi beaucoup de folies, doivent être comptées
parmi les motifs bumains. Il faut encore remar-
quer que rhomme cache souvent à tout le monde
les motifs de sa conduite, parfois môme à sa propre
conscience, comme dans les cas où il a honte de
s'avouer le véritable motif qui le pousse à faire telle
ou telle chose. Cependant, dès que l'on perçoit ses
actes, on cherche par conjecture à en pénétrer les
motifs, et on les présuppose avec autant de con-
fiance et de sûreté que la cause physique des
mouvements sensibles des corps bruts, dans la
conviction que les uns comme les autres sont im-
possibles sans causes. En accord avec ce qui vient
d'être dit, nous faisons aussi entrer en ligne de
compte, dans la formation de nos projets et la
construction de nos plans, l'influence des divers
motifs sur l'esprit des hommes. Nous le faisons
même avec une sûreté qui pourrait devenir égale
5.
82 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
à celle avec laquelle on calcule les effets des appa-
reils de mécanique, si Ton pouvait connaître aussi
exactement le caractère individuel des hommes
avec lesquels on est en rapport, que la longueur et
répaisseur des planches, le diamètre des roues, le
poids des fardeaux, etc. C'est là une hypothèse
(rinfluence des motifs sur les actes humains) à
laquelle chacun se conforme instinctivement tant
qu'il tourne ses regards vers le dehors, qu'il a
affaire avec ses semblables, et qu'il poursuit des
buts pratiques : car c est à ceux-là surtout que
l'intelligence humaine est véritablement destinée.
Mais dès que Thomme essaie de juger la question
au point de vue théorique et philosophique, ce qui
n'est pas à proprement parler dans le rôle de son
intelligence, et qu'il se fait lui-même l'objet de son
jugement, il se laisse tromper par l'immatérialité
des motifs humains, consistant en simples pensées,
qui ne se rattachent à rien de présent ni à rien de
ce qui Tentoure, et dont les obstacles mêmes ne
sont que de simples pensées, agissant comme des
motifs contraires. Alors il met en doute leur exis*
tence, ou, en tous les cas, la nécessité de leur action,
et s'imagine que ce qu'il fait, il pourrait aussi bien
ne pas le faire, que la volonté se décide spontané?
ment, sans motifs, et que chacun de ses actes esi
le premier anneau d'une série de modifications im-
possibles à calculer et à prévoir. Cette illusion, se
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 83
trouve encore renforcée par la fausse interpréta-
tion du témoignage de la conscience : « Je peux faire
ce que je veux », surtout lorsque ce témoignage,
qui accompagne du reste tous nos actes, se fait
entendre à nous au moment même où s'exerce
l'influence de plusieurs motifs , s' excluant l'un
l'autre, et sollicitant tour à tour la volonté.
Telle est, dans toute sa complexité, la source de
riUusion naturelle qui nous fait croire à tort que
la conscience affirme l'existence «du libre arbitre,
en ce sens que, contrairement à tous les principes
à priori de la raison pure et à toutes les lois natu-
relles, la volonté seule soit une force capable de
<8e décider sans raison suffisante, dont les résolu-
tions, en des circonstances données, pour un seul
^et même individu, puissent incliner indilTérem-
ment dans une direction ou dans l'autre.
Pour élucider d*une façon spéciale et aussi
claire que possible l'origine de cette erreur si im-
portante pour notre tbèse, et compléter par là
l'étude du témoignage de la conscience entreprise
au chapitre précédent, nous allons nous figurer
on homme, qui, se trouvant par exemple à la rue,
«e dirait : « Il est à présent six heures du soir, ma
journée de travail est finie. Je peux maintenant
faire une promenade ; ou bien je peux aller au
club ; je peux aussi monter sur la tour, pour voir
4e coucher du soleil; je peux aussi aller au théâtre ,
84 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
je peux faire une visite à tel âmi ou à tel autre ; j»^
peux même m'échapper par la porte de la ville,
m^élancer au milieu du vaste univers, et ne jamais
revenir... Tout cela ne dépend que de moi, j*aila
pleine liberté d'agir à ma guise ; et cependant je
n'en ferai rien, mais je vais rentrer non moins
volontairement au logis, auprès de ma femme. »
G*eBt exactement comme si l'eau disait : c Je
peux m*élever bruyamment en hautes vagues (oui
certes, lorsque }a mer est agitée par une tem-
pête!) — je peux descendre d'un cours précipité
en emportant tout sur mon passage (oui, dans
le Ut d'un torrent), — je peux tomber en écu-
mant et en bouillonnant (oui , dans une cascade),
— • je peux m'ôlever dans l'air, libre comme un
rayon (oui» dans une fontaine) , — je peux enfin
m'évaporer et disparaître (oui , à 100 degrés de
ohaleur) ; — et cependant je ne fais rien de tout
cela, mais je reste de mon plein gré, tranquille et
limpide, dans le miroir du lac. :» Comme l'eau ne
peut se transformer ainsi que lorsque des causes
déterminantes l'amènent à l'un ou à l'autre de ces
états ; de même l'homme ne peut faire ce qu'il se
persuade être en son pouvoir, que lorsque des
motifs particuliers l'y déterminent. Jusqu'à ce que
les causes interviennent, tout acte lui est impos-
sible : mais une fois qu'elles agissent sur lui, il
doit, aussi bien que Teau, agir comme l'exigent les
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 85
circonstances correspondant à chaque cas. Son
erreur, et en général l'illusion provenant ici d'une
fausse interprétation du témoignage de la conscience
(qu'il puisse, en un instant donné, accomplir indif-
féremment ces divers actes), repose, à y regarder
de près, sur ce fait, que son imagination ne peut
se rendre présente qu'une seule image à la fois,
laquelle, au moment où elle lui apparaît, exclut
toutes les autres. Si maintenant il se représente
le motif d'une de ces actions proposées comme
possibles, il en sent immédiatement l'influence sur
sa volonté, qui est sollicitée par lui : le terme
technique pour désigner ce mouvement est vel-
léité ^. Mais il s'imagine qu'il peut aussi transfor-
mer cette velléité en volitiortj c'est-à-dire accom-
plir l'action qu'il envisage actuellement : et c'est en
cela que consiste son illusion. Car aussitôt la ré-
flexion interviendrait et rappellerait à son souvenir
les motifs agissant sur lui dans d'autres sens, ou
les motifs contraires : et alors il verrait qu'il ne
peut pas réaliser cette action. Pendant que des
motife s'excluant l'un l'autre se succèdent de la
sorte devant l'esprit, avec l'accompagnement per-
pétuel de l'affirmation intérieure : a Je peux faire ce
que je veux, » la volonté se meut comme une gi-
1. C'est la velléitéy à proprement parler* que Scho*
penhauer a confondue plus haut (p. 30; avec le désir.
86 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
rouelle 1 sur un support bien graissé et par un
vent inconstant; elle se tourne aussitôt du côté
de chaque motif que rimagination lui représente;
tous les possibles influent sur elle tour à lour ; et
Thomme croit à chaque fois qu'il est dans son pou-
voir de vouloir telle ou telle chose, et de fixer la
girouette en telle ou telle position; ce qui est une
pure illusion. Car son affirmation « je peux vouloir
ceci » est en vérité hypothétique, et il doit la com^
pléter en ajoutant : « si je ne préfère telle autre
chose. 9 Mais cette restriction seule suffit pour in-
firmer rhypothèse d'un pouvoir absolu du moi sur
la volonté. — Reprenons l'exemple de tout à l'heure,
notre individu qui délibère à six heures du Sfoir/ét
figurons-nous qu'il s'aperçoive tout à coup que je me
tiens derrière lui, que je philosophe sur son compte,
et que je lui conteste la liberté d'accomplir lK)usles
actes qui lui sont possibles ; alors il pourrait fadle-
ment arriver que, pour me contredire, il en accom-
plit un quelconque : mais en ce cas ce serait juste-
ment l'expression de mon doute et l'influencequ'e^e
a exercée sur son esprit de contradiction, qui au-
raient été les. motifs nécessitants de son action ^.
1. Comparaison reprise de Bayle.
2. Les déterministes réfutent ainsi l'argument puéril
dit des pariSy qui vaut tout au plus contre le fatalisme
mahométan, et qu'on s'étonne de retrouver dans Le .Devoir
(p. 5). M. Fouillée en a fai* justice. [Liberté et Déteimi-
niame, p. 15)
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 87
Toutefois une pareille circonstance ne pourrait le
décider qu'à Tune ou à l'autre des actions faciles
parmi celles qu'il lui est loisible d accomplir, par
exemple d'aller au théâtre, mais nullement à celle
que j'ai nommée en dernier lieu, d'aller courir les
aventures dans le monde ; pour cela un motif de
contradiction serait beaucoup trop faible. —
Telle est encore l'erreur de beaucoup de gens,
qui, tenant à la main un pistolet chargé, s'imagi-
nent qu'il est en leur pouvoir de se tuer en le dé-
chargeant. Pour l'accomplissement d'un acte sem-
blable, le moyen mécanique d'exécution est ce
qu'il y a de moins important. La condition capitale
est l'intervention d'un motif d'une force écrasante,
et par là même fort rare, possédant la puissance
énorme qui est nécessaire pour contrebalancer en
nous l!amour de la vie, ou plus exactement la
crainte de la mort. Ce n'est qu'après qu*un pareil
motif est entré en jeu, que l'on peut se décider
vraiment, et alors il le faut, — à moins qu'il ne
se présente un motif opposé plus puissant encore,
si toutefois il peut en exister de tel.
Je peux faire ce que je veux : je peux, si je
veux, donner aux pauvres tout ce que je possède,
et devenir pauvre moi-même — si je veux ! — Mais
il n'est pas en mon pouvoir de le vouloir, parce
que les motifs opposés ont sur moi beaucoup trop
d'empire. Par contre, si j'avais un autre carao
\
88 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
tèrcy et si je poussais l'abnégation jusqu'à la sain-
teté, alors je pourrais vouloir pareille chose : mais
alors aussi je ne pourrais pas m'empôcher de la
faire, et je la ferais nécessairement. — Tout cela
s'accorde parfaitement avec le témoignage de la con-
science a je peux faire ce que je veux », où aujour-
d'hui encore quelques philosophâtres sans cervelle
slmaginent trouver la preuve du libre arbitre* , et
qu'ils font valoir en conséquence comme une vérité
de fait que la conscience atteste. Parmi ces derniers
se distingue M. Cousin, qui mérite sous ce rapport
une mention honorable, puisque dans son Cours
d'Histoire de la Philosophie, professé en 1810-
1820, et publié par Yacherot, 1841, il enseigne
que le libre arbitre est le fait le plus certain dont
témoigne la conscience (vol. I, p. 19, 20) ; et il
blâme Kant de n'avoir démontré la liberté que par
la loi morale, et de l'avoir énoncée comme un
postulat, tandis qu'en vérité elle est un fait :
c Pourquoi démontrer ce qu'il suffit de constater? »
(Page 50). « La liberté est un fait, et non une
croyance > (Ibid.). — D'ailleurs il ne manque pas
1. Maine de Biran, Fénelon, Bossuet, et môme Descartes
€ notre grand Descartes, le fondateur de la philosophie
subjective, » comme l'appelle quelque part Schopenhauer,
ont admis la liberté d'indifférence comme un fait attesté
par la conscience, sans mériter pourtant, à ce qu'il semble,
répithète peu courtoise que Schopenhauer inflige à
M. Cousin.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 89
non plus en Allemagne d'ignorants, qui, jetant au
vent tout ce que de grands penseurs ont dit à ce
sujet depuis deux cents ans et se targuant du témoi-
gnage de la conscience tel quHl a été analysé plus
haut (témoignage qu'ils interprètent à faux, de
même que le vulgaire en général), préconisent le
libre arbitre comme une vérité de fait. Et cependant
je leur fais peut-être tort; car il se peut qu'ils ne
soient pas aussi ignorants qu'ils le paraissent, mais
seulement qu'ils aient bien faim, et que, dans l'es-
poir d*un morceau de pain très-sec, ils enseignent
tout ce qui pourra être bien vu par un haut mi-
nistère ^.
Ce n'est nullement une métaphore, ni une
hyperbole, mais seulement une vérité bien simple
et bien élémentaire, que, de même qu'une bille
1. « Hobbes, Spinoza, Priestley, Voltaire, même Kant,
ont déjà enseigné avant moi la détermination rigoureuse
des actes. Cela n'empêche point que nos dignes profes-
seurs de philosophie parlent du libre arbitre comme d'une
chose dont on ne doute plus. Mais enfin, je le demande
à ces messieurs, pourquoi s'imaginent-ils que ces grands
hommes que je viens de nommer ont, par un bienfait de
la nature, paru sur la terre? Pour qu'ils puissent, eux,
vivre de la philosophie, — n'est-ce pas? » — (Disser-
tation sur le Quadruple Principe, etc..) — « Une seconde
classe de gens qui vivent du besoin métaphysique de
rhomme, ce sont ceux qui vivent de la philosophie. On
les appelait chez les Grecs sophistes ; chez les modernes,
ce sont les professeurs de philosophie. Mais il arrive
rarement que ceux qui vivent de la philosophie vivent
pour la philosophie. > {Welt als Wille, t. II, chap. 17;
passage traduit par M. Ribot, p. 28 de l'ouvr. cité.)
90 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sur un billard ne peut entrer en mouvement, avant
d'avoir reçu une impulsion, ainsi un homme ne
peut se lever de sa chaise, avant qu'un motif ne
l'y détermine : mais alors il se lève d'une façon
aussi nécessaire et aussi inévitable que la boule se
meut après avoir reçu Timpulsion. Et s'attendre
à ce qu'un homme agisse de quelque manière,
sans qu'aucun intérêt ne Ty sollicite, c'est comme
si j'allais m'imaginer qu'un morceau de bois pût se
mettre en mouvement pour venir vers moi, sans
être tiré par une corde i. Celui qui soutenant cette
théorie dans une société rencontrerait une contra-
diction obstinée, se tirerait d'affaire de la façon la
plus ezpéditive en priant un tiers de s'écrier tout
à coup d'une voix forte et convaincue : a Le pla<^
fond s'écroule! > et les contradicteurs devraient
bien vite se ranger à son opinion, et confesser
qu'un motif peut être aussi puissant pour faire fuir
des gens hors d'une maison que la cause mécani-
que la plus efficace.
L'homme, en effet, ainsi que tous les objets de
l'expérience, est un phénomène dans l'espace et
dans le temps, et comme la loi de la causalité vaut
à priori pour tous les phénomènes, et par suite
i. Toutes les comparaisons de ce genre pèchent par
la base : elles reposent sur une confusion systémaii-
que entre les causes efficientes et les causes finales.
(V. suprà, p. 62 )
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 91
ne souffre pas d'exception, Thomme doit aussi être
soumis à cette loi. C'est cette vérité que proclame
la raison pure à priori, que confirme l'analogie
qui persiste dans toute la nature, que Texpérience
ùû tous les jours démontre à chaque instant,
poorva qu'on ne se laisse pas tromper par l'ap-
parence. Ce qui produit l'illusion c'est que, tan-
dis que les êtres de la nature, s'élevant de degré
en d^ré, deviennent de plus en plus compliqués,
et que leur réceptivité, naguère purement méca-^
nique, se perfectionne graduellement jusqu'à der
venir chimique, électrique, excitable, sensible, et
s'élève enfin jusqu'à la réceptivité intellectuelle et
rationnelle, la nature des causes influentes doit en
même temps suivre cette gradation d'un pas égal,
et se modifier à chaque degré en rapport avec
Tètre qui doit subir leur action; c'est pourquoi
aussi les causes paraissent de moins en moins pal-
pables et matérielles, de sorte qu'à la fin elles ne
sont plus visibles à l'œil, mais seulement accessi-
bles à la raison, qui, dans chaque cas particulier,
les présuppose avec une confiance inébranlable et
les découvre aussi après les recherches suffisantes.
Car ici les causes agissantes se sont élevées à la
hauteur de simples pensées, qui se trouvent en
lutte avec d'autres pensées, jusqu'à ce que la plus
puissante porte le premier coup et mette la volonté
en mouvement ; toutes opérations qui se poursui*
92 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
vent avec la même nécessité dans Fenchainement
causal, que lorsque des causes purement méca-
niques, dans une liaison compliquée , agissent à
rencontre les unes des autres, et que le résultat
calculé d'avance arrive immanquablement. Cette
exception apparente aux lois de la causalité, résul-
tant de l'invisibilité des causes, parait se produire
aussi bien dans le cas des petites balles de liège
électrisées qui sautent dans toutes les directions
sous la cloche de verre, que dans celui des mou-
vements humains : seulement, ce n'est pas à l'œil
qu'il appartient de juger, mais à la raison.
Si l'on admet le libre arbitre, chaque action
humaine est un miracle inexplicable, un etTet sans
cause. Et si l'on essaie de se représenter cette
Uberté d'indifférence, on se convaincra bientôt
qu'en présence d'une telle notion la raison est
absolument paralysée : les formes mêmes de l'en-
tendement y répugnent. Car le principe de raison
suffisante, le principe de la détermination univer-
selle et de la dépendance mutuelle des phéno-
mènes, est la forme la plus générale de notre
entendement, laquelle, suivant la diversité des
objets qu'il considère, revêt elle-même des aspects
fort différents i. Mais ici il faut que nous nous
figurions quelque chose qui détermine sans être
déterminé, qui ne dépende de rien, mais dont
1. Voyez la note de la page 53.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 93
â*autres choses dépendent, qui, sâns nécessité et
par suite sans raison, produit actuellement A,
tandis qu*il pourrait aussi bien produire B, ou G,
ou D, et cela dans des circonstances identiques,
c'est-à-dire sans qu'il y ait à présent rien en A, qui
puisse lui faire donner la préférence sur B (car ce
serait là un motif, et par conséquent une cause),
pas plus que sur G ou sur D. Nous sommes rame-
nés ici à la notion indiquée dès le commencement
de ce travail (p. 11), celle du hasard absolu. Je le
répète : une telle notion paralyse complètement
l'esprit, à supposer même qu'on réussisse à la lui
faire concevoir.
Il convient maintenant de nous rappeler ce
qu*est une cause en général : La modification
antécédente qui rend nécessaire la modification
conséquente ^ Jamais aucune cause au monde ne
tire son effet entièrement d'elle-même, c'est-à-dire
ne le crée ex nihilo 2. H y a toujours une matière
sur laquelle elle s'exerce, et elle ne fait qu'occa-
sionner à un moment, en un lieu, et sur un être
1. La définition scolastique : c Per causam intelligo
id quo suhlato toîlitur effectua, > a le défaut de s'appli-
quer aussi bien aux conditions d*un fait qu'à sa cause.
2. Il est assez remarquable que ceux qui nient la
création et soutiennent Vaséité du inonde, nient aussi le
libre arbitre : Spinoza, les matérialistes du xyiii» siècle,
Schopenhauer(y. infrà^ p. 144) sont dans ce cas. — L'ana-
logie profonde qui existe entre l'acte créateur de la toute-
puissance divine et l'acte libre de la volonté humaine, a
94 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
donnés, une modification qui est toujours conformé
à la nature de cet être, et dont la possibilité devait
donc préexister en lui. Par conséquent chaque effet
est la résultante de deux facteurs, un intérieur et
un extérieur : l'énergie naturelle et originelle de la
matière sur laquelle agit la force en question, et la
cause déterminante, qui oblige cette énergie à se
réaliser, en passant de la puissance à Tacte. Cette
énergie primitive est présupposée par toute idée de
causalité et par toute explication qui s'y rapporte
aussi une explication de ce genre, quelle: qu'elle
soit, n'explique jamais tout, mais laisse toujours
en dernière analyse quelque chose, dlnexplicable.
C'est ce que nous constatons à chaque instant dans
la physique et la chimie. L'explication des phéno-
été admirablement marquée par M. Cousin : c L'homme
ne tire point du néant Taction qu'il n'a pas faite encore,
et qu'il va faire, il la tire de la puissance très-réelle qu'il
a de la faire. La création divine est de la même nature.
Dieu en créant l'univers ne le tire pas du néant, qui
n'existe pas, qui est un pur mot, il le tire de lui-môme^
de cette puissance de causation et de création diont nous
possédons une faible partie, etc. » (Cours de VHist, de la
Phil. moderne^ t. I, p. 100 sqq.) Ce n'est donc pas sans
quelque surprise que nous avons lu ces lignes de II. Va-
cherot, auxquelles la citation précédente peut servir de
réfutation : « Le plus inintelligible des mystères, c'est la
création ex nihilo, . . Et cela est tout simple : pour qu'une
explication, si hypothétique qu*elle soit, devienne inteUi-
gibie, il faut qu'elle se fonde sur une analogie quelconque.
Or il rCest aucune opération.,, qui puisse éveiller dans
l'esprit ridée de la création ex nihilo, » {Revue des Deux»
Mondes du 1»' septembre 1876.)
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 95
mènes, c'est-à-dire des effets, ainsi que les raisonne-
ments qui ramènent ces phénomènes à leur source
dernière, présupposent toujours l'existence de cer-
taines forces naturelles. Une force naturelle consi-
dérée en elle-même n'est soumise à aucune expli-
cation, mais elle est le principe de toute explication..
De même, elle n'est non plus soumise en elle-même
à aucune causalité, mais elle est précisément ce qui
donne à chaque cause la causalitéj c'est-à-dire la
possibilité de produire son effet. Elle-même est le
substratum commun de tous les effets de cette
espèce, et est présente dans chacun d'eux. C'est
ainsi que les phénomènes magnétiques peuvent
être ramenés à une force originelle, appelée élec-
tricité. L'explication ne peut pas aller plus loin :
elle ne donne que les conditions sous lesquelles
une pareille force se manifeste, c'est-à-dire les
causes qui provoquent son activité. Les explica-
tions de la mécanique céleste présupposent toutes
comme force primitive la gravitation, en vertu
de laquelle les causes individuelles, qui détermi-
nent la marche des corps célestes, exercent leur
action. Les explications de la Chimie présupposent
les forces cachées, qui se manifestent, en tant
qu'affinités électives , d'après certains rapports
stœchiométriques, et sur lesquelles reposent en
dernière analyse tous les effets qui, appelés par
des causes que Ton détermine à l'avance, entrent
96 ESSAI SUH LE LIBRE ARBITRE
en jeu avec une exactitude rigooreuse. Ainsi en-
core les explîcatioDsâeîapbyâoIogie présupposent
la force Titale, qui réagit dans les phénomènes
vitaux sous TinOuence d'excitations spéciales, inté-
rieures et extérieures. Il en est de même pour
toutes les sciences. Il n'est point jusqu*aux causes
dont s'occupe la science si claire de la mécanique,
comme la poussée et la pression, qui ne présup-
posent rimpénétrabilité, la cohésion, la rigidité, la
dureté, l'inertie, la pesanteur, l'élasticité, pro-
priétés naturelles des corps qui dérivent des forces
irréductibles dont nous avons parlé plus haut. Il
s'en suit que les causes en général ne déterminent
jamais que le quando et le ubi des manifesta-
tions de certaines forces originelles, impénétrables,
sans lesquelles elles n'existeraient pas en tant que
causes, c'est-à-dire en tant que forces actives,
produisant nécessairement certains effets parti-
culiers.
Ce qui est vrai des causes dans le sens le plus
étroit du mot, ainsi que des excitations, Test éga-
lement des motifs, puisque la motivation ne diffère
pas essentiellement de la causation en général,
mais n'en est qu'une forme particulière, à savoir
la causation qui opère par l'intermédiaire de Ten-
lendement. Ici encore la cause ne fait que pro-
ifoquer la manifestation d'une force irréductible à
tarem plot simples, et qu'il faut admettre
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 97
30inme un fait premier et inexplicable, laquelle,
portant le nom de volonté ^ se distingue des
autres forces de la nature en ce qu'elle ne se fait
pas seulement sentir à nous par le dehors, mais,
grâce à la conscience, nous est aussi connue par
le dedans et immédiatement. Ce n'est qu'avec la
présupposition qu'une telle volonté existe, et, dans
chaque cas particulier, qu'elle a une nature déter-
minée, que les causes dirigées sur elle, appelées ici
motifs, peuvent exercer leur action. Cette nature
spéciale et individuellement déterminée de la
volonté, en vertu de laquelle sa réaction sous
l'influence de motifs identiques diffère d'un homme
à l'autre, constitue ce qu'on appelle le carac-
tère de chacun, et même (parce qu'il n'est pas
connu à priori , mais seulement à la suite de
l'expérience), son caractère empirique. C'est la
nature de ce caractère qui détermine le mode
d'action particulier des différents motifs sur cha-
que individu donné. Car il est à la base de tous les
effets que les motifs provoquent, comme les forces
naturelles générales sont à l'origine des effets
1. a Mais si on se pose cette question dernière :
« Cette volonté qui se manifeste dans le monde et par le
monde, qu'est-elle absolument et en elle-même ^ 9 II n'y
a aucune réponse possible à cette question f puisque être
connu est en contradiction avec être en soi et que tout
ce qui est connu est par là-môme phénomène. » {Welt als
Wiîle, t. II ch. 25 — Cité par M Ribot, p. 92).
6
98 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
produits par les causes prises dans le sens le plus
étroit du mot, comme la force vitale est à la source
des phénomènes produits par les excitations. Et de
même que toutes les forces de la nature, il est, lui
aussi, primitif, inaltérable, impénétrable. Chez les
animaux, il varie d'espèce à espèce; diez les
hommes, d'individu à individu. Ce n'est que dans
les animaux supérieurs les plus intelligents que se
montre déjà un caractère individuel nettement
défini, au dessus duquel le caractère général de
l'espèce se révèle toujours encore comme domi-
nant.
Le caractère de l'homme est : !• Individuel: il dif-
fère d'individu à individu. Sans doute, les traits géné-
raux du caractère spécifique forment la base com-
mune de tous, et c'est pourquoi certaines qualités
principales se retrouvent chez tous les hommes. Mais
il y a là une telle différence dans le plus et le moins,
dans la combinaison des qualités et leur modifica-
tion les unes par les autres, que la dissemblance
morale des caractères peut être considérée comme
égale à celle des facultés intellectuelles, ce qw
veut beaucoup dire, — et que toutes les deuî
sont incomparablement plus considérables que le.'
inégalités corporelles entre un géant et un nain,
entre Apollon et Thersite. C'est pourquoi l'action
d'un môme motif varie tant d'un homme à un
autre, de môme que la lumière du soleil blanchit
LA VOLONTÉ DRVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 99
la cire et noircit le chlorure d'argent, et que la
chaleur ramollit la cire, mais durcit Targile. C'est
pourquoi encore la connaissance des motifs ne
suffit pas pour prédire l'action qui doit en résul-
ter : il faut en outre la connaissance exacte du
caractère qu'ils sollicitent.
2* Le caractère de Thomme est empiHque. Par
Texpérience seule on apprend à le connaître, non-
seulément tel qu'il est dans autrui, mais tel qu'il
est en nous-mômes. Aussi n'est-on pas moins
souvent désillusionné sur son propre compte que
sur celui des autres, lorsque l'on découvre qu'on
ne possède pas telle ou telle qualité, par exemple la
justice, le désintéressement, la bravoure, au même
degré qu'on le supposait, avec trop de complai-
sance pour soi. Dans le cas d'un choix difficile qui
se trouve soumis à notre volonté, notre résolution
finale reste pour nous-mêmes un secret, comme la
résolution d*une personne étrangère, aussi long-
temps que nous ne nous sommes pasdécidés : tantôt
nous pensons qu'elle inclinera d'un côté, tantôt de
l'autre, selon que tel ou tel motif est présenté plus
immédiatement à la volonté par l'entendement, et
qu'il essaie au moment même sa force sur elle :
c'est alors que cette pensée < je peux faire ce que
je veux » nous offre l'apparence trompeuse d'une
affirmation du libre arbitre. Enfin le motif le plus
fort fait valoir définitivement son droit sur la vo-
100 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
lonté ; et le choix tombe souvent autrement que
nous ne supposions d'abord. Par suite, nul ne peut
savoir comment un autre homme, ni même com-
ment lui en personne agira dans une circonstance
déterminée, avant qu'il ne s'y soit trouvé. Ce n'est
qu'après une épreuve subie qu'il peut être certain
des autres et de lui-même. Mais alors il peut l'ôtre
en toute sécurité : l'amitié éprouvée, des servi-
teurs éprouvés, sont les choses les plus sûres du
monde *. En général, nous traitons un homme qui
nous est exactement connu, comme toute chose,
dont nous avons déjà appris à connaître les qua-
lités, et nous prévoyons avec assurance, dans l'a-
venir, ce qu'il nous est permis ou non d'attendre
de lui. Celui qui a fait une fois telle chose, agira
encore de même le cas échéant, en bien comme
en mal. Aussi celui qui a besoin d'une aide considé*
rable, extraordinaire, s'adressera-t-il de préférence
à un homme ayant donné des preuves de sa gran-
deur d'âme : et celui qui veut aposter un meur-
trier, jettera lés yeux sur les gens qui ont déjà
trempé leurs mains dans le sang. D'après le récit
d'Hérodote (VII, 164), Gélon de Syracuse, se trou-
vant dans la nécessité de confier une très -forte
somme à un homme pour la porter à l'étranger,
choisit à cet effet Kadmos, qui avait donné jadis un
!• Mn* Necker a écrit dans le môme esprit : « La
probité reconnue est le plus sûr de tous les serments. »
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 101
témoignage éclatant d'une loyau é et d'une bonne
foi rares et même inouïes. Sa confiance fut pleine-
ment justifiée. — Pareillement, ce n'est que par Tex-
périence, et à mesure que l'occasion s'en présente,
que notre connaissance de nous-mêmes s'approfon-
dit, et c'est sur elle que repose noire confiance ou
notre méfiance en nos propres moyens. Selon que
dans un cas nous avons montré de la réflexion, du
courage, delà loyauté, de la discrétion, de la délica
tesse, ou toute autre qualité que pouvaient récla-
mer les circonstances, — ou que ne us avons donné
la preuve de l'absence de ces qualités, cette con-
naissance plus intime avec nousrr êmes nous ins-
pire de la satifaction ou du mécontentement tou-
chant notre propre nature. Ce n'est que la con-
naissance exacte de son caractère empirique qui
donne à l'homme ce qu'on appelle le caractère ac-
quis : celui-là le possède, qui connaît exactement
ses qualités personnelles^ les bonnes comme les
mauvaises, et voit par là sûrement ce qu'il peut
ou ne peut pas attendre et exiger de lui-même. Il
joue dès lors son rôle, que naguère, au moyen de
son caractère empiiique, il ne faisait que natura-
liser (réaliser), — avec art et méthode, fermeté et
convenance, sans jamais, comme on dit, se départir
de son caractère, ce qui n'arrive qu'à ceux qui
entretiennent quelque illusion sur leur propre
compte.
6.
102 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
3^ Le caractère de l'homme est invariable : il
reste le même pendant toute la durée de sa vie.
Sous Tenveloppe changeante des années, des cir-
constances où il se trouve, même de ses con-
naissances et de ses opinions, demeure, comme
Fécrevisse sous son écaille, Thomme identique et
individuel, absolument immuable et toujours le
même. Ce n'est que dans sa direction générale et
dans sa matière que son caractère éprouve des
modifications apparentes, qui résultent des difiEé*^
rencesd'âges,et des besoins divers qu'ils suscitent.
Vhomme même ne change jamais : comme il â
agi dans un cas, il agira encore, si les mêmes cir^
constances se présentent (en supposant toutefois
qu'il en possède une connaissance exacte). L'expô?
rience de tous les jours peut nous fournir la cou*
fîrmation de cette vérité : mais elle semble le ptas
frappante, quand on retrouve une personne de
connaissance après vingt ou trente années, et qu'on
découvre bientôt qu'elle n'a rien changé à ses pro-
cédés d'autrefois. — Sans doute plus d'un niera en
paroles cette vérité : et cependant dans sa conduite
il la présuppose sans cesse, par exemple quand il re-
fuse à tout jamais sa confiance à celui qu'il a trouvé
une seule fois malhonnête, et, inversement, lors-
qu'il se confie volontiers à l'homme qui s'est un jour
inontré loyal. Car c'est sur elle que repose la pos-
sibilité de toute connaissance des hommes, ainsi
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 103
que la ferme confiance que l'on a en ceux qui ont
donné des marques incontestables de leur mérite.
Et môme lorsqu'une «pareille confiance nous a
trahis une fois, nous ne disons jamais : « le carac-
tère d'un tel a changé », mais : a je me suis abusé
sur son compte. » G* est en vertu de ce même prin-
cipe que lorsque nous voulons juger de la valeur
morale d'une action, nous cherchons avant tout h
connaître avec certitude le mo6f qui Ta inspirée,
et qu'alors notre louange ou notre blâme ne porte
pas sur le motif, mais sur le caractère qui s'est
laissé déterminer par lui, en tant que second fac-
teur de cette action, et le seul qui soit inhérent b
Fhomme. — C'est pourquoi aussi l'honneur vé-
ritable (non pas l'honneur chevaleresque, qui
est celui des fous), une fois perdu, ne se retrouve
jamais, mais que la tache d'une seule action mé-
prisable reste attachée à l'homme, et, comme on
dit, le stigmatise. De là le proverbe : a Voleur
un jour, volera toujours. »> — De même encore,
si dans quelque aiSaire d'État importante il a été
jugé nécessaire de recourir à la trahison, et par-
tant de récompenser le traître dont on a em-
ployé les services, une fois le but atteint, la pru-
dence commande d'éloigner cet homme, parce que
lescirconstances peuvent changer, tandis que son
caractère ne le peut pas. — Pour le même mo-
tif, on sait que le plus grave dé£aut d'un auteur
104 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
dramatique est que ses caractères ne se soutiennent
pas, c'est-à-dire qu^ils ne soient pas tracés d'un
bout à l'autre comme ceux»que nous ont repré-
sentés les grands poètes , avec la constance et
l'inflexible logique qui président au développement
d'une force naturelle (je l'ai prouvé par un exemple
emprunté à Shakespeare, Parerga, V, 2, § 118,
p. 196 de la 1" édition). — C'est encore sur cette
vérité que repose la possibilité de la conscience
morale, qui nous reproche jusque dans la vieillesse
les méfaits de notre jeune âge. C'est ainsi, par
exemple, que J.-J. Rousseau, après plus de qua-
rante ans, se rappelait avec douleur avoir accusé
la servante Marion d'un vol, dont il était lui-môme
l'auteur. Cela n'est explicable qu'en admettant
que le caractère soit resté invariable dans l'in-
tervalle; puisque au contraire les plus ridicules
méprises, la plus grossière ignorance , les plus
étonnantes folies de notre jeunesse ne nous font
pas honte dans l'âge mûr ; car tout cela a changé^
c'était TafTaire de Tintelligence, nous sommes re-
venus de ces erreurs, et nous les avons mises
de côté depuis longtemps comme nos habits de
jeunes hommes. — De là découle encore ce fait^
qu'un homme, même quand il a la connaissance la
plus claire de ses fautes et de ses imperfections
morales, quand il les déteste même, quand il prend
la plus ferme résolution de s'en corriger, ne se
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 105
corrige néanmoins jamais complètement ; bientôt,
malgré de sérieuses résolutions, malgré des pro-
messes sincères, il s'égare de nouveau, quand
l'occasion s'en présente, sur le même sentier
qu'auparavant, et s* étonne lui-même quand on le
surprend à mal faire ^ Sa connaissance seule peut
être redressée : on peut arriver à lui faire com- V
prendre que tels ou tels moyens, qu'il employait
autrefois, ne conduisent pas à son but, ou lui pro-
curent plus de dommage que de profit : alors il
change de moyens, mais non de but. C'est là le
principe du système pénitencier américain : il ne
se propose pas d'améliorer le caractère, le cœur
même du coupable, mais plutôt de rétablir l'ordre
dans sa tête, et de lui montrer que ces mêmes fins,
qu'il poursuit nécessairement en vertu de sa na-
ture et de son caractère, lui coûteront à atteindre
beaucoup plus de difficulté, de fatigue, et de danger,
sur le chemin de la malhonnêteté suivi par lui
jusque-là, que sur la voie de la probité, du travail
et de la tempérance. En général ce n'est que jus-
qu'à la région de la connaissance que s'étend la
sphère de toute amélioration possible et de tout
1. Les poètes anciens ont souvent exprimé cette vérité,
mais aucun ne l'a fait avec autant de vigueur que
Perse (V, 159) :
Nam et lactata canis nodum abripit : attamen illr
Qaam fugit, a oollo trahitar para loaga caten».
106 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
enDoblissement de Tâme. Le caractère est inva-
riable, Faction des motifs fatale : mais ils doivent
aArant d'agir passer parrentendement, qui est le me-
(Muni des motifs. Or celui-ci est susceptible à des
degffés infinis des perfectionnements les plus divers
et d*un redressement incessant : c'est là le but
même vers lequel tend toute éducation. La cul-
ture de Tintelligence, enrichie de connaissances
et de vues de toute sorte, dérive son importance
de ce que des motifs d'ordre supérieur, auxquels
sans cette culture l'homme ne serait pas acces^
sàble^ peuvent se frayer ainsi un chemin jusqu'à sa
volonté. Aussi longtemps que l'homme ne pouvait
pas comprendra ces moti&, ils étaient pour sa vo-
lonté comme s'ils n^existaient pas. C'est pourquoi,
les circonstances extérieures restant identiques, la
position d*ùn homme relativement à une résolution
possible peut être fort dififérente la seconde fois
de ce qu'elle était la première : il peut, pendant
L'intervalle, être devenu capable de concevoir les
mêmes circonstances d'une f^çon plus exacte: et
plus complète, et c'est ainsi que des motifs, aux-
quels il était autrefois inaccessible^ peuvent l'in-
fluencer aujourd'hui. Dans ce sens les scolastiques
disaient très-justement : c Causa finalis (le bût,
le motif) movet non secundum suum esse reaie,
sed secundum esse cognitum.. (Le motif meut
[la volonté] non d'après ce qu'il est en soi mais
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 407
seulement en tant qu*il est connu.) Mais au-
cune influence morale ne peut avoir pour résultat
d*autre redressement que celui de la connaissaMce
et l'entreprise de vouloir corriger les défauts du
caractère d*un homme par des discours et des
sermons de morale , et de transformer ainsi sa
nature même et sa propre moralité , n'est pas
moins chimérique que celle de changer le plomb
en or en le soumettant à une influence extérietire,
ou d'amener un chêne, par une culture très-soi-
gnée, à produire des abricots ^
Cette invariabilité fondamentale du caractère se
trouve déjà affirmée comme un fait indubitable
d«is Apulée (Oratio de Magiâ), où, se défeniâkant
de l'accusation de magie, il en appelle à son carac-
tère bien connu, et s'exprime ainsi ^ : « La mora-
ralité d'un homme est le plus sûr témoignage, et
si quelqu'un a constamment persévéré dans la
vertu ou dans le mal-, ce doit être le plus fort ar-
gument de toute poursuite ou de toute justifica-
tion 2.»
/
1 . Théognis : dUAà Jc^àffxuv — oGiron "Koniivttç r^y xoexày âvS/^'
6iyoi.Bàv. — Schopenhauer citait encore souvent le mot de
Sénèque : VeVe non discitur, II est vrai qu'on pourrait lui
répondre avec le même philosophe : Non dat natura virtU' [
tem : ars est bonum fieri. *'
2. Certum indicium cujusque animum esse, qui sempr ^
eodem ingenio ad virtutem vel ad malitiam morattts, fir*
mum argumentum est accipiendi criminis, aut respuendi*
— Trad. de M. Bétolaud.
408 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
40 Le caractère individuel est inné : il n'est pas
une œuvre d'art *, ni le produit de circonstances
fortuites, mais Touvrage de la nature elle-même.
Il se manifeste d*abord chez l'enfant, et montre
dès lors en petit ce qu'il doit être en grand. C'est
pourquoi deux enfants, soumis à une même édu-
cation et à l'influence d'un même entourage, ne
tardent pas cependant à révéler le plus claire-
ment possible deux caractères essentiellement dis-
tincts : ce sont les mêmes qu'ils auront un jour
étant vieillards. Dans ses traits généraux, le ca-
ractère est même héréditaire, mais du côté du
père seulement, Tintelligence par contre venant
de la mère : sur ce point, je renvoie au chapitre 45
de mon ouvrage capital 2 (Welt als Wille),
De cette explication de l'essence du caractère
individuel, il résulte sans doute que les vertus et
les vices sont choses innées. Cette vérité peut
paraître choquante à plus d'un préjugé et à plus
d'une philosophie de vieilles commères 3, jalouse
de ménager les prétendus intérêts pratiques, c'est-à-
1. Les Stoïciens anciens et modernes ont miUe fois
répété que l'homme est artifex vitœ, arlifex sut, « Tou-
vrier de sa nature morale, et l'artisan de son bonheur ou
de son malheur ici-bas. •
2. Schopenhauer aimait à se citer lui-même comme un
exemple à Tappui de cette théorie, du reste sans valeur.
(V. Ribot, ouvr. cit., p. 11.)
3. Rockenphilosophiey mot à mot, philosophie de que^
nouilles.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 109
dire ses idées mesquines, étroites, et ses vues bor-
nées d'écoles primaires ; mais telle était déjà la con-
viction du père de la morale, Socrate,qui, selon le
témoignage d'Aristole {Ethica magna, i ,9), préten-
dait a qu'il ne dépend pas de nous d'être bons on
méchants. » Les raisons qu'Aristote invoque contre
cette thèse sont manifestement mauvaises; d'ail-
leurs il partage lui-môme sur ce point l'opinion de
Socrate, et il l'exprime de la façon la plus claire
dans V Éthique à Nicomaque (vi, 11) : « Tout le
monde croit que chacune des qualités morales que
nous possédons se trouve en quelque mesure en
nous par la seule influence de la nature. Ainsi,
nous sommes disposés à devenir équitables et
justes, sages et courageux, et à développer d'au-
tres vertus, dès le moment de notre naissance. »
(Trad. de M. Barthélémy Saint-Hilaire.)
Et si l'on considère l'ensemble des vertus et des
vices tels qu'Aristote les a résumés en un rapide
tableau dans son ouvrage «: De virtutibus et
vitiis, on reconnaîtra que tous, supposés exis*
tant chez des hommes réels, ne peuvent être
pensés que comme des qualités innées, et ne sau-
raient être vrais que comme tels : par contre, s'ils
étaient nés de la réflexion et acceptés par la vo-
lonté, ils ressembleraient, à vrai dire, à une sorte
de comédie, ils seraient faux^ et par suite on ne
pourrait compter aucunement ni sur leur persis-
7
ilO ESSAI SUK LE LIBRE ABBITRB
Unce, m sur leur durée, soos la pression variable
des drconsUnces. Il en est de même de cette
verlQ chrétienne de Tamoar, caritaSj ignorée d'A-
rîstote OHnme de tons les anciens ^. Gomment se
poarrait41 que la bonté infatigable d*un homme,
aussi bien que la perversité incon^ible, profondé-
ment enracinée de tels autres, le caractère d'un An-
lonin, d^un Adnen, d'un Titus ^ d'une part, et celui
de Caligula^ de Néron, de Domitien de Fautre,
fussent en quelque sorte nés du dehors, l'ouvrage
de circonstances fortuites, ou une pure affaire d*in-
telligence et d^éducation! Sénèque ne fut-il pas
le précepteur de Néron? — CTest bien plutôt dans
le caractère inné, ce noyau véritable de l'homme
moral tout entier, que résident les germes de
toutes ses vertus et de tous ses vices. Cette con-
viction naturelle à tout homme sans préjugés gui-
dait déjà la plume de Yelleius Paterculus, quand
il écrivait les lignes suivantes sur Gaton (II, 35) :
« Gaton était Timage de la vertu même. Plus sem-
blable aux Dieux qu'aux hommes, par sa droiture
et par son génie, il ne fit jamais le bien pour pa-
raître le faire, mais parce qu'il lui était impos-
sible de faire autrement >. • (Trad. française de
M. Herbet.)
1. Il semble cependant qu*eUe n*est pas tout à fflât
étrangère au fameux Hoino sum du Tieux Térence !
2. « Ce passage tend à devenir peu à peu mie arma
régulière dans l'arsenal des déterministes, hooneur auquel
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIlEURE lU
Au contraire, dans l'hypothèse du libre arbitre,
la vertu et le vice, ou plus généralement ce fait,
que deux hommes semblabiement élevés, dans des
circonstances tout à fait pareilles, et soumis aux
mêmes influences, puissent agir tout différemment,
voire même de deux façons diamétralement oppo-
sées, sont des choses dont il est absolument impos-
sible de se rendre compte. La dissemblance effec-
tive, originelle, des caractères, est inconciliable avec
la supposition d*un libre arbitre consistant en ce que
tout homme, dans quelque position qu'il se trouve,
puisse agir également bien de deux façons oppo-
sées. Car alors il faudrait qu'à l'origine son carac-
tère fût une tabula rasa, comme Test l'intelligence
d'après Locke, et n'eût d'inclination innée ni dans
un sens, ni dans un autre ; parce que toute ten-
dance primitive supprimerait déjà le parfait équi-
libre, tel qu'on se le figure dans l'hypothèse de la
le bon vieil historien, il y a dix-huit cents ans, n*avait
certainement jamais rêvé. Hobbes Ta relevé le premier,
et après lui Priestley. Ensuite Schilling l'a reproduit, à la
p. 478 de sa dissertation sur la liberté, dans une traduc-
tion légèrement faussée au profit de sa thèse ; c'est pour
cela qu'il ne cite pas le nom de Velleius Paterculus, mais
se contente de dire, avec autant de réserve que de ma-
jesté : « un Ancien ». EtSiQ je n'ai pu m'empêcher de le
citer à mon tour, puisqu'il osl verilablementici à sa place. »
(Note de Schopenbauer.) — La vertu suprême ne détruit
pas plus le libre arbitre que la vie spirituelle n'anéantit la
personnalité : elle l'acbève au contraire, el en est la plus
haute expression. — Cf. Jouffroy, Mélanp» Philosophiques,
p. 361 sqq«
C
112 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
liberté d'indifférence. Avec cette hypothèse, ce
n'est donc pas dans le subjectif que peut résider
la cause de la différence indiquée plus haut entre
les manières d'agir des différents hommes; encore
moins serait-ce dans Yobjectif^ car alors ce se-
raient les objets extérieurs qui détermineraient
nos aclions, et la prétendue liberté serait entiè-
rement abolie. Il resterait encore une dernière
issue : ce serait de placer Torigine de cette grande
divergence constatée entre les façons d'agir des
hommes dans une région moyenne entre le' sujet
et l'objet, en lui assignant pour origine les diverses
manières dont l'objet est perçu et compris par le
sujet, c'est-à-dire les divergences entre les juge-
ments et les opinions des hommes. Mais alors
toute la moralité reviendrait à la connaissance
vraie ou fausse des circonstances présentes, ce qui
réduirait la différence morale de nos façons d'agir
à une simple différence de rectitude entre nos ju-
gements, et ramènerait la morale à la logique. —
Enfm les partisans du libre arbitre peuvent es-
sayer encore d'échapper à ce difficile dilemme, en
disant : « Il n'existe pas de différence originelle
entre les caractères, mais une pareille différence
est bientôt produite par l'action des circonstances
extérieureS|Jes impressions du dehors, l'expérience
personnelJje^^s exemples^ les enseignements, etc.;
et lorsque de celte manière le caractère individuel
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 413
s'est une fois définitivement fixé, on peut ensuite
expliquer par la différence des caractères la diffé-
rence des actions. » A cela on répond : 1^ que
dans cette hypothèse le caractère devrait se former
très-tard, — tandis qu'il est de fait qu'on le recon-
naît déjà chez les enfants, — et que la plupart des
hommes mourraient avant d'avoir acquis un ca-
ractère; 2o que toutes ces circonstances exté-
rieures, dont le caractère de chacun serait le ré-
sultat, sont tout à fait indépendantes de nous, et
se trouvent, quand le hasard, ou, si Ton veut, la
Providence les amène, complètement déterminées
dans lei)r nature. Si donc le caractère était le pro-
duit de ces circonstances, et que le caractère fût la
source de la différence des façons d'agir, on voit
que toute responsabilité morale serait absolument
supprimée, puisqu'il est manifeste que nos actions
seraient en dernière analyse Tœuvre du hasard
ou de la Providence. Nous voyons donc, dans l'hy-
pothèse du libre arbitre, l'origine de la différence
morale entre les actions humaines et par suite l'ori-
gine du vice et de la vertu, en même temps que le
fondement de la responsabilité, flotter en l'air sans
point d'appui, et ne trouver nulle part la moindre
petite place où pousser des racines dans le sol. Il
en résulte que cette supposition, quelque attrait
qu'elle puisse exercer au premier abord sur une
intjslligence peu cultivée, est pourtant au fond
114 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
tout autant en contradiction avec nos convictions
morales, qu'avec le principe fondamental que do-
mine tout noire entendement (le principe de rai-
son suffisante), comme il a été démontré plus haut.
La nécessité avec laquelle les motifs, ainsi que
toutes les causes en général, exercent leur action,
n'est donc pas une doctrine qui ne repose sur rien.
Nous avons maintenant appris à connaître le fait qui
lui sert de base, le sol même sur lequel elle s'appuie,
je veux dire le caractère inné et individuel. De:
même que chaque effet dans la nature inorganique
est le produit nécessaire de deux facteurs, qui
sont d'une part la force naturelle et primitive dont
l'essence se révèle en lui, et de l'autre la cause
particulière qui provoque cette manifestation;
ainsi chaque action d'un homme est le produit
nécessaire de son caractère, et du motif entré en
jeu. Ces deux facteurs étant donnés, l'action résulte
inévitablement. Pour qu'une action différente pût
se produire, il faudrait qu'on admît Texistence
d'un motif différent ou d'un autre caractère. Aussi
Ton pourrait prévoir, et même calculer d'avance
avec certitude chaque action, si le caractère n'é-
tait pas très-difficiie à déterminer exactement, et
si les motifs ne restaient pas souvent cachés, et
toujours exposés aux contre-coups d'autres mo-
tifs 1, qui seuls peuvent pénétrer dans la sphère
1. Les motifs moraux.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 115
de la pensée humaine , et sont incapables d*agir
sur tout autre être que sur Thomme. Par le ca-
ractère inné de chaque homme, les fins en général
vers lesquelles il tend invariablement, sont déjà dé-
terminées dans leur essence : les moyens auxquels
il a recours pour y parvenir sont déterminés tantôt
par les circonstances extérieures, tantôt par la
compréhension et par la vue qu'il en a, vue dont la
justesse dépend à son tour de son intelligence et
de la culture qu'elle possède. Comme résultat
final, nous trouvons Fenchaînement de ses actes,
et l'ensemble du rôle qu'il doit jouer dans le monde.
C'est donc avec autant de justesse dans la pen-
sée que de poésie dans la forme que Goethe,
dans une de ses plus belles strophes, a résumé
comme il suit cette théorie du caractère indivi-
duel :
Comme dans le jour qui t'a donné au monde,
Lé soleil était là pour saluer les planètes,
lu as aussitôt grandi sans cesse,
D'après la loi selon laquelle tu as commencé,
lelle est ta destinée, tu ne peux échapper à toi-même
Ainsi parlaient déjà les sibylles, ainsi les prophètes ;
Aucun temps, aucune puissance ne brise
La forme empreinte, qui se développe dans le cours de
[la vie 1.
Nous disions donc que la vérité fondamentale
sur laquelle repose la nécessité de l'action de
1. Dieu et le monde, poésies orphiques. ^ Traduclior
de M. Porchat, t. I, p. 312.
!i6 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
toutes les causes, est roxistence d*une essence in-
térieure dans tout objet de la nature, que cette es-
sence soit simplement une force naturelle géné-
rale qui se manifeste en lui, ou la force vitale, ou
la volonté : tout être, de quelque espèce qu'il soit,
réagira toujours sous l'influence des causes qui le
sollicitent conformément à sa nature individuelle.
Cette loi, à laquelle toutes les choses du monde,
sans exception, sont soumises, était énoncée par
les scolastiques sous cette forme : Operari sequitur
esse. (Chaque être agit conformément à son es-
sence.) Elle est également présente à l'esprit du
chimiste lorsqu'il étudie les corps en les soumet-
tant à des réactifs, et à celui de l'homme, quand il
étudie ses semblables en les soumettant à diverses
épreuves. Dans tous les cas, les causes extérieures
provoqueront nécessairement l'être affecté à ma-
nifesterce qu*il contient (son essence intérieure) :
car celui-ci ne peut pas réagir autrement qu'il
n'est.
Il faut rappeler ici que toute existence présup-
pose une essence : c'est-à-dire que tout ce qui est
doit aussi être quelque chosey avoir une essence
déterminée. Une chose ne peut pas exister et en
même temps n'être rien^ quelque chose comme
l'ens metaphysicum des scolastiques, c'est-à-dire
une chose qui est, et n'est rien de plus qu'une exis-
tence pure, sans aucun attribut ni qualité, et par
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 117
suite sans la manière d'agir déterminée qui en dé-
coule. Or, pas plus qu'une essence sans existence
(ce que Kant a expliqué par l'exemple connu des
cent écus] * , une existence sans essence ne pos-
sède de réalité. Car toute chose qui est doit avoir
une nature particulière, caractéristique, grâce à la-
quelle elle est ce qu'elle est, nature qu'elle atteste
par tous ses actes, dont les manifestations sont
provoquées nécessairement par les causes exté-
rieures ; tandis que, par contre, cette nature même
n'est aucunement l'ouvrage de ces causes, et n'est
pas modifiable par elles. Mais tout ceci est aussi
vrai de l'homme et de sa volonté, que de tous les
êtres de la création. Lui aussi, outre le simple at-
tribut de l'existence, a une essence fixe, c'est-à-
dire des qualités caractéristiques, qui constituent
précisément son caractère, et n'ont besoin que
d'une excitation du dehors pour entrer en jeu. Par
suite, s'attendre à ce qu'un homme, sous des
influences identiques^ agisse tantôt d'une façon,
et tantôt d'une autre absolument opposée, c'est
comme si Ton voulait s'attendre à ce que le
même arbre qui l'été dernier a porté des cerises,
porte l'été prochain des poires. Le libre arbitre
implique, à le considérer de près, une exis^
tence sans essence, c'est-à-dire quelque chose
1. Critique de la Raison Pure, Logique Transcendentale,
p 220 de la trad. Tissot.
7.
118 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
qui est et qui en même temps nest rien, par con-
séquent qui n'est pas, — d'où une contradiction
manifeste ^
C'est aux vues exposées ci-dessus, comme aussi
à la valeur certaine à priori et par suite absolu-
ment générale du principe de causalité, qu'il faut
attribuer ce fait, que tous les penseurs vraiment
profonds de toutes les époques, quelque différentes
que pussent être leurs opinions sur d'autres ma-
tières, se sont accordés cependant pour soutenir la
nécessité des volitions sous Tinlluence de motifs,
et pour repousser d'une commune voix le libre ar-
bitre. Et même — précisément parce que la grande
et incalculable majorité de la multitude, incapable
de penser et livrée tout entière à l'apparence et
au préjugé, a de tous temps résisté obstinément à
cette vérité, — ils se sont complus à la mettre en
toute évidence, à l'exagérer même^ et à la sou-^
tenir par les expressions les plus décidées, sou^
i . On ne peut songer à discuter ici tout au long cette ar-
gumentation très-bien conduite et très-serrée. Nous accor*
dons volontiers à Schopenhauer que nos actes sont la ré^
sultante de notre caractère et des molifs, mais, comme Ta
très-bien vu Reid, les motifs en eux-mêmes sont quelque
chose d'absolument inerte et indéterminé, et toute la
force qu'ils possèdent, c'est nous, le sujet, qui la leur don-
nons. En renonçant à la liberté d'indifférence, il n*est pas
impossible d'éviter le déterminisme : et Schopenhauer
aurait dû examiner de plus près Topinion de Leibniz, au
lieu de se contenter, en passant, de faire une aUusion dé
baigneuse à ce remarquable essai de conciliation.
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 4f9
vent même les plus dédaigneuses. Le symbole
le plus connu qu'ils aient adopté à cet effet est
ïâne de Buridan^ que Ton cherche toutefois en
vain, depuis environ un siècle, dans les ouvra-
ges qui nous restent sous le nom de ce so-
phiste. Je possède moi-même une édition des So-
phîsmata^ imprimée apparemment au xv® siècle,
sans indication de lieu, ni de date, ni même de
pagination, que j'ai souvent, mais inutilement,
feuilletée à cet effet, bien que presque à chaque
page l'auteur prenne pour exemples des ânes.
Bayle, dont l'article Buridan dans le Diction^
naire Historique est la- base de tout ce qui a été
écrit sur cette question , dit très-inexactement
qu'on ne connaît de Buridan que ce seul so-
phisme, tandis que je possède de lui tout un in-
quarto qui en est rempli. Bayle, qui traite la ques-
tion si explicitement, aurait dû aussi savoir (ce
qui d'ailleurs ne parait pas non plus avoir été re-
marqué depuis) que cet exemple, qui, dans une
certaine mesure, est devenu Texpression typique et
symbolique de la grande vérité pour laquelle je
combats, est beaucoup plus ancien que Buridan.
Il se trouve déjà dans le Dante, qui concentrait en
lui toute la science de son époque, et qui vivait
avant Buridan. Le poète, qui ne parle pas d'ânes,
msùs d'hommes, conunence le 4* livre de son Pa-
radiso par le tercet suivant :
120 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Entre deux mets placés à pareille distance,
fous deux d*égal attrait, rhomme libre balance
Mourant de faim avant de mordre à l'un des deux >.
Aristote lui-même exprime déjà cette pensée, lors-
qu'il dit (De cœlo, ii, i3) : « Il en est comme d'un
homme ayant très-faim et très-soif, mais se trou-
vant à une distance égale d*un aliment et d'une
boisson : nécessairement, il restera immobile. »
Buridan, qui a emprunté son exemple à cette
source, se contenta de mettre un âne à la place de
rhomme, simplement parce que c'est l'habitude
de ce pauvre scolastique de prendre pour exeni-
pies Socrate, Platon, ou asinus 2.
La question du libre arbitre est vraiment une
pierre de touche avec laquelle on peut distinguer
les profonds penseurs des esprits superficiels, ou
plutôt une limite où ces deux classes d'esprits se
1. Traduction de M. Ratisbonne. — Voici le tercet origi-
nal : Intra duo cibi, distanti è moventi — D'un modo,
2*rima si morria di fame^ — Che liber' uomo Vun recasse
à denti.
2. Depuis Schopenhauer, on n*a pas retrouvé dans Buri-
dan le sophisme en question. Personne non plus, à ce
qu'il semble, n*a tenu compte des intéressants rapproche-
ments qu'on vient de lire avec le Dante et Aristote. La
dernière édition du Dictionnaire Philosophique répète, au
sujet de Buridan, les explications de Bayle et de Tiede-
nann. — Quant à l'édition des Sophismata^ dont parle
Schopenhauer, elle se trouve partout mentionnée sans
rindication de la date ni du lieu de publication, tantôt
comme un in-4* et tantôt comme uo in-8».
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 121
séparent, les uns soutenant à runanimité la nê-
cessitation rigoureuse des actions humaines, étant
donnés le caractère et les motifs , les autres par
contre se ralliant à la doctrine du libre arbitre,
d* accord en cela avec la grande majorité des
hommes. Il existe encore un parti moyen, celui des
esprits timides, qui, se sentant embarrassés, lou-
voient de côté et d'autre, reculent le but pour eux-
mêmes et pour* autrui, se réfugient derrière des
mots et des phrases, ou tournent et retournent la
question si longtemps, qu'on finit par ne plus savoir
de quoi il s'agit. Tel a été autrefois le procédé de
Leibniz S qui était bien plutôt un mathématicien
et un polygraphe qu'un philosophe. Mais pour
mettre au pied du mur ces discoureurs indécis et
flottants, il faut leur poser la question de la manière
suivante, et ne pas se départir de ce formulaire :
1° Un homme donné, dans des circonstances
données, peut-il faire également bien deux actions
différentes, ou doit-il nécessairement en faire
une ? — Réponse de tous les penseurs profonds :
Une seulement.
1. « C'est la correspondance de Leibniz avec Coste
fOpera Phil., éd. Ennann, p. 447), qui nous montre le plus
clairement combien ses idées étaient peu arrêtées à ce
sujet. On en trouvera une autre preuve dans la Théodicée,
§ 45-53. » (Note de Schopenhauer). — En réalité, ce que
Schopenhauer ne peut pas pardonner à Leibniz, c'est
d'avoir été avant iui un « théoricien de la notion de
force. » V. infrà.
iî? ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
2* Est-ce que la carrière écoulée de la vie d'un
homme domié — ^ant admis que d'une part son
caractère reste invariable, et de l'antre qae les
circonstances dont il a eu à subir l'influence soient
déterminées nécessairement d'un bout à l'autre,
et jusqu'à la plus infime, par des moti& exté-
rieurs qui entrait toujours en jeu avec une né*
cesâté rigoureuse, et dont la chaîne continue,
formée d'une suite d'anneaux tous également
nécessaires, se prolonge à l'infini — est-ce que
cette carrière, en un point quelconque de son
parcours, dans aucun détail, aucune action, au-
cune scène, aurait pu être différente de ce qu'elle
a été? — Non , est la réponse conséquente et
exacte.
Le résultat de ces deux principes est celui-ci :
Tout ce qui arrive, les plus petites choses comme
les plus grandes, arrive nécessairement. Quidquid
fity necessario fit.
Celui qui se récrie à la lecture de ces principes
montre qu'il a encore quelque chose à apprendre
et quelque chose à oublier : mais il reconnaîtra
ensuite que cette croyance à la nécessité univer-
selle est la source la plus féconde en consolations
et la meilleure sauvegarde de la tranquillité de
Tâme. — Nos actions ne sont d'ailleurs nulle-
ment un premier commencement ^ et rien de véri-
tablement nouveau ne parvient en elles à l'exis-
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 123
leïice : mais par ce que nous faisons seulement^
nous apprenons ce que nous sommes.
C'est aussi sur cette conviction, sinon claire-
ment analysée, du moins pressentie, de la rigou-
reuse nécessité de tout ce qui arrive, que repose
Topinion si fermement établie chez les anciens au
sujet du Fatum^ reîfxapfjLevYi, comme aussi le fata-
lisme des Mahométans ^ ; j'en dirai autant de la
croyance aux présages, si répandue et si difficile
à extirper, précisément parce que môme. le plus
petit accident se produit nécessairement, et que
tous les événements, pour ainsi dire, marchent en
mesure sous une même loi, de manière que tout
se répercute dans tout. Enfin cette croyance im-
plicite peut servir à expliquer pourquoi l'homme,
qui, sans la moindre intention et par un pur hasard,
en a tué ou estropié un autre, porte toute sa vie le
deuil de ce piaculum^ avec un sentiment qui
semble se rapprocher du remords, et subit aussi
de la part de ses semblables une espèce particu-
lière de discrédit en tant que persona piacularis
(homme de malheur). Il n'est pas jusqu'à la doc-
trine chrétienne de la prédestination 2, qui ne soit
1. Les philosophes anciens ont presque toujours con-
fondu le fatalisme avec le déterminisme, qui en est, si
l'on peut dire, la forme scientifique. II est curieux de
suivre sur ce point les oscillations de la pensée d'un pro-
fond penseur comme Tacite, V. infrà, note 1 de la page ult.
2. Cette doctrine, comme on Ta remarqué, ressemble
124 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
un produit lointain de cette conviction innée de
l'invariabilité du caractère et de la nécessité de
ses manifestations. — Enfin je ne veux pas sup-
primer ici une remarque, tout à fait incidente du
reste, et à laquelle chacun, suivant ce qu'il pense
sur certains sujets, peut attacher la valeur qu'il lui
plaira. Si nous n*admettons pas la nécessitation
rigoureuse de tout ce qui arrive, en vertu d'une
causalité qui enchaîne tous les événements sans
exceptiop, et si nous laissons se produire en une
infinité d'eniroits de cette chaîne des solutions de
continuité, par l'intervention d'une liberté abso-
lue ; alors toute prévision de l'avenir, soit dans le
rêve, soit dans le somnambulisme clairvoyant, soit
dans la seconde vue, devient, même objective»
mentj tout à fait impossible, et par conséquent
inconcevable ; parce qu'il n'existe plus aucun ave-
nir vraiment objectif, qui puisse être possiblement
prévu ; tandis que maintenant nous n'en mettons
en doute que les conditions subjectives, c'est-à-
dire la possibilité subjective seulement. Et ce
doute lui-même ne peut plus subsister aujourd'hui
chez les personnes bien renseignées \ après que
singulièrement à celle de Kant^ et de Schopenhauer lui-
même, sur le choix extemporel.
1. Une aussi étrange affirmation doit surprendre au
premier abord dans la bouche d'un penseur comme Scho-
penhauer : elle est cependant^ à y regarder de près, en
parfaite harmonie avec sa philosophie athée, ou plutôt elle
LA VOLONTÉ DEVANT LA PERCEPTION EXTÉRIEURE 125
d*innombrables témoignages, issus de sources di-
gnes de foi, ont établi l'exactitude (la possibilité)
de cette anticipation de l'avenir.
J'ajoute encore quelques considérations, comme
corollaires à la doctrine ci-dessus établie, relative-
ment à la nécessité de tous les événements.
Que deviendrait le monde, si la nécessité n'était
en est une conséquence. A Rome, quand on ne crut plus à
Jupiter, on crut à Apollonius de Tyane : Schopenhauer, qui
ne croit pas en Dieu, croit aux devins et aux somnam-
bules. — Un peintre distingué, M. Lunteschutz, qui fut
pendant de longues années un des amis les plus intimes
de Schopenhauer, dont il nous a conservé un très-beau
portrait à l'huile (aujourd'hui à Francfort, dans un salon
de VHôtel d'Angleterre), me communique à ce sujet les
renseignements suivants : « Dans le commerce familier,
Schopenhauer parlait souvent de rêves, de somnambu-
lisme, de magnétisme, et il ne cachait point sa crédulité
à cet égard. Il m'a raconté aussi beaucoup d'histoires de
revenants, dont il ne semblait pas mettre en doute l'au-
thenticité, car il les racontait avec la plus grande émo-
tion .. Je n'ai pas connaissance qu'il ait jamais consulté
lui-même des somnambules... Pour ce qui est des pro-
phéties, il n'y croyait pas moins fermement qu'à l'appari-
tion des esprits. Je me souviens qu'un jour il me faisait
remarquer que cette croyance à la divination se retrouve
dans les traditions religieuses de tous les peuples et dans
les œuvres de leurs grands poètes. » Ces défaillances du
caractère trahissent les défauts de la doctrine. Combien
il serait à désirer que tous ceux qui ont vu de près Scho-
penhauer rassemblassent avec soin , comme Ta fait
M. Lindner, tous les souvenirs qu'ont laissés en eux ses
interminables conversations! La philosophie de Schopen-
hauer ne sera bien jugée que lorsque le philosophe lui-
même sera complètement connu j avec ce mélange de
grandes qualités , de bizarreries et de faiblesses, qui font
de lui une des figures les plus originales du siècle.
426 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
point le fil conducteur qui passe pour ainsi dire à
travers toutes choses * et qui les unit, si surtout
elle ne présidait pas à la production des individus?
Une monstruosité, un amas de décombres, une
grimace (sic) dénuée de signification et de sens, —
un produit du hasard véritable et proprement dit.
Souhaiter que quelque événement n'arrive point,
c'est s'infliger follement un tourment gratuit : car
cela revient à souhaiter quelque chose d'absolu-
ment impossible, et n'est pas moins déraisonnable
que de souhaiter que le soleil se lève à l'Ouest. En
effet, puisque tout événement, grand ou petit, est
absolument nécessaire, il est parfaitement oiseux
de méditer sur l'exiguïté ou la contingence des
causes qui ont amené tel ou tel changement, et de
penser combien il eût été aisé qu'il en fût diffé-
remment : tout cela est illusoire, car ces causes
sont entrées en jeu et ont opéré en vertu d'une
puissance aussi absolue que celle par laquelle le
soleil se lève à l'Orient. Nous devons bien plutôt
considérer les événements qui se déroulent devant
nous du même œil que les caractères imprimés sur
les pages d'un livre que nous lisons, en sachant
bien qu'ils s'y trouvaient déjà, avant que nous les
lussions *•
1. J'ai tenu à conserver Timage du texte, qui est fort belle.
2. La comparaison ne manque pas de profondeur, mais
Schopenhauer est bien près du fatalisme*
CHAPITRE IV
MES PRÉDÉCESSEURS.
A l'appui de raffirmation formulée par moi plus
haut au sujet de l'opinion de tous les profonds pen-
seurs touchant notre problème, je veux rappeler
au souvenir du lecteur des citations tirées des
écrits de quelques grands hommes, qui se sont
prononcés dans le même sens que nous.
Tout d'abord , pour tranquilliser ceux qui peu-
vent peut-être croire que des motifs religieux
soient opposés à la vérité que je soutiens, je rap-
pellerai que déjà Jérémie (10, 23) a dit : « Sei-
gneur, je sais que la voie de l'homme n'est point à
lui, et qu'il n'appartient pas à l'homme de marcher
et de diriger lui-même ses pas i. » Mais je m'en
réfère surtout à Luther, qui, dans un livre consacré
1. Traduction de M. de Genoudo.
128 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
spécialement à cette question (le De Servo Arbi-
trio)*^ combat avec toute sa violence la doctrine
du libre arbitre. Quelques passages de ce livre suf-
fisent pour caractériser son opinion, à Tappui de
laquelle il invoque naturellement des raisons théo-
logiques et non philosophiques. Je les cite d'après
l'édition de Séb. Schmidt, Strasbourg, 4707. —
Page 145 : « C'est pourquoi il est écrit dans tous les
«œurs que le libre arbitre n'existe point : bien que
cette vérité soit obscurcie par tant d'argumenta-
tions contradictoires , et Fautorité de tant de
grands hommes. — Page 244 : Je veux avertir ici
les partisans du libre arbitre, pour qu'ils se le
tiennent pour dit, qu'en affirmant le libre arbitre ,
ils nient le Christ. — Page 220 : Contre le libre
arbitre militent tous les témoignages de TÉcriture
1. Le De Servo Arbitno, auquel Érasme de Rotterdam
répondit par un ouvrage plein de verve {,De Libero Arhi"
trio) a été publié pour la première fois à Wittemberg,
1545-1559. Il n'a jamais été traduit en français. Nous pen-
sons que nos lecteurs nous sauront gré de leur donner
un échantillon de la langue si vigoureuse, quoique sou-
vent barbare, du Réformateur i Quare simul in omnium
cordibus scriptum invenitur^ liberum arbitrium nihil esse,
licet obscuretur tôt disputationibus contrariis et tantâ tôt
virorum auctoritate, — Hoc loco admonitos velim liberi
nrbitrii tutores, ut sciant, sese esse abnegatores Christi,
dum asaerunt liberum arbitrium, — Contra liberum arbi*
trium pugnabant scripturœ testimonia, quotquot de Christo
loquuntur, At ea sunt innumerabilia, immo tota scriptura.
Ideo, si scriptura judice causam agimus, omnibus modis
vicero, ut ne iota unum aut apex sit reliquus, qui non
damnet dogma liberi arbitrii.
MES PRÉDÉCESSEURS 12^
qui prédisent la venue du Christ. Mais ces témoi-
gnages sont innombrables; bien plus, ils sont
rÉcriture tout entière. Aussi, si l'Écriture doit
être juge de ce différend, notre victoire sera &i
complète qu'il ne restera même plus à nos adver-
saires une seule lettre, un seul iota qui ne con-
damne la croyance au libre arbitre. »
Passons maintenant aux philosophes. Les an-
ciens ne sont pas à consulter sérieusement sur
cette question, parce que leur philosophie, pour
ainsi dire encore à l'état d'innocence (d'enfance),
ne s'était pas fait une idée adéquate des deux pro-
blèmes les plus profonds et les plus graves de la
philosophie moderne, à savoir celui du libre ar-^
bitre et celui de la réalité du monde extérieur, ou
du rapport de Tidéal et du réel. Quant au degro
de clarté et de compréhension auquel ils avaient
amené la question du libre arbitre, c'est ce dont
on peut se rendre compte d'une façon satisfai-
sante par YÉthique à Nicomaque d'Aristoto
(III, c. 1-8) ; on reconnaîtra que son jugement à ce
sujet ne concerne essentiellement que la liberté
physique et intellectuelle, et c'est pourquoi il ne
parle jamais que de réxoucrtov (volontaire) et de
ràxouatov (involontaire), confondant les actes i;o-
lontaires avec les actes libres. Le problème beau-
coup plus difficile de la Liberté morale ne s'est
pas encore présenté à lui, quoique par moments sa
130 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
pensée s'étende jusque-là, surtout dans un pas-
sage de VÉthique à Nicomaque (II, 2, et III, 7) ;
mais il commet l'erreur de déduire le caractère
des actions, au lieu de suivre la marche inverse.
De môme il critique très à tort l'opinion de Socrate
citée plus haut (p. 109) : mais en d'autres endroits il
se l'est appropriée, par exemple lorsqu'il dit (Ét/ii-
que à Nicomaque^ X, 10) : a Quant à la disposi-
tion naturelle, elle ne dépend évidemment pas de
nous ; c'est par une sorte d'influence toute divine
qu'elle se rencontre dans certains hommes, qui
ont vraiment , on peut dire , une chance heu-
reuse. » {Tr, de Barthélémy Saint-Hilaire.) Plus
loin : La première condition, c'est que le cœur
soit naturellement porté à la vertu, aimant le beau
et détestant le laid (Id.) — ce qui s'accorde avec
le passage cité plus haut, ainsi qu'avec celui-ci de
VEthica magna (1, 10) : a Pour être le plus ver-
tueux des hommes, il ne suffira pas de vouloir, si
la nature ne nous y aide pas ; mais néanmoins on
sera beaucoup meilleur, par suite de cette noble
résolution. » Aristote traite la question du libre ar-
bitre au môme point de vue dans VEthica magna
(1, 9 18) et dans VEthica Eudemia (II, 6-10), où
il s'approche encore un peu plus de la véritable
donnée du problème : mais là aussi il reste hési-
tant et superficiel. Sa méthode constante est de ne
pas aborder les problèmes directement, par voie
MES PRÉDÉCESSEURS 131
d'analyse, mais de procéder synlhétiquement, de
tirer des conséquences d*indices extérieurs; au
lieu de pénétrer dans la question, pour atteindre
le fond des choses, il s'en tient aux caractères
extérieurs, voire même aux mots. Cette méthode
égare facilement, et dans les problèmes plus com-
plexes ne conduit jamais à la solution. Ici il s'ar-
rête court devant la prétendue antithèse entre le
nécessaire et le volontaire, dvayxatov xal Ixouaiov,
comme devant un mur : or, ce n'est qu'en s'éle-
vant au-dessus de cette contradiction apparente
qu'on peut atteindre à un point de vue supérieur,
d'où l'on reconnaît que le volontaire est néces'
saire précisément en tant que volontaire^ à cause
du motif qui détermine la volonté, sans lequel une
volition est tout aussi peu possible que sans un
sujet voulant; ce motif est d'ailleurs une cause,
aussi bien que la cause mécanique, dont iJ ne se
distingue que par des caractères secondaires. Aris-
tote le reconnaît lui-môme (Eth. Eudem. II, 10) t
€ Le cujus gratiâ (la cause finale) est elle-même
une espèce de cause ^ »
C'est pourquoi cette antinomie entre le volon-
taire et le nécessaire n'est aucunement fondée ;
bien qu aujourd'hui encore plusieurs prétendus phi-
1. H yà^ 6t <v8xa ^cm râv «.irlàèê èvWv. Oa connaît la dis-
tinction péripatéticienne entre les causes efflcientes
finales, matérielles et formellest
432 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
losophes en soient encore là-dessus au même point
qu*Aristote.
Gicéron expose assez clairement la question du
libre arbitre, dans le livre De Fato (c. 10 et c. 17).
Le sujet de son ouvrage le conduit d'ailleurs très-
facilement et très- naturellement à Texanaen de
cette difficulté. Gicéron est personnellement par-
tisan du libre arbitre ; mais nous voyons par lui
que déjà Chrysippe et Diodore ont dû se faire du
problème une idée assez exacte. — Il faut aussi
signaler le 13« dialogue des morts de Lucien ,
entre Minos et Sostrate, dans lequel le libre arbitre
et avec lui la responsabilité sont expressément
niés
Le 4« Livre des Machabées, dans la Bible des
Septante (il manque dans la Bible de Luther), est
lui-même en quelque façon une dissertation sur le
libre arbitre, en tant qu'il y est prouvé que la
raison (XoYtTfxoç) possède la force de surmonter
toutes les passions et toutes les affections, ce que
l'auteur confirme par Texemple des martyrs juifs
dans le second livre.
La plus ancienne expression précise à moi connue
de notre problème se trouve dans Clément d'A-
lexandrie S qui dit [Strom, 1, § 17) : « Ni les
1. G*e8t dans cet auteur également que Schopenhauer
avait trouvé la première expression de la vérité sur la-
quelle il insiste tant, la subordination de l'intelligence âk
MES PRÉDÉCESSEURS ISÎ"
éloges, ni les honneui^, ni les supplices ne sont
fondés en justice, si l'âme n'a pas la libre puis-
sance de désirer et de s'abstenir, et si le vice est
involontaire. » Puis, après une phrase relative à
une idée exprimée plus haut, il ajoute : a afin
qu'autant que possible Dieu ne soit pas la cause
des vices des hommes, d Cette conclusion haute-
ment remarquable montre dans quelles intentions
l'église s'empara aussitôt du problème, et quelle so-
lution elle adoptait d'avance comme conforme à ses
intérêts. — Presque deux cents ans plus tard nous
trouvons la doctrine du libre arbitre exposée avea
détail par Némésius, dans son ouvrage de Naturâ
hominis (chap. 35, ad finerriy et chap. 39-41). Le-
libre arbitre y est identifié sans plus ample discus-
sion avec l'acte volontaire, ou le choix, et, en con-
séquence, exposé et défendu avec ardeur. Malgré
cela, il y a déjà dans ce livre un pressentiment de
la véritabte question.
Mais le premier qui ait fait preuve d'une con-
naissance parfaitement adéquate de notre pro-
blème avec tout ce qui s'y rattache est le Père de
l'Eglise Saint- Augustin, qui, par cette raison, quoi-
qu'il soit bien plutôt un théologien qu'un philo-
sophe, mérite d'être pris en considération. Toute-
la volonté : « al y y/9 Arfyc;<ac SuvxfMtç toO j99ÛAs»ôat St»x6vot »«•
fvxMi, » (Les facultés rationp^JhBs sont, de leur nature»
soumises à la volonté). — V. Kibot, p. 73.
8
134 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
fois nous le voyons aussitôt plongé dans un em-
barras remarquable, et livré en proie à une hési-
tation et à un doute qui le conduisent jusqu'à des
inconséquences et à des contradictions, dans ses
trois livres de libero arbitrio. Il ne veut pas, en
effet, à l'exemple de Pelage, accorder à Thomme le
libre arbitre, de crainte que le péché originel,
la nécessité de la rédemption, et la libre élection
à la grâce ne se trouvent ainsi supprimés, et qu'en
môme temps l'homme puisse par ses propres forces
devenir juste et mériter le salut. Il donne même
à entendre {Argumentum inlibros de lib. arb. ex
Lib. I, c. 9, Retractationum desumtum) que sur
ce point de doctrine (pour lequel Luther combattit
si vivement plus tard) , il en aurait dit encore
davantage, si son livre n'avait pas été écrit avant
l'hérésie de Pelage , contre laquelle il rédigea
immédiatement son ouvrage De la nature et de la
grâce. Il dit d'ailleurs (de lib, arb. III, 18) : « Si
rhomme, étant autrement, serait bon, et qu'étant
comme il est maintenant, il ne le soit pas, et qu'il
se trouve dans l'impuissance de l'être, soit en ne
voyant pas comment il devrait être, soit en le
voyant sans le pouvoir devenir, [qui peut douter
qu'un tel état ne soit pas une peine et un châti-
ment ^ ?] » Plus loin : « On ne doit point s'étonner
1. Traduct. Fr. de Villafore, Paris, 1701. {La seule exis-
MES PRÉDÉCESSEURS 135
que l'ignorance Tempôche d'avoir une volonté
libre pour choisir le bien, ni que par la résistance
habituelle de la chair, dont les forces et les révol-
tes se sont en quelque façon naturellement accrues
par la succession des temps, et des hommes sujets
à la mort S il voie ce qu'il faudrait faire, et qu'il le
veuille sans le pouvoir accomplir. :s> Et dans l'ar-
gument précité : c Si donc la volonté même n'est
délivrée par le secours de Dieu de la servitude qui
la fait devenir esclave du péché, et si elle n'est
aidée pour vaincre les vices, les hommes mortels
ne peuvent vivre ni avec justice ni avec piété. »
D'autre part cependant trois motifs le sollicitaient
à défendre le libre arbitre :
!• Son opposition envers les Manichéens, contre
lesquels les trois Uvres sur le libre arbitre sont
expressément dirigés, parce qu'ils niaient le libre ar-
bitre et admettaient une autre source du mal moral
et du mal physique. (Le principe du mal, Hylé).
C'est à eux qu'il fait déjà allusion dans }e dernier
chapitre du Uvre de anirnse quantitate ; a L'âme
a reçu en don le libre arbitre, et ceux qui essaient
de le lui contester par des raisons frivoles (nuga-
toriis) sont tout à fait aveugles. »
tante,) — Les mots entre crochets sont omis par Scho*
penhauer, dont la citation tronquée est inintelligible.
1. L'expression de Saint- Augustin est très-belle :
« Violentia mortalis successionnis , » Cf. le mot célèbre
du même Père : « Lex peccati est violentia consvtetudinis. »
136 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
2"* L'illusion naturelle, dont nous avons dévoilé
4'origine, et par l'effet de laquelle le témoignage de
la conscience a je peux faire ce que je veux » est
-considéré comme l'affirmation du libre arbitre, et
le volontaire confondu avec le libre (V. De lib.
-arb. 1, 12) : a Car qu'y-a-t-il de plus au pouvoir de
la volonté que la volonté elle-même? »
3*^ La nécessité de mettre en harmonie la respon-
sabilité morale de l'homme avec la justice de Dieu.
En effet, la pénétration d'esprit de St.-Augustin n'a
pas laissée inaperçue une très -haute question,
^i difficile à résoudre que tous les philosophes
postérieurs , à ce que je sache , trois seulement
exceptés (que nous allons pour cela même con-
sidérer tout à l'heure de plus près), ont préféré
tourner autour d'elle sans bruit, comme si elle
n'existait pas. St.-Augustin, au contraire, avec une
iioble franchise, l'énonce sans détour dès les pre-
miers mots de son livre de libero arbitrio : t Dis-
moi; je te prie. Dieu n'est-il pas l'auteur du mal?»
Et bientôt, d'une façon plus explicite dans le second
chapitre : « Puisque nous croyons que Dieu est le
-principe de tous les êtres, et que néanmoins il
n'est pas l'auteur du péché, notre esprit a quelque
peine à comprendre comment il se peut faire que
les péchés étant commis par les âmes, et ces âmes
étant créées par Dieu, ces péchés ne lui soient pas
immédiatement rapportés comme à leur principe. »
MES PRÉDÉCESSEURS 137
A cela, rinterlocuteur (Evode) répond : c Vous
venez de dire précisément ce qui m*embârrasse
quand j'approfondis cette matière. x> — Cette diffi-
culté si sérieuse a été reprise de nouveau par
Luther, et mise en lumière par lui avec toute la
fougue de son éloquence (De servo arbitrioy p. 144):
« Que Dieu, par sa propre liberté, doive nous im-
poser à nous la nécessité, c'est ce que la raison
naturelle elle-même nous force d'avouer. — Si Ton
accorde à Dieu la prescience et la toute-puissance,
il suit naturellement, par une conséquence irréfra-
gable, que nous ne sommes pas créés par nous-
mêmes, que nous ne vivons ni n'agissons en rien,
si ce n*est par sa toute-puissance... La prescience
et la toute-puissance divine sont dans une opposi-
tion diamétrale avec notre libre arbitre... Tous les
hommes sont forcés d'admettre, par une consé-
quence inévitable, que nous n'existons pâs par
notre volonté, mais par la nécessité; de même que
nous n agissons point à notre gré, en vertu d'un
libre arbitre qui serait en nous, mais que Dieu a
tout prévu et qu'il nous mène par un conseil et
une vertu infaillible et immuable, etc. »
Au commencement du 17' siècle, nous rencon-
trons Vanini, qui est tout à fait pénétré de la même
opinion. Elle est le principe et l'âme de sa révolte
continuelle contre le Théisme, bien que, par égard
pour l'esprit de son époque, il ait dû la dissimuler
138 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
avec le plus de ménagements possibles. A chaque
occasion il y revient, et ne se lasse pas de l'exposer
sous les aspects les plus divers. Par exemple, dans
son Amphithéâtre de l'éternelle Providence ^
(exercice 16) il dit : c Si Dieu veut le mal il le fait,
car il est écrit : Il a.fait tout ce quHl a voulu. S'il
ne le veut pas, comme il n'en a pas moins lieu, il
faut dire de Dieu, ou qu'il est imprévoyant ou im-
puissant, ou cruel, puisqu'il ne sait ou qu'il ne peut
pas réaliser sa volonté, ou qu'il néglige de le faire.
Mais les philosophes repoussent cette doctrine
sans difficulté, car ils disent que si Dieu ne voulait
pas d'actions impies en ce monde, il lui suffirait
assurément d'un seul mouvement de tête pour
anéantir tout le mal jusqu'aux confins du monde.
Qui de nous, en effet, pourrait résister à sa volonté?
Gomment donc le mal se commet-il malgré lui,
quand lui-même donne aux coupables les forces
nécessaires? Et encore, si l'homme pêche malgré
la volonté divine, Dieu sera donc inférieur à
l'homme qui le combat et lui résiste ? De là, ils. con-
cluent que le monde est tel que Dieu le désire, et
qu'il serait meilleur, si Dieu le voulait meilleur. »
— Et dans l'exercice 44 : « L'instrument agit
toujours d'après la direction que lui donne son
principal agent : or, puisque notre volonté dans
ses actes n'est qu'un instrument, et que Dieu est l'a-
gent principal, il suit que Dieu est responsable dea
MES PRÉDÉCESSEURS 139
erreurs de notre volonté Notre volonté relève
entièrement de Dieu pour la substance; il faut tout
rapporter à Dieu, qui a fait ainsi la volonté, et qui
la met en mouvement. » Plus loin encore : « Puis-
que l'essence et le mouvement de la volonté vienr
nent de Dieu, il faut imputer à Dieu toutes les opé-
rations de la volonté, bonnes ou mauvaises, puis-
qu'elle n'est qu'un instrument dans ses mains ^ »
Mais il faut, en lisant Vanini, avoir toujours
présent à l'esprit qu'il se sert perpétuellement
d'un artifice consistant à mettre dans la bouche
d'un contradicteur, comme un sujet d'horreur et
de dégoût contre lequel il s'insurge, ses véritables
opinions, et à faire parler ce contradicteur de la
façon la plus convaincante et la plus solide; par
contre, à lui présenter, comme réfutation, des
objections frivoles et des arguments boiteux; après
quoi il fait semblant de conclure d'un air triom-
phant, tanquam re benè gesta^ comptant sur la
malignité et la pénétration du lecteur. Par cette
ruse il a môme trompé la savante Sorbonne, qui,
prenant toutes ses hardiesses pour de l'or en
barres, apposa naïvement son permis d'imprimer
sur des ouvrages athées. D'autant plus douce fut la
joie de ces docteurs, lorsque, trois ans plus tard,
ils le virent brûler vif, après qu'on lui eût préala-
1. Tr, Fr. de Rou88elot, Paris, 1842. L'ouvrage original,
écrit en latin, est presque introuvable.
140 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
blement coupé cette langue qui avait blasphémé
<îontre Dieu. On sait à la vérité que c'est là le seul
argument puissant des théologiens, et depuis qu'on
les en a privés, les choses marchent pour eux tout
à fait à reculons ^
Parmi les philosophes dans le sens plus étroit
ilu mot, Hume est, si je ne me trompe, le premier
^ui n'ait pas essayé d*éluder la grave difficulté
soulevée d'abord par saint- Augustin; au contraire
•(sans toutefois penser ni à St.-Augustin , ni à
Luther, encore moins à Vanini), il Texpose ouver-
tement dans son Essai sur la liberté et la néceS'
mté^ où il s'exprime ainsi (ad finem) : « Le dernier
auteur de toutes nos volitions est le créateur du
monde, qui le premier imprima le mouvement à
-cette immense machine, et plaça tous les êtres
dans cette position particulière d'où tout événement
subséquent devait résulter par une nécessité inévi-
table. Les actions humaines peuvent donc ou bien
ne renfermer aucune malice, comme procédant
<l'une cause si parfaite, ou si elles en renferment,
elles doivent envelopper notre créateur dans le
blâme qu'elles méritent, puisqu'on reconnaît qu'il
en est la cause dernière et le véritable auteur.
€ar de même qu'un homme, qui a mis le feu à une
1. « La théologie et la philosophie sont comme les deux
plateaux d'une balance. Plus Tune monte, plus l'autre
descend. » (Memorabilien, cité par M. Ribot)«
MES PRÉDÉCESSEURS 141
tnine, est responsable de toutes les conséquences
de cet acte, que la traînée de poudre soit longue
ou courte, — de même partout où se trouve une
chaîne continue de modifications nécessaires ,
TËtre, fini ou infini, qui a produit la première doit
être également regardé comme Fauteur de toutes
les autres. » Il fait un essai pour résoudre cette
difficulté, mais il avoue en terminant qu'il la consi-
dère comme insurmontable.
Kant lui-même, indépendamment de ses prédé-
cesseurs, se heurte à cette pierre de la difQculté,
dans la Critique de la raison pratique, p. 180 et
suivantes de la 4« édition, et p. 232 de Tédition
Rosenkranz : c 11 semble nécessaire, aussitôt
qu'on admet Dieu comme cause première univer-
selle, d'accorder qu'il est la cause de l'existence
de la substance même. Dès lors les actions de
l'homme ont leur cause déterminante en quelque
chose qui est tout à fait hors de son pouvoir, c'est-à-
dire dans la causalité d'un être suprême distinct
de lui, de qui dépend absolument son existence,
et toutes les déterminations de sa causalité.....
L'homme serait comme une marionnette ou
comme un automate de Yaucanson, construit et
mis en mouvement par le suprême ouvrier, que la
conscience de lui-même en ferait sans doute un
automate pensant; mais il serait la dupe d'une illu-
sion, en prenant pour la liberté la spontanéité dont
142 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
il aurait conscience, car celle-ci ne mériterait ce
nom que relativement, puisque, si les causes pro-
chaines qui le mettraient en mouvement, et toute
la série des causes, en remontant à leurs causes
déterminantes, étaient intérieures, la cause der-
nière et suprême devait être placée dans une main
étrangère *. »
Il s'efforce de lever cette grave difficulté en
faisant intervenir la distinction entre la chose en
soi et le phénomène : mais il est si évident que
cette distinction ne change rien au fond de la
difficulté, que je suis convaincu qu'il ne l'a nul-
lement prise lui-même pour une solution sé-
rieuse. Lui-même d'ailleurs en confesse l'insufii-
ran^e, p. 184, et il ajoute : c Mais je demande si
toute autre explication que Ton a tentée ou que
Ton pourra essayer dans la suite, est plus facile et
plus aisée à comprendre? On dirait plutôt que les
docteurs dogmatiques de la métaphysique ont
cherché à prouver leur subtilité plus que leur sin-
cérité, en éloignant autant que possible de nos
yeux ce point difficile, dans l'espérance que s'ils
n'en parlaient pas du tout, il se pourrait que per-
sonne n'y songeât, d
Après avoir ainsi rapproché les témoignages de
penseurs si différents, qui pourtant disent tous la
1. Page 292 de la traduction française de M. Barni (avec
quelques ebangemenis).
MES PRÉDÉCESSEURS 143
même chose, je reviens à notre Père de l'Eglise.
Les raisons par lesquelles saint Augustin espère
écarter la difficulté dont il a déjà pressenti toute
la gravité sont théologiques, non. philosophiques,
et par conséquent n'ont pas une valeur absolue.
L'appui de ces mêmes raisons est, comme je l'ai
dit plus hautjle troisième motif pour lequel il cher-
che à défendre la doctrine d'un libre arbitre ac-
cordé par Dieu à l'homme. L'hypothèse d*une pa-
reille liberté, s'interposant entre le créateur et les
péchés de sa créature, serait véritablement suffi-
sante pour résoudre toute la difficulté ; à la condi-
tion toutefois que cette conception, si facile à af-
firmer en paroles et satisfaisante peut-être pour
une pensée qui ne va pas beaucoup plus loin que
les mots, pût du moins, quand on la soumet à un
examen plus sérieux et plus profond,rester intelligi-
ble {pensable). Or comment peut-on se figurer qu'un
être dont toute l'existence et toute l'essence sont
l'ouvrage d'un autre puisse cependant se déter-
miner lui-même dès Torigine et dans le principe, et
par conséquent être responsable de ses actes? Le
principe operari sequitur esse^ c'est-à-dire que
les actions de chaque être sont des conséquences
nécessaires de son essence, détruit cette supposi-
tion, mais lui-même il est inébranlable. Si un
homme agit perversement, cela résulte de ce qu'il
est pervers. A ce principe se rattache encore le
144 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
corollaire ergo undeessej inde operari^ (d'où vient
l'essence, de là vient aussi l'action.) Que dirait-
on de l'horloger qui s'irriterait contre sa montre
parce qu'elle marche mal ? Quelque désir que l'on
éprouve de faire de la volonté une tabula rasa,
on ne pourra cependant pas s' empocher d'avouer,
que si, de deux hommes, l'un suit par hasard une
façon d'agir entièrement opposée à celle de l'autre,
au point de vue moral, cette différence, qui doit
évidemment provenir de quelque chose., a sa rai-
son d'être soit dans les circonstances extérieures,
(auquel cas il est évident que la faute n'est pas
imputable à l'homme), soit dans une différence
originelle entre leurs volontés mêmes, et alors le
mérite ou le démérite ne saurait leur être attribué,
si tout leur être et toute leur substance sont l'œu-
vre d'autrui. Après que les grands hommes dont
nous avons invoqué le témoignage se sont vaine-
ment efforcés de sortir de ce labyrinthe par quelque
issue, j'avoue volontiers à mon tour que penser à la
responsabilité morale de la volonté humaine sans
admettre en principe Yaséité de Thomme, est une
chose qui dépasse ma puissance de conception.
C*est sans doute le sentiment de la même impossi-
bilité qui a dicté à Spinoza les définitions 7 et 8
par lesquels débute son Éthique : » Une chose est
libre quand elle existe par la seule nécessité de sa
nature et n'est déterminée à agir que par soi-
MES PRÉDÉCESSEURS 145
même; une chose est nécessaire ou plutôt con-
trainte quand elle est déterminée par une autre
chose à exister et à agir suivant une certaine loi
déterminée. » {Traduction d'Emile SaisseL)
Si en effet une mauvaise action provient de la
nature, c'est-à-dire de la constitution innée de
l'homme, la faute en est évidemment à Fauteur de
cette nature. C'est pour échapper à cette consé-
quence qu'on a inventé le libre arbitre. Mais en
admettant celui-ci il n'est absolument pas possible
de concevoir d*oti une mauvaise action puisse
provenir; parce qu'au fond il n'est qu'une qualité
négative, et implique seulement que rien n'oblige
ou n'empêche l'homme d'agir de telle ou telle
façon. Mais alors il faut renoncer absolument à
expliquer quelle est la source dernière d'où découle
l'action, puisqu'on ne veut pas la faire dériver de
la nature innée ni de la nature acquise de l'homme ,
ce qui ferait retomber la faute sur son créateur ;
ni des circonstances extérieures seules, car alors
on pourrait l'attribuer au hasard , l'homme res-
tant innocent dans le^deux hypothèses, — tandis
qu'on le rend pourtant responsable. L'image natu-
relle dune volonté libre est une balance non
chargée; elle se tient immobile, et ne sortira
jamais de son état d'équilibre à moins qu'on ne
place quelque objet dans un de ses plateaux.
Comme la balance est incapable de se mettre
8CU0P£NHAU£R. 9
146 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
d*elle-même en mouvement, de même la libre vo-
lonté ne peut pas tirer de son propre fonds la
moindre action; et cela, en vertu du principe que
rien ne se fait de rien. La balance doit-elle s*in-
cliner d'un côté? il faut qu'un corps étranger soit
placé sur un des plateaux, et c'est ce corps qui
sera ensuite la cause du mouvement. Pareillement
toute action humaine doit être produite par quelque
orce, qui agisse d'une façon positive, et soit
quelque chose de plus que cette qualité toute né-
gative de la liberté. Mais ceci ne peut s'expliquer
que de deux manières : ou bien les motifs, c'est-à-
dire les circonstances extérieures, produisent l'ac-
tion par eux-mêmes : et alors il est évident que
l'homme n'est pas responsable (il faudrait aussi,
dans cette hypothèse, que tous les hommes agis-
sent exactement de même dans les mêmes circons*
tances) ; ou bien Taction provient de la réceptivité
(accessibilité) de l'homme pour tels ou tels motifs,
c'est-à-dire du caractère inné, des tendances ori-
ginellement existantes, qui peuvent différer d'in-
dividu à individu, et d'après lesquelles les motifs
exercent leur action. Mais alors l'hypothèse du
libre arbitre disparaît, parce que ces tendances re-
présentent précisément le poids placé sur le pla-
teau de la balance. La responsabilité de nos fautes
retombe sur celui qui a mis en nous ces pen-
chants, c'est-à-dire sur celui dont l'homme, avec
M£S PRÉDÉCESSEURS 147
les instincts primitifs de sa nature, est Touvrage.
Donc la condition indispensable de la responsabi-
lité morale de l'homme est son aséité^ c'est-à-dire,
qu'il soit lui-même son propre ouvrage \
Toutes les considérations exposées précédem-
ment sur cette épineuse question font concevoir
quelles immenses conséquences sont attachées à la
croyance au libre arbitre, qui creuse un abîme
sans fond entre le créateur et les péchés de sa
créature. Aussi n'est-il pas surprenant que les théo-
logif^ns adhèrent si obstinément à cette doctrine,
et qvie leurs humbles serviteurs et défenseurs 2,
les professeurs de philosophie , les appuient avec
tant d'ardeur et un si profond sentiment de leurs
devoirs envers eux, que, sourds et aveugles en
présence des dénégations les plus concluantes des
grands penseurs, ils soutiennent le libre arbitre et
combattent pour lui, comme pro aris et focis.
Mais pour terminer enûn mon examen de l'opi-
nion de saint Augustin, je dirai qu'elle peut se ré-
duire à ceci, que Thomme n'a eu un libre arbi-
tre absolu qu'avant sa chute, mais que depuis,
devenu la proie du péché, il n'a plus à espérer son
salut que de la prédestination et de la rédemption,
— ce qui s'appelle parler en vrai Père de l'EgUse.
1. V. la note de la page 32.
2. Schildknapp, écuyer qui portait le bouclier du cbe*
valier.
i48 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Cependant, grâce à saint Augustin et à la dispute
entre les Manichéens et les Pélasgiens, la philoso-
phie est enfin parvenue à se faire une idée nette
et exacte de notre problème. Dès lors, les tra-
vaux de la scholastique lui donnèrent de jour en
jour plus de précision : le sophisme de Boridan
et le passage cité du Dante en sont des témoi-
gnages. — Mais le premier qui toucha au cœur
même de la question est, à ce qu*il me semble,
Thomas Hobbes, qui publia en 1656 un ouvrage
spécial sur ce sujet, intitulé : Quœstiones de liber-
iate et necessitate, contrk Doctorem BranhaU
lum : ce livre est rare aujourd'hui. Il se trouve
transcrit en anglais dans les Œuvres morales et
politiques de Th. Hobbes (i vol. m-folio, Lon-
dres, 1750, p. 469, et sq). J'en extrais le passage
capital que Ton va lire (p. 483) :
a (6) Rien ne tire son origine de soi-même, mais
de l'action de quelque autre agent immédiat. Donc,
lorsque pour la première fois l'appétit ou la vo-
lonté * d'un homme se porte vers quelque chose,
pour laquelle il n'éprouvait précédemment ni ap-
pétit ni volonté ; la cause de ce mouvement de la
volonté n'est pas la volonté même, mais quelque
autre chose qui n'est pas en sa puissance. Donc,
puisqu'il est hors de doute que la volonté est la
1. Lisez le désir. La contusion du désir et de la volonté
est perpétueUe chez Hobbes.
MES PRÉDÉCESSEURS 449
cause nécessitante des actes volontaires, et que
d'après ce que je viens de dire la volonté est né-
cessairement causée par d'autres choses indépen-
dantes d'elle ; il s'ensuit que tous les actes volon-
taires ont des causes nécessaires, et par suite sont
nécessités.
(7) Je considère comme une cause suffisante
celle à qui il ne manque rien qui soit nécessaire
à la production de Veffet. Une telle cause est
aussi une cause nécessaire : car, s'il était possible
qu'une cause suffisante ne produisît pas Teffet, alors
il lui manquerait quelque chose de ce qu'il faut
pour le produire ; en ce cas elle ne serait donc pas
suffisante. Mais s'il est impossible qu'une cause
suffisante ne produise pas son effet, alors une
cause suffisante est aussi une cause nécessaire.
D'où il est manifeste que tout ce qui est produit,
est produit nécessairement. Car toute chose qui
est produite a eu une cause suffisante^ sans quoi
elle n'aurait pas été produite : et c'est pourquoi
aussi les actions volontaires sont nécessitéeSé
(8) La définition ordinaire d'un agent libre ^
implique une contradiction, et n'a pas de sens
(is nonsense) ; car c'est comme si l'on disait qu'une
1. « Un agent libre est celui qui, toutes les causes
étant réunies qui sont nécessaires pour lui faire produire
un certain effet, peut néanmoins ne pas le produire. ^^
(Hobbes).
^^>^ ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
cause peut être suffisante, c'est-à-dire nécessi-
tante, et cependant que Teffét ne suivra pas.
P. 485. — a Tout événement, quelque contingent
qu'il puisse sembler ou quelque volontaire qu'il
puisse être, est produit nécessairement «. »
Dans son fameux livre de Civé, c. 1, § 7, il dit :
« Tout homme est porté à rechercher ce qui lui est
utile, et & fuir ce qui lui est nuisible, mais sur-
tout le plus grand des maux naturels, la mort; et
cela par une nécessité naturelle non moins ligon-
reuse que celle qui entraîne la pierre dans sa
chute. »
Aussitôt après Hobbes nous voyons Spinoza, qui
est imbu de la même conviction. Pour caractériser
son opinion à ce sujet, quelques citations seront
suffisantes :
Efh., Parsi, propos. 32. La volonté ne peut être
appelée cause libre, mais seulement cause néces-
saire. — Corel. IL Car la volonté, comme toute
1. Le point de vue auquel s'est placé Hobbes n'est
certainement pas très- élevé : mais il n'est pas juste de
dire qu'il ait confondu la liberté morale avec la liberté
physique. Le passage que nous venons de traduire
suffirait pour montrer l'inexactitude de ces paroles de
Jouffroy: « La première manière denier la liberté humaine
est celle qui déplace cette liberté, et la met où elle n'est
pas. C'est là ce que Hobbes a fait. Hobbes s'est arrêté à
cette conception vulgaire du mot liberté que nous adoptons
tous quand nous disons qu'un homme qui était enchaîné et
qui maintenant ne l'est plus, a recouvré sa liberté^ etc. »
iCoura de Droit naturel, v. 1, p. 27.)
MES PRÉDÉCESSEURS 151
chose, demande une cause qui la détermine à exis-
ter et à agir d'une manière donnée.
Ibid.y Pars II, dernier scholie. Quant à la qua-
trième objection (le sophisme de Buridan), j'ai à
dire que j'accorde parfaitement qu'un homme,
placé dans cet équilibre absolu qu'on suppose
(c'est-à-dire qui, n'ayant d'autre appétit que la
faim et la soif, ne perçoit que deux objets, la nour-
riture et la boisson, également éloignés de lui) ;
j'accorde, dis-je, que cet homme périrait de faim
et de soif.
Ibid., P. III, propos. 2, Scholie. Les décisions de
l'âme naissent en elle avec la même nécessité que
les idées des choses qui existent actuellement. Et
tout ce que je puis dire à ceux qui croient qu'ils
peuvent parler , se taire , en un mot agir en vertu
d'une libre décision de l'âme, c'est qu'ils rêvent
les yeux ouverts.
Lettre 62. Toute chose est déterminée néces-
sairement par une cause extérieure, à exister et
à agir suivant une certaine loi. Exemple : Une
pierre soumise à Timpulsion d'une cause extérieure
en reçoit une certaine quantité de mouvement
en vertu de laquelle elle continue de se mou-
voir, même quand la cause motrice a cessé d'agir.
Concevez maintenant que cette pierre, tandis
qu'elle continue de se mouvoir, soit capable de
penser, et de savoir qu'elle s'efforce, autant qu'elle
152 . ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
peut, de continuer de se mouvoir. 11 est clair
qu'ayant ainsi conscience de son effort, et n'étant
nullement indifférente entre le repos et le mou-
vement, elle se croira parfaitement libre et sera
convaincue qu'il n'y a pas d'autre cause que sa vo-
lonté propre qui la fasse persévérer dans le mou-
vement. Voilà cette liberté humaine dont tous les
hommes sont si fiers. Au fond, elle consiste en ce
qu'ils connaissent leurs appétits par la conscience,
mais ignorent les causes extérieures qui les dé-
terminent J'ai suffisamment expliqué par
là mon sentiment touchant la nécessité libre et la
nécessité de contrainte, ainsi que la prétendue li-
berté des hommes * . »
Une circonstance à noter est que Spinoza n'est
arrivé à cette opinion que dans les dernières an-
nées de sa vie, c'est-à-dire après avoir passé la
quarantaine (1672), tandis que plus tôt, en l'année
1665, comme il était cartésien, il avait soutenu avec
décision et vivacité la doctrine opposée, dans ses
Cogitatis metaphysiciSy c. 12, et avait môme dit,
à propos du sophisme de Buridan, et en contradic-
tion directe avec le dernier scholie de la seconde
partie, que je viens de citer : a Si nous supposons
un homme à la place de Tâne dans une telle posi-
tion d'équilibre, cet homme devra être considéré
1. Traduction d'Emile Saisset, sauf quelques change-
monts.
MES PRÉDÉGESSEIT.S 153
non comme une chose pensante, mais comme le
plus vil des ânes, s'il meurt de faim et de soif. » —
J'aurai dans la suite à enregistrer le même revire-
ment d'opinion de la part de deux grands hommes,
preuve nouvelle que ce problème, pour être bien
compris, exige des efforts sérieux et une grande
pénétration.
Hume, dans son Essai sur la liberté et la né"
cessitéf dont j'ai cité plus haut quelques lignes,
s'exprime avec la conviction la plus lumineuse de
la nécessité des volitions individuelles, les motifs
étant donnés, et il Texpose de la façon la plus nette
et avec cette largeur de vues qui lui est particu-
lière, c Ainsi il apparaît, dit-il, que la connexion
entre les motifs et les actes volontaires est aussi
régulière et aussi uniforme que la connexion
entre les motifs et l'effet dans toute autre partie
de la nature. » Et plus loin : a 11 semble presque
impossible, par conséquent, de s'engager dans
aucune science ni dans des actions d'aucune sorte,
sans reconnaître expressément la doctrine de la
nécessité, et cette liaison intime entre les motifs
et les actes volontaires, entre le caractère et la
conduite de chacun. »
Mais aucun écrivain n'a exposé la nécessité des
volitions d'une manière aussi complète et aussi
convaincante que Priestley, dans l'ouvrage qu'il a
exclusivement consacré à ce sujet : La doctrine
9.
454 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
de la nécessité philosophique. Celui que ne per-
suade pas ce livre, écrit dans un style clair et in-
telligible, doit avoir l'esprit véritablement paralysé
par les préjugés. Pour en résumer les conclusions,
j'ajouterai ici quelques extraits, que je cite d'après
la seconde édition, Birmingham, 1782 :
Préface, P. XX. Il n'y a pas d'absurdité plus
évidente pour mon intelligence que la notion de la
liberté philosophique. — P. 26. Sans un miracle,
ou l'intervention de quelque cause étrangère, nulle
volition ni action d'aucun homme n'aurait pu être
autrement qu'elle n'a été. — P. 37. Quoiqu'une
inclination ou une affection quelconque de l'esprit
soit une force qui diffère de la pesanteur, elle
m'influence et agit sur moi avec autant de nécessité
et de certitude que cette dernière force agit sur une
pierre. — P. 43. Dire que la volonté se détermine
elle-même, ne représente absolument aucune idée,
ou plutôt imphque une absurdité, à savoir qu'une
détermination^ qui est un effet, puisse se produire
sans aucune espèce de cause. Car en dehors de
toutes les choses qui tombent sous l'appellation
commune de motifs^ il ne reste vraiment rien du
tout, qui puisse produire la détermination. Qu'un
homme se serve de tous les mots qu'il voudra, il
ne peut pas mieux concevoir comment nous pou-
vous parfois être déterminés par des motifs et par-
fois sans motifs, qu'il ne peut se figurer une ba-
MES PRÉDÉCESSEURS 155
lance que tantôt des poids forcent à s'incliner, et qui
tantôt s'incline par l'effet d'une espèce de subs-
tance qui n'a aucune espèce de poids, et qui, par
suite, quelle qu'elle puisse être en elle-même^ n'est
absolument rien par rapport à la balance. — P. 66.
Dans la vraie langue philosophique, le motif devrait
être appelé la cause propre de l'action. 11 l'est
tout autant qu'aucune autre chose dans la nature est
la cause d'un phénomène quelconque. — P. 84. Il
ne sera jamais en notre pouvoir de choisir entre
deux résolutions, quand toutes les circonstance»
antérieures seront identiques. — P. 90. Un homme,
il est vrai, lorsqu'il se reproche à lui-même quel-
que action particulière dans sa conduite passée,
peut s'imaginer que, s'Use retrouvait dans le même
cas, il agirait d'une façon différente. Mais c'est là
une illusion pure; et s'il s'examine lui-même
strictement en tenant compte de toutes les circons-
tances, il peut se convaincre qu'avec la même dis-
position d'esprit, avec précisément la même vue des
choses qu'il avait alors (abstraction faite de toute
autre lumière que la réflexion peut lui avoir fournie
depuis), il n'aurait pas pu agir autrement qu'il ne
l'a fait. — P. 287. Bref, il n'y a ici possibilité de
choisir qu'entre la doctrine de la nécessité ou l'ab-
surdité la plus complète {absolute nonsense). »
Or il faut remarquer qu'il en a été de Priestley
exactement comme de Spinoza, comme encore
156 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
d*an autre très-grand homme dont je parierai tout
à Thenre. Priestley dit en effet dans la préface de la
première édition, p. XXVII : « Toatefois, je ne me
convertis pas aisément à la doctrine de la nécessité.
Ck)mme le docteur Hartley lui-même, je renonçai
à ma liberté avec bien de la peine, et dans une
longue correspondance, que j'entretins jadis sur
ce sujet, j'ai soutenu avec opiniâtreté la doctrine
de la liberté, sans céder le moindrement aux ar-
guments que Ton m'objectait alors, i
Le troisième grand homme qui passa par les
mêmes alternatives est Voltaire ; il nous l'apprend
lui-même avec cette grâce et cette naïveté qui n'ap-
partiennent qu'à lui. Dans son Traité de Métaphy-
sique (chap. 7), il avait défendu longuement et avec
vivacité la vieille doctrine du libre arbitre. Mais
dans un ouvrage écrit plus de quarante ans après.
Le Philosophe ignorant, il proclame la nécessité
rigoureuse des volitions, au chapitre XIII, qu'il
termine ainsi : c Archimède est également né-
cessité de rester dans sa chambre, quand on l'y
enferme, et quand il est si fortement occupé d'un
problème qu'il ne reçoit pas Tidée d'en sortir :
Ducunt volentem fata, nolentem trahunt (Sénègiie).
Uignorant qui pense ainsi n'a pas toujours
pensé de mêmey mais il est enfin contraint de se
rendre. » Dans le livre suivant : Le principe d'ac-
MES PRÉDÉCESSEURS 157
tioriy il dit (chap. 13) : « Une boule qui en pousse
une autre, un chien de chasse qui court nécessaire-
ment et volontairement après un cerf, ce cerf qui
franchit un fossé immense avec non moins de né-
cessité et de volonté : tout cela n'est pas plus in-
vinciblement déterminé que nous le sommes à tout
ce que nous fesons. »
N'y a-til pas, dans le spectacle de cette triple
. conversion de trois esprits si supérieurs, de quoi
étonner tout homme qui entreprend de combattre
des vérités aujourd'hui solidement établies, au
nom du témoignage du sens intime : <k Et pourtant
je peux faire ce que je veux ! :» témoignage qui,
à la vérité, n'a rien du tout à voir dans la ques-
tion.
Après de tels exemples, nous ne devons pas être
surpris que Kant ait admis la nécessité des mani-
festations du caractère empirique sous Tinfluence
des motifs, comme une chose entendue à l'avance
pour lui*méme et pour tout le monde, et ne se
soit pas attardé à en donner une nouvelle démons*
tration. Ses Idées pour une histoire universelle
commencent par ces mots : • Quelque notion
que Ton puisse se faire du libre arbitre au point
de vue de la métaphysique, il est cependant hors
de doute que les manifestations de cette puissance,
à savoir les actions humaines, sont, aussi bien que
tous les autres phénomènes de la nature, déter-
158 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
minées par des lois naturellçs générales. » — Dans
la Critique de la Raison pure, (P. 548 da la i'^
ou P. 557 de la 5® édition), il s'exprime ainsi :
«Le caractère empirique devant être, comme
effet, dérivé des phénomènes et de leur règle, don-
née par l'expérience, toutes les actions de l'homme
dans le phénomène sont donc déterminées suivant
Tordre physique par son caractère empirique et
par d'autres causes concomitantes : et si nous pou-
vions pénétrer jusqu'au fond tous les phénomènes
de son arbitre, il n'y aurait pas une seule action
humaine qu'on ne pût certainement prédire et
connaître comme nécessaire, en partant de ses
conditions antérieures. Sous le rapport empirique,
il n'y a donc aucune liberté, et ce n'est cependant
que suivant ce caractère que nous pouvons consi-
dérer l'homme, lorsque nous voulons obsei*vêr
seulement, et que nous voulons scruter physiolo-
giquement les causes déterminantes de ses actions,
comme cela se pratique dans l'anthropologie ^ »
Dans le môme ouvrage, p. 798 de la 1" édition ou
p. 826 de la cinquième, il dit : « La volonté peut
aussi être libre, mais uniquement en ce qui con-
cerne la cause intelligible de notre vouloir ; car
pour ce qui est des phénomènes, des expressions
de cette volonté, c'est-à-dire des actions, nous no
1. Trad. fr. de M. Tissot, p. 178-179.
MES PRÉDÉCESSEURS 15^
pouvons pas les expliquer autrement que comme
le reste des phénomènes de la nature, c'est-à-dire
d'après leurs lois immuables, suivant une inviola-
ble maxime fondamentale, sans laquelle il est im-
possible de faire aucun usage de notre raison dans
Tordre empirique ^. »
Et ailleurs encore dans la Critique de la Raison
pratique (P. i66 de la 4« édition, ou P. 230 de l'é-
dition Rosenkranz) : a On peut accorder que, s'il
nous était possible de pénétrer Tâme d'un homme,
telle qu'elle se révèle par des actes aussi bien in-
ternes qu'externes, assez profondément pour con-
naître tous les mobiles, même les plus légers,
qui peuvent la déterminer» et de tenir compte en-
même temps de toutes les occasions extérieures
qui peuvent agir sur elle, nous pourrions calculer
la conduite future de cet homme avec autant
de certitude qu'une éclipse de lune ou de so-
leil 2. ))
Mais ici il rattache sa doctrine de la coexistence^
de la liberté et de la nécessité, grâce à la distinc-
tion entre le caractère intelligible et le caractère
empirique, doctrine sur laquelle je me propose de
revenir plus bas, parce que j'y souscris sans ré-
serve. Kant Ta exposée deux fois, une première
dans la Critique de la Raison pure (P. 531-553 de
1. Id., ibid., p. 386.
2. Traduction française de M. Jules Barni^ p. 239.
iCO ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
la i'*' édition, ou 500-582 de la cinquième); et en
second lieu, avec plus de clarté encore, dans la
Critique de la Raison pratique (P. 169-179 de la
4'' édition, ou P. 224-231 de l'édition Rosenkranz) :
tout homme doit lire ces pages pensées avec une
si éminente profondeur, s'il veut se faire une idée
précise de la conciliation de la liberté humaine et
de la nécessité [phénoménale] des actions.
Des productions de tous ces nobles et vénérables
génies qui m'ont précédé, le travail présent se dis-
^ tingue jusqu'ici par deux points principaux. En
premier lieu, sur l'indication de l'énoncé, j'ai soi-
gneusement séparé dans mon analyse la percep-
tion intérieure de la volonté par la conscience de
la perception externe des manifestations de celle-ci
(volitions) ; puis je les ai examinées toutes deux
chacune à part, ce qui m'a permis de signaler pour
la première fois la source de l'illusion qui exerce
une action irrésistible sur la plupart des hommes ;
en second lieu, j'ai jconsidéré la volonté dans ses
rapports avec tout le reste de la nature, ce que
personne n'avait fait avant moi ; et ce n'est qu'à
l'aide des lumières que ces recherches m'ont four-
nies, que le sujet a pu être traité avec toute la so-
lidité, toute la clarté, et toute la généralité mé-
thodique dont il est susceptible.
Maintenant, encore quelques mots sur un certain
nombre d'auteurs qui ont écrit après Kant, mais
MES PRÉDÉCESSEURS 161
que je ne compte point cependant parmi mes pré-
curseurs.
Schelling a publié une paraphrase explicative de
la doctrine souverainement importante de Kant
dont j'ai fait l'éloge plus haut, dans son Examen
de la question du libre arbitre. (P. 465-471.)
Cette paraphrase, par la vivacité de son coloris,
peut servir, mieux que Texposition solide mais un
peu sèche de Kant, à rendre la question accessible
à un grand nombre de lecteurs. Du reste il ne
m'est pas permis de parler de ce travail sans aver-
tir, par respect pour la vérité et pour Kant, que
Schelling, en y exposant une des doctrines les plus
importantes et les plus dignes d'admiration, je
dirai même la plus profondément pensée de toutes
les théories de Kant, ne déclare nulle part ouver-
tement que le fond au moins des idées qu'il déve-
loppe appartient à Kant : bien plus, il s'exprime de
telle sorte que la majeure partie des lecteurs, aux-
quels le contenu des ouvrages longs et difficiles du
grand homme n'est pas exactement présent à l'es-
prit, doivent s imaginer qu'ils ont sous les yeux
les propres pensées de Schelling. Un exemple choisi
entre beaucoup d'autres démontrera combien le
résultat a été conforme à l'intention de l'auteur.
Aujourd'hui encore un jeune professeur de philo-
sophie à Halle, M. Erdmann, dit dans son livre
intitulé VAme et le corps (p. 101) : a Quoique
462 ESSAI SUR L'È LIBRE ARBITRE
Leibniz, de même que Schelling dans sa disserta-
tion sur la liberté, admette que Tâme se détermine
avant le temps (extemporellement), etc. » Schelling
est donc sur ce point à Fégard de Kant dans Theu-
reuse position d*Améric Vespuce par rapport à
Colomb : la découverte faite par un autre se trouve
signée de son nom. Il est juste de dire d'ailleurs
que c'est là un fruit de sa sagacité et non point du
hasard. Car il commence ainsi son chapitré, p. 465:
« C'est à l'idéalisme que revient le mérite d'avoir
transporté la question de la liberté sur le terrain
(du choix extemporel], etc., » et immédiatement
après suit l'exposition des idées kantiennes. Ainsi,
au lieu de nommer ici Kant, ce qui eût été con-
forme à la loyauté, il dit finement l'idéalisme;
mais sous cette expression équivoque chacun en-
tendra la philosophie de Fichte et la première
manière fichtienne de Schelling, et non pas la
doctrine de Kant ; puisque celui-ci proteste contre
l'appellation d'idéalisme donnée à sa philosophie,
par exemple dans les Prolégomènes (p. 155 de
redit. Rosenkranz), et a même ajouté à sa se-
conde édition de la Critique de la Raison pure,
P. 274, une « Réfutation de l'idéalisme. » A la page
suivante, Schelling glisse très-adroitement, dans
une phrase incidente, les mots de « notion kan-
tienne » de la liberté , apparemment pour fermer
la bouche à ceux qui se sont déjà aperçus que
MES PRÉDÉCESSEURS 16 J
c'est le trésor des idées de Kant que l'auteur
débite fastueusement comme sa propre marchan-
dise. Plus loin (p. 472) , il dit encore , au mépris
de toute vérité et de toute justice, que Kant
ne s'est pas élevé en théorie jusqu'à ce nou-
veau point ce.vue, etc. ; tandis que chacun peut
constater avec évidence en relisant, comme j'ai
conseillé de le faire, les deux immortels passages-
de Kant, que c'est précisément ce point de vue
qui appartient originellement à Kant tout seul, et
que, sans lui, mille intelligences de la force de Mes-
sieurs Fichte et Schelling n'auraient jamais été
capables d'y atteindre. Gomme j'avais à parler ici
du travail de Schelling, je ne pouvais pas garder le
silence sur ce point ; et je crois, en revendiquant
pour Kant ce qui incontestablement n'appartient
qu'à lui, n'avoir fait que remplir mon devoir en-
vers ce grand maître de l'humanité, qui seul avec
Gœthe est le légitime objet d'orgueil de la nation
allemande, et cela surtout à une époque à laquelle
peut s'appliquer tout particulièrement le mot de
Gœthe :
c Le peuple des gamins est maître de la voie. »
Ajoutons que dans le même travail Schelling a
mis tout aussi peu de pudeur à s'approprier les
pensées et les expressions mêmes de Jacob Boehme,
164 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sans avertir le lecteur de la source à laquelle il
puisait.
En dehors de cette paraphrase des idées Kan-
tiennes, les Considérations sur le libre arbitre
ne contiennent rien d'instructif ou qui puisse nous
donner des lumières nouvelles sur notre problème.
C'est du reste ce qu'on peut prévoir dès le début en
lisant la définition : a La liberté est le pouvoir de
faire le bien ou le mal. » Une telle définition peut
être bonne pour le catéchisme : mais en philoso-
phie elle n'a pas de sens, et par suite elle ne peut
conduire à rien. Car le bien et le mal sont loin d'ôlre
de ces notions simples {notiones simplices) qui,
évidentes par elles-mêmes , n'ont besoin d'aucun
commentaire, d'aucune définition précise, d'aucun
fondement solide et rationnel. En somme, il n y a
qu'une petite partie de cette dissertation qui roule
sur le libre arbitre : ce qu'on y trouve surtout, c'est
la description minutieuse d'un Dieu avec lequel
Monsieur le rédacteur (Ver/'asser) fait preuve d'une
intime accointance, puisqu'il nous décrit même
son origine ; il faut seulement regretter qu'il ne
consacre pas un seul mot à nous apprendre par
quels moyens il a formé cette liaison. Le commence-
ment du livre est un tissu de sophismes, dont tout
homme est capable de reconnaître la frivolité,
pourvu qu'il ne se laisse pas éblouir par l'effron-
terie du ton avec lequel ils sont débités.
MES PRÉDÉCESSEURS 165
Depuis, et par reffet mêoie de cette production
et d'autres semblables, on a vu s'introduire dans
la philosophie allemande, au lieu de notions claires
et de recherches loyalement poursuivies, <• l'in-
tuition intellectuelle d et « la pensée absolue d.
Tromper, étourdir, mystifier, recourir à tous les
tours d'adresse pour jeter de la poudre aux yeux
du lecteur, est devenu la méthode universelle, et
partout à ïattention qui examine les choses s'est
substituée Yintention qui les préjuge * . Par cet en-
semble de manœuvres, la philosophie, si Ton peut
encore rappeler de ce nom, a dû nécessairement
tomber par degrés de plus en plus bas jusqu'à ce
qu'elle atteignit enfin le dernier degré de l'avilisse-
ment dans la personne de la créature ministé^
vielle Hegel. Cet homme, pour anéantir de nou-
veau la liberté de la pensée conquise par Kant, osa
transformer la philosophie, cette fille de la raison,
cette mère future de la vérité, en un instrument des
intrigues gouvernementales, de l'obscurantisme,
et du jésuitisme protestant : mais pour dissimuler
l'opprobre, et en même temps pour assurer le plus
grand encrassement possible des intelligences, il
jeta sur elle le voile du verbiage le plus creux et
du galimatias le plus stupide qui ait jamais été en-
1. Und durcbgaengig leilet stati der Einsicht die Absichi
den Vorlrag.
166 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
tendu, du moins en dehors des maisons de fous K
En Angleterre ou en France, la philosophie est
1 . Lorsqu*un philosophe fondateur de système en atta-
que un autre avec un parti pris de dénigrement et de
violence, ce n'est ordinairement pas dans une divergence
de vues qu'il faut chercher la raison dernière de celte
animosité. Plus souvent, au contraire, l'esprit de rivalité
oppose ceux-là mêmes que la ressemblance des doctrines
devrait rapprocher. Irrité de s'être vu précéder dans une
voie qu'il voudrait avoir frayée, tel renversé d'une main
les anciens systèmes pour les réédifier de l'autre sous
son nom : et, plus soucieux d'une originalité illusoire que
du triomphe de ses opinions, il combat moms vivement
ceux qui lui font opposition que ceux qui lui font om-
brage. Mais si parfois l'amour-propre s'y abuse, la critique
philosophique ne s'y trompe pas, et l'exemple n'est pas
rare de ces novateurs qui, par leur sévérité pour leurs
devanciers, ont fait soupçonner qu'ils avaient parmi eux
des précurseurs. De ce nombre est Schopenhauer, si
injuste envers deux grands hommes, Leibniz et Hegel, et
■qui pourtant a emprunté à l'un sa conception fondamen-
tale du dynamisme, à l'autre son idée de la finalité incon-
sciente, des ruses de la nature (Schopenhauer dit : de la
volonté) et bien d'autres encore (dans son Esthétique
surtout), qu'il s'est contenté de modifier à la surface.
Aussi ne faut-il point perdre de vue, en lisant ces dia-
tribes parfois justifiées contre Hegel et son obscurité
calculée, que si la vérité ne leur fait pas toujours défaut
c'est au fond le désir de la dissimuler qui les inspire.
— Voici d'ailleurs quelques autres spécimens de cette
polémique peu courtoise contre trois des plus grands
penseurs allemands de ce siècle : on verra comment
Schopenhauer respecte en autrui cette liberté des opi-
nions qu'il accuse Hegel d'avoir violée :
« En accordant à Fichte l'appellation d*homme de talent
(quelque loin qu'il soit d'être un summus philosophas),
je l'ai placé bien au-dessus de Hegel. C'est sur le compte
de celui-là seul que j'ai prononcé, sans commentaire et
dans les termes les plus catégoriques, ma condamnation
non qualifiée. Car cet homme, j'en ai la conviction, ne man-
que pas seulement de toute espèce de mérite en tant que
.V
MES PRÉDÉCESSEURS 167
restée dans son ensemble presque au même point
où ravalent laissée Locke et Gondillac. Maine de
philosophe, mais il a exercé sur la philosophie, et par là
sur toute la littérature aHemande en général, une influence
souverainement funeste, à proprement parler abêtissante,
on pourrait dire pestilentielle^ et c'est pourquoi il est du
devoir de tout homme capable de penser et de juger par
lui-même de le combattre en toute occasion de la façon
la plus énergique. Car si nous nous taisons, qui donc
élèvera la voix?... Si une ligue de journalistes conjurés
pour la glorification du mal, si des professeurs soldés de
l'Hégélie et des gradués sans chaire et mourant de faim
qui voudraient professer, proclament aux quatre vents,
sans trêve ni repos, et avec une impudence sans exem-
ple, quo ce cerveau très-ordinaire, mais extraordinaire
charlatan, est le plus grand philosophe que le monde ait
jamais possédé, cela ne vaut pas la peine qu'on s'en
occupe, d'autant plus que la grossière préméditation de
ces misérables menées a Uni par devenir évidente, même
aux esprits les moins exercés. Mais lorsqu'on en arrive
à ce point, qu'une Académie étrangère (l'Académie de
Danemark) veut prendre sous sa protection ce phiioso-
phâtre en le décorant du titre de summus philosophiis,
qu'elle se permet de flétrir l'homme qui, loyalement, in-
trépidement, s'insurge contre cette gloire mensongère,
captée, achetée, produit d'un tissu de faussetés, avec
rénergie qui seule est à la hauteur de cette insolente
exaltation et de cet importun panégyrique du faux, du
mal, et de tout ce qui jette le trouble dans l'esprit; alors
la chose devient sérieuse, car un jugement parti de si
haut pourrait conduire des gens mal instruits à de grandes
et funestes erreurs. Il doit donc être neutralisé; et à cet
effet, puisque je n'ai pas l'autorité d'une Académie, je
dois procéder par des raisons et des preuves à l'appui...
Si donc je disais que la prétendue philosophie de ce
Hegel est une colossale mystification, qui offrira à la
postérité un thème inépuisable de railleries aux dépens de
notre époque, une pseudo-philosophie qui paralyse toutes
les forces de l'esprit, qui étouffe toute véritable pensée,
et qui, au moyen des plus audacieux abus de langage, y
substitue le verbiage le plus creuxi le plus vide de senSf
168 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Biran, que son éditeur, M. Cousin, appelle « le
premier métaphysicien français de mon temps >,
le plus vide d'idées, et, comme le résultat Ta démontré,
le plus abêtissant : doctrine qui ayant pour noyau (base)
une fantaisie absurde et prise en Tair, manque égale-
ment de principes et de conséquences, c'est-à-dire n'est
démontrée par rien, ne démontre elle-même et n'explique
rien, en outre» manquant d'originalité, une simple parodie
du Réalisme scolastique ei en même temps du Spino-
zisme, lequel monstre doit aussi, de dos, représenter le
Christianisme — icpàoBg Àcoiv, SttcÇcv Sï âpoM0èif,fik99ri it xii^onpv.^
— j'aurais pleinement raison . Et si je disais encore que
ce summus philosophus a griffonné des sottises comme
pas un autre mortel, à tel point que celui qui pourrait
lire son ouvrage le plus estimé, la Phénoménologie de
VEsprit, sans se croire dans une maison de fous, y appar-
tiendrait de droit, — je serais encore dans le vrai. » —
Ailleurs : « Qu'on ne s'attende point à m'entendre parler
avec respect de gens qui ont fait tomber la philosophie
dans le mépris. » — < Que celui qui en a la patience, lise
les .^§40*62 où le summus philosophus expose la philosophie
de Kant en la dénaturant ; qu'il admire ensuite comment,
incapable de mesurer la grandeur du mérite de Kant, placé
aussi trop bas par la nature pour pouvoir se réjouir de l'ap-
parition si indiciblement rare d'un génie vraiment sublime,
il jette un regard dédaigneux, du haut de cette supériO'
rite infinie dont il a conscience, sur ce grand, grand
homme, comme sur quelqu'un qu'il dépasse de cent
têtes, et dans les essais duquel, faibles encore et sentant
l'école, il indique avec une froide mésestime, d'un ton
mêlé d'ironie et de pitié, les fautes et les erreurs, pour
l'instruction de ses disciples ! Cette affectation de gran-
deur en présence du vrai mérite, est à la vérité une ficelle
connue de tous les charlatans à pied et à cheval, mais
malgré cela elle ne manque guère son effet sur les pau-
vres d'esprit. Aussi est-ce précisément cet air de supé-
riorité qui, joint à un vain barbouillage de niaiseries, fut
l'artifice principal de ce charlatan... Et c'est véritablement
par ces procédés qu'il a éveillé dans le public allemand
une haute opinion de la sagesse renfermée dans son
Abracadabra, car le public se dit : « Ils ont l'air fiers et
MES PRÉDÉCESSEURS 169*
se montre, dans ses Nouvelles considérations^
sur les rapports du physique et du moral (pu-
mécontents, ils doivent être de noble maison. » (Gœthe).
— « Juger d'après ses propres moyens est le privilège du
petit nombre : les autres se laissent guider par l'autorité
et par l'exemple. Ils voient avec les yeux et entendent
avec les oreilles d'autrui. C'est pourquoi il est bien facile
de penser comme tout le monde pense aujourd'hui ; mais
penser comme tout le monde pensera dans trente ans
d'ici, cela n'est pas donné à chacun. Celui donc qui.
habitué à admirer sur parole, s'est laissé imposer par le
crédit d'autrui le culte de quelque écrivain et qui veut
ensuite communiquer ce culte à tl'autres, peut facilement
se mettre dans la situation du commerçant, qui, ayant
escompté une mauvaise lettre de change, qu'on lui ren-
voie contre son attente avec protêt, est obligé de se donner
à lui-même la leçon de mieux se renseigner une autre
fois sur la solvabilité du tireur et de l'endosseur. » —
« C'est un honneur pour Locke, d'avoir été appelé paf
Flchte le plus mauvais des philosophes. » — « Ces exem-
ples suffisent pour montrer la longueur de ce qui... perce,
dès que Ton entr'ouvre par quelque fissure Tépaisse en-
veloppe du galimatias insensé, insulte perpétuelle à la^
raison humaine, dans laquelle le summus philosophus
aime à s'avancer à pas comptés pour en imposer aux
pauvres d'esprit. On dit : ex ungue îeonem : moi je dois
dire, decenter ou indecenter, ex aure astnum, » — « Telle
est l'origine de cette méthode philosophique qui suivit
immédiatement l'enseignement de Kant..., et dont le
règne sera désigné un jour dans l'histoire de la philoso-
phie sous le nom de « Période de la Déloyauté. > Comme
héros de cette époque, brillent Fichte et Schelling, au-
quel succéda en dernier lieu un homme tout à fait indi-
gne d'eux, et placé encore bien plus bas que ces hommes de
talent, ce charlatan lourd et sans esprit — Hegel. » — « La
reconnaissance de la nécessitation rigoureuse des actions
humaines est la ligne de démarcation qui sépare les têtes
philosophiques de celles qui ne le sont pas : et Fichte,
arrivé à cette limite, montra clairement qu'il apparte-
nait à ces dernières. > — M. de Schelling enseigne quels
pesanteur est la raison, et la lumière la cause des choses ;.
SGHOPENHAUER 10
170 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
bliées en 1834), partisan fanatique de la liberté
d'indifférence, et il l'accepte comme une vérité
qui B^entend tout à fait de soi. Cest ainsi que pro-
— ce que je me contente de citer comme une curiosité,
parce qu'un bavar^nge aussi frivole et aussi étourdi ne
mérite pas de f ace parmi les jugements de penseurs sé-
rieux et honnêtes. » — c Songe donc un peu (c'est un
professeur de philosophie qui parle) que nous sommes en
Allemagne, où Ton a pu faire ce qui n'eût été possible
nulle part ailleurs, décorer du titre de grand esprit et de
profond penseur, un philosophe sans esprit, ignorant, bar-
bouilleur de bêtises, désorganisant de fond en comble et
pour toujours les cervelles par un verbiage plus creux que
tout ce qu'on avait jamais entendu — je veux dire notre
cher Hegel. » — On croirait difficilement que les der-
nières phrases que nous avons citées sont empruntées à
l'ouvrage le plus difficile et le plus abstrait de Scho-
penhauer, la Dissertation sur le Quadruple Principe de
Baison Suffisante, dont il donna en 1847 une seconde
édition augmentée de dix pages d'invectives du goût de
celles que Ton vient de lire. Terminons par un passage
tiré de la Préface qu'il annexa à cette réimpression, et
dont la conclusion mérite d'être remarquée : « Oui, si
parfois maintenant l'indignation me sort de tous les pores,
ie lecteur ne m'en voudra point ; car il reconnaîtra que
j'ai prédit d'avance ce qui arrive, lorsqu'ayant à la bouche
Ja tt recherche de la vérité, » on ne cesse de tenir les
yeux fixés sur les intentions et les prescriptions d'auto-
rités supérieures ; lorsqu'on même temps on étend à la
philosophie le mot e quovis ligno fi,t Mercurius, et qu'on
décore du nom de grand philosophe, un lourd char-
latan commo Hegel... La philosophie allemande est là
devant nous, chargée de mépris, rayée du nombre des
sciences loyales, — pareille à une prostituée, qui, pour
un honteux salaire, s'est livrée hier à l'un, et aujourd'hui
à l'autre ; et les cervelles de la génération actuelle sont
désorganisées par les absurdités hégéliennes : incapa*
blés de penser, assourdies et abêties par tant de tapage,
elles deviennent la proie du plat matérialisme, sorti en
rampant de Vœuf de basilic, » /
MES PRÉDÉCESSEURS 171
cèdent plusieurs des écrivains philosophiques plus
récents de TAllemagne : la liberté d'indifférence,
déguisée sous le nom de '( liberté morale » , passe à
leurs yeux pour la chose du monde la plus assurée^
absolument comme si tous les grands hommes
que j'ai nommés plus haut n'avaient jamais vécu.
Ils déclarent que le Ubre arbitre nous est immédia-
tement prouvé par la conscience, et que le témoi-
gnage de celle-ci l'établit d'une façon si inébran-
lable, que tous les arguments qui le combattent ne
peuvent être que des sophismes. Cette sereine
confiance provient tout simplement de ceci, que
ces braves gens ne savent même pas ce qu'est et
ce que signifie le libre arbitre; dans leur naïveté,
ils n'entendent par ce mot que la souveraineté de
la volonté sur les membres du corps , souverai-
neté que jamais un homme raisonnable na révo-
quée en doute, et dont la fameuse affirmation « je
peux faire ce que je veux » est une expression
précise. Ils s'imaginent de très-bonne foi que c'est
là ce qui constitue le hbre arbitre, et sont tout
fiers de le voir ainsi au-dessus de toute contro-
verse. Voilà l'état de naïveté et d'ignorance au-
quel, après un passé si glorieux, la philosophie
hégéUenne a ramené la pensée en Allemagne I Â la
vérité on pourrait crier à des gens de cette* espèce :
a N'êles-vous pas comme les femmes, qui toujours»
« En reviennent à leur premier mot,
« Après qu'on leur a parlé raison pendant des heures? »
172 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Toutefois il faut dire que les motifs théologiques
signalés plus haut peuvent exercer une secrète in-
fluence sur un bon nombre d'entre eux.
 leur suite, écoutons avec quelle avidité les
écrivains qui s*occupent de médecine, de zoologie,
-d'histoire, de belles-lettres, saisissent aujourd'hui
les moindres occasions de prôner la c liberté de
rhomme, » la ce liberté morale ! » Cela leur suffit
pour se croire quelque chose. A la vérité, ils ne se
laissent pas amener à donner des explications sur
ces mots : mais si Ton pouvait sonder le fond de leurs
idées, on trouverait que par leur liberté morale ils
entendent, ou bien je ne sais quoi dénué de tout sens,
ou bien notre bonne vieille liberté d'indifférence,
sous quelque sublime phraséologie qu'ils puissent
la déguiser, c'est-à-dire une notion de l'absurdité
de laquelle on ne réussira peut-être jamais à con-
vaincre le vulgaire, mais que du moins des savants
devraient se garder d'affirmer avec tant de naïveté!
Aussi y a-t-ii parmi eux quelques peureux, qui
sont bien amusants : n'osant plus parler du libre
arbitre, ils évitent ce mot et disent prétentieuse-
ment « la liberté de l'esprit » — et ils espèrent s'es-
quiver ainsi. Je vois le lecteur me demander d'un
tiir intrigué : a Et qu'entendent-ils par là? » Je suis
heureusement en état de le lui dire : Rien, ab-
solument rien : — si les mots en allemand signi-
.fient quelque chose, ce n'est là qu'une expression
MES PRÉDÉCESSEURS 173
vague, à proprement parler privée de sens, sous le
couvert de laquelle leur platitude et leur lâcheté
s'efforcent de se dissimuler. Le mot c esprit », ex-
pression à la vérité tropologique^ désigne pour
tout le monde Tensémble des facultés intellec-
tuelles, par opposition à la volonté. Or ces facultés
ne doivent nullement être libres dans leur exer-
cice, mais se conformer toujours aux lois de la
logique et de plus rester subordonnées à l'objet
particulier qu'elles conçoivent et en harmonie
avec lui, de sorte que leur conception soit pure,
c'est-à-dire objective, et qu*il ny ait jamais lieu
de dire : Stat pro ratione voluntas. En somme,
cet a esprit > qui aujourd'hui s*étale partout dans
la littérature allemande, est un compagnon des
plus suspects auquel il faut toujours demander son
passeport quand on le rencontre. Son métier le
plus habituel est de servir de masque à la pau-
vreté intellectuelle associée à la lâcheté. D'ailleurs
le mot esprit (geist) est, comme on sait, parent du
mot gaZy qui lui-même, dérivé de l'arabe et intro-
duit dans nos vocabulaires par l'alchimie, signiQe
vapeur ou air, de même que spirituSj icveufxa, ani-
mus, est parent d'àvcjAoç, vent ^
Tel est, dans le monde philosophique et dans
le monde savant, l'état actuel des intelligences
1. Quand on a lu des traits d'esprit de cette force
on hésite à souscrire à Tafifirmation de M. Ribot : • Si
10.
174 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
au sujet du problème qui nous occupe , après tout
ce qu'ont enseigné sur ce point tant de grands es-
prits dont nous venons de rappeler les noms ; ce
qui permet de constater une fois de plus que non-
seulement la nature, à toutes les époques, n'a pro-
duit qu'un nombre très-restreint de véritables
penseurs, mais que ces penseurs eux-mêmes n'ont
vécu que pour un très-petit nombre de leurs sem-
blables. C'est pour cette raison que la folie et Ter-
reur régnent continuellement sur le monde * .
Dans une question de morale^ le témoignage des
grands poètes est aussi d'un certain poids. Leurs
Schopenhauer était traduit dans notre langue, on s'éton-
nerait de le trouver si peu allemand. » C'est bien ici ou
jamais le cas de dire : Nimis germanicè !
1. On nous saura gré de rappeler en regard de ces
lignes une des plus belles pages de Schopenhauer (Pré-
face de l'Éthique^ p. xxxi) a : Rien ne rabaisse autant le
niveau intellectuel que d'admirer et de glorifier le mal.
Car Helvétius dit avec raison : « Le degré d'esprit
nécessaire pour nous plaire, est une mesure exacte
du degré d'esprit que nous avons. » Il est bien plus
facile d'excuser ceux qui méconnaissent passagère-
ment le bien que ceux qui prônent le mal : car ce
qu'il y a de plus excellent dans tous les genres nous
apparaît si neuf et si étranger, grâce à son originalité
même, que, pour le reconnaître au premier coup d'œil,
il ne faut pas seulement avoir de l'intelligence, mais une
connaissance profonde du sujet spécial dont il s'agit. On
comprend dès lors pourquoi en général les découvertes
du génie ne sont reconnues que tard, d'autant plus tard
qu'elles appartiennent à un ordre plus élevé, et que les
vérUables porte-flambeaux de V humanité partagent le destin
des étoiles fixes, dont la lumière met bien des années avant
de parvenir dans VhwHzon de la vue bornée des hommes»
MES PRÉDÉCESSEURS 175
opinions ne se sont pas formées à la suite d'une
étude systématique ; mais la nature humaine est
ouverte à leurs pénétrants regards, et leurs yeux
atteignent immédiatement à la vérité. — Dans
Shakespeare (Measwre for Measure^ A. II, se. II),
Isabella demande au tyran Ângelo la grâce de son
frère condamné à mort :
ANGELO. Je ne veux pas lui pardonner.
ISABELLA. Mais le pourriez- vous, si vous le vouliez ?
ANGELO. Songez que ce que je ne veux pas faire, je ne
[peux pas le faire.
Par contre le culte du mal, du faux, du niais et môme
de Tabsurde et de l'insensé, n'admet aucune excuse : on
prouve tout simplement, en le pratiquant, que Ton n'est
qu'un imbécile, et qu'on restera tel jusqu'à la Un de ses
jours : car le i)on sens ne s'apprend pas... D'ailleurs, en
traitant une fois comme elle le mérite, après provocation
de sa part, l'Hégélie, cette peste de la littérature alle-
mande, je suis certain de la reconnaissance des hommes
sincères et intelligents, s'il en existe encore. Car ils
seront tout à fait de l'opinion que Voltaire et Goethe ont
exprimée comme il suit avec une conformité de vues si
frappante : « La faveur prodiguée aux mauvais ouvrages est
aussi contraire au progrès que le déchaînement contre les
bons. » {Lettre à la duchesse du Maine), — « Le véritable
obscurantisme ne consiste pas à empêcher la diffusion
de la lumière, de la vérité et de l'utile, mais à colporter
le faux. » (Œuvres Posthumes de Gœtixe, vol. 9, p. 54.)
Et quelle époque a jamais assisté à un colportage si mé-
thodique et si audacieux du détestable que les vingt der-
nières années en Allemagne? Quelle autre pourrait offrir
en parallèle une semblable apothéose de l'absurdité et de
la déraison ? Pour quelle autre Schiller semble-t-il avoir
écrit si prophétiquement ces vers :
J'ai vu les couronnes sacrées de la gloire
Profanées sur un front vulgaire.
{Ecrit en 1840.)
176 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRB
Dans la Twelfth Night, A. 1, on lit :
Destin, montre ta force : nous ne disposons pas de nous-
[mômes,
Ce qui est décrété doit être ; et je m'abandonne à Tévé-
[nement.
Walter Scott aussi, ce grand connaisseur et ce
grand peintre du cœur humain et de ses impul-
sions les plus secrètes, a mis en lumière cette pro-
fonde vérité, dans La source de St-Jîonan, vol. 3.
chap. 6. Il nous représente une pécheresse qui
meurt dans le repentir, et qui essaie sur son lit
ûe mort de soulager par des aveux sa conscience
troublée : il lui prête entre autres les paroles sui-
vantes : a Allez, et abandonnez-moi à mon destin.
•Je suis la plus détestable créature qui ait jamais
vécu : détestable à moi-même, ce qui est le pire :
^ar même dans ma pénitence il y a un secret mur-
mure qui me dit que si je me trouvais de nouveau
-dans les mêmes circonstances qu*autrefois , je
referais toutes les misérables actions que j'ai
<2ommises, et bien plus encore. Oh ! que Dieu me
vienne en aide , pour écraser cette criminelle
pensée ! »
Gomme complément à cette poétique exposition,
je citerai le fait suivant, qui lui est pour ainsi
dire parallèle, et fournit en même temps une
preuve très- convaincante à l'appui de la doclrine
de l'invariabilité des caractères. Il a passé en 1845
MES PRÉDÉCESSEURS 177
•du journal français la Presse dans le Times du
2 juillet 1845, d'où je le traduis K II a été publié
sous ce titre : Une exécution militaire à Oran. a Le
24 mars un Espagnol du nom d'Aguilera, alias
Gomez, avait été condamné à mort. Le jour avant
Texécution, il dit, dans une conversation avec son
geôlier : « Je ne suis pas aussi coupable qu'on Ta
prétendu : on m'accuse d'avoir commis trente meur-
tres, tandis que je n'en ai commis que vingt-six.
Dès mon enfance j'eus la soif du sang : quand j'avais
sept ans et demi, je poignardai un enfant. J'ai as-
sassiné une femme enceinte, et plus tard un offi-
cier espagnol, en suite de quoi je me vis forcé de
m'enfuir d'Espagne. Je me suis réfugié en France,
où j'ai commis deux crimes avant d'entrer dans la
légion étrangère. De tous mes crimes, celui que je
regrette le plus est le suivant : en 1841 je fis pri-
sonnier, à la tête de ma compagnie, un commis-
saire-général, escorté d'un sergent, d'un caporal
et de sept hommes : je les fis tous décapiter.
La mort de ces gens pèse sur moi : je les vois
dans mes rêves, et demain je les verrai dans les
soldats envoyés pour me fusiller. Et néanmoins, si
je recouvrais ma liberté, j'en assassinerais d'autres
encore. »
Le passage suivant, tiré ieVIphigéniG de Gœthe,
1. L'article du Times, qui est fort long, a été abrégé par
Schopenhauer.
178 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
peut encore être rappelé avec avantage ici :
ARCAS. Car tu n*as pas fait cas de mon fidèle conseil.
IPHIGÉNIE. Ce que j'ai pu faire, je l'ai fait volontiers.
ARCAS. Il est temps encore de changer d'avis.
IPHIGÉNIE. Cela n'est plus en notre pouvoir ^.
Terminons en citant un passage célèbre du Wal»
lenstein de Schiller, où notre vérité fondamentale
se trouve également exprimée avec éclat :
« Les actions et les pensées humaines, sachez-le,
Ne sont pas semblables aux vagues de la mer emportées
[par un mouvement aveugle.
L'intérieur de l'homme, ûnage abrégée du monde exté-
[rieur, est
La source profonde d'où elles jaillissent éternellement.
Elles se produisent nécessairement, comme le fruit de
[l'arbre.
Et les jeux du hasard ne sauraient les changer.
Quand j'ai étudié les parties les plus intimes de l'homme
Je connais aussi et ses volontés et ses actions. »
1 . Acte IV, scène 2. — Trad, de X. Marmier, Charpen^
lier, 1858.
2, Wallensteinf acte II, scène III, (Tradiiction de
M, Oscar Falateuf, sauf quelques changements.) Cette
tirade, dans Schiller, vient immédiatement à la suite des
trois vers cités, p. 172.
CHAPITRE V
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE.
C'est avec plaisir que dans le chapitre précédent
j'ai rappelé au souvenir du lecteur le nom de tous
ceux qui en poésie comme en philosophie ont glo ^
rieusement soutenu la vérité pour laquelle je com-
bats. Toutefois ce ne sont pas les autorités, mais
les arguments, qui sont les armes propres des phi-
losophes : aussi me suis-je servi exclusivement de
ceux-ci pour établir et défendre mon opinion, à
laquelle j'espère pourtant avoir donné un tel degré
d'évidence, que je me crois pleinement justifié à
tirer la conclusion à non posse ad non esse, dont
j'ai parlé en commençant i. Tout d'abord, après
avoir examiné les données fournies par le témoi-
gnage de la conscience, j'ai répondu négativement
1. Voyez page 33.
i80 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
à la qnestion de l'Académie Royale : maintenant^
cette même réponse, fondée sur on examen direct
et immédiat du sens intime, c'est-à-dire à priorif
se trouve confirmée médiatement et à posteriori :
car il est évident que lorsqu'une chose n'existe
point, on ne saurait trouver dans la conscience
les données nécessaires pour en démontrer la
réalité.
Quand même la vérité que j'ai démontrée dans
ce travail appartiendrait à la classe de celles qui
peuvent échapper à Tintelligence prévenue d'une
multitude aux vues bornées, et môme paraître
choquantes aux faibles et aux ignorants, une telle
considération ne devait toutefois pas me retenir
de l'exposer sans détours et sans réticences; car
je ne m'adresse pas en ce moment au peuple,
mais à une Académie éclairée, qui n'a pas mis au
concours une question aussi opportune en vue
d'enraciner plus profondément les préjugés, mais
en l'honneur de la vérité. — En outre, tant qu'il
s'agit encore d'établir et de consolider une idée
juste, celui qui poursuit loyalement la vérité doit
toujours considérer uniquement les arguments qui
la confirment, et non les conséquences qu'elle
peut entraîner, ce qu'il sera toujours temps de
faire quand cette idée sera solidement établie.
Peser uniquement les raisons, sans se préoccuper
des conséquences , et ne pas se demander tout
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 181
d'abord si une vérité nouvellement reconnue s'ac-
corde ou non avec le système de nos autres con-
victions, — telle est la méthode que Kant a déjèi
recommandée , et je ne saurais m'empècher do
répéter ici ses propres paroles i :
« Cela confirme cette maxime déjà reconnue et
vantée par d'autres, que dans toute recherche
scientifique il faut poursuivre tranquillement son
chemin avec toute la fidélité et toute la sincé-
rité possibles, sans s'occuper des obstacles qu'on
pourrait rencontrer ailleurs, et ne songer qu'à
une chose, c'est-à-dire à l'exécuter pour elle-
même, en tant que faire se peut, d'une façon
exacte. Une longue expérience m'a convaincu que
ce qui, au milieu d'une recherche, m'avait par-
fois paru douteux^ comparé à d'autres doctrines
étrangères, quand je négligeais cette considération
et ne m'occupais plus que de ma recherche, jusqu'à
ce qu'elle fût achevée, finissait par s'accorder par-
faitement et d'une manière inattendue avec ce que
j'avais trouvé naturellement, sans avoir égard à
ces doctrines, sans partialité et sans amour pour
elles. Les écrivains s'épargneraient bien des er-
reurs, bien des peines perdues (puisqu'elles ont
pour objet des fantômes), s'ils pouvaient se résou-
1. Critique de la Raison Pratique, p. 239 de rédition
Rosenkranz.
SGHOPENHAUER • Il
i82 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
dre à mettre plus de sincérité dans leurs travaux ^ . »
Ajoutons à cela que nos connaissances métaphy-
siques sont encore bien loin d'être assez certaines
pour que nous ayons le droit de rejeter aucune
vérité solidement démontrée, par cela seul que
ses conséquences semblent en contradiction avec
elles. Bien plus, toute vérité prouvée et établie est
une conquête sur le domaine de l'inconnu dans
le grand problème du savoir en général, et un
ferme point d'appui où l'on pourra appliquer les
leviers destinés à remuer d'autres fardeaux; c'est
aussi un point fixe d'où l'on peut s'élancer d'un
seul bond, dans les occasions favorables, pour con-
sidérer l'ensemble des choses d'un point de vue plus
élevé. Car l'enchaînement des vérités est si étroit
dans chaque partie de la science, que celui qui a
pris possession pleine et entière d'une quelconque
d'entre elles peut légitimement espérer qu'elle
sera le point de départ d'où il s'avancera vers la
conquête du tout. De même que pour la .solution
d'une question difficile d'algèbre une seule gran-
deur donnée positivement est d'une importance
inappréciable, parce qu'elle rend possible cette
solution; ainsi, dans le plus difficile de tous les
problèmes humains, à savoir la métaphysique, la
connaissance assurée, démontrée à priori et à
1. P. 301 de la trad. française.
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 18^
posteriorU de la rigoureuse nécessité avec laquelle
les actes humains résultent du caractère et des^
motifs comme un produit de ses facteurs, est un
datum également ^ans prix, une vérité à la seule
lumière de laquelle on peut découvrir la solution
du problème tout entier. Aussi toute théorie qui
ne peut pas s'appuyer sur une démonstration so-
lide et scientifique doit s'effacer devant une vérité
aussi bien fondée, partout où elle se trouve en op-
position avec elle, bien loin que le contraire ait
lieu : et sous aucun prétexte la vérité ne doit se
laisser entraîner à des accommodements et à de&
concessions, pour se mettre en harmonie avec
des prétentions énoncées au hasard, et peut-être
erronées.
Qu'on me permette encore une observation gé-
nérale. Un regard jeté en arrière sur le résultat
acquis nous donne Toccasion de remarquer que
pour la solution des deux problèmes qui ont été
désignés déjà dans le chapitre précédent comme lea
plus profonds de la philosophie moderne, et dont
les anciens par contre n'avaient qu'une connais-
sance vague, — je veux dire le problème du libre
arbitre et celui du rapport de l'idéal et du réel, —
la raison saine, mais (philosophiquement) inculte i,
n'est pas seulement incompétente, mais a même
1. C'est-à-dire le sens commun, ou plutôt ce qu'oa
appelle vulgairement « le gros bon sens. »
184 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
une tendance naturelle et décidée à Terreur, et que,
pour Ten garantir, l'intervention d'une philosophie
déjà fort avancée est nécessaire. Il est en effet tout à
fait naturel au sens commun d'accorder beaucoup
trop à Tobjetdans Tensemble de la connaisssance, et
c'est pourquoi il a fallu un Locke et un Kant pour
montrer quelle grande part doit y être attribuée au
sujet. Pour ce qui concerne la volonté, le sens com-
mun obéit à un penchant contraire : il accorde bien
trop peu à l'objet et beaucoup trop au sujet, en fai-
sant découler la volition tout entière du sujet, sans
tenir un compte suffisant du facteur objectif, à sa-
voir le motif, qui, à proprement parler, détermine
Vessence individuelle des actionSy tandis que c'est
seulement leur caractère général et universel, c'est-
à-dire leur caractère moral fondamental, qui dé-
rive du sujet. Une interprétation aussi inexacte de
la vérité, naturelle à Tintelligence dans le domaine
des recherches spéculatives, ne doit toutefois pas
nous surprendre : car Tintelligence est originelle-
ment destinée à poursuivre des buts pratiques, et
aucunement des recherches spéculatives.
Si maintenant, à la suite de l'exposition précé-
dente, nous avons clairement fait reconnaître au
lecteur que l'hypothèse du libre arbitre doit être
absolument écartée, et que toutes les actions des
hommes sont soumises à la nécessité la plus in-
flexible, nous l'avons par là même conduit au
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 185
point OÙ il peut concevoir la véritable liberté mo-
rale, qui appartient à un ordre d'idées supérieur.
Il existe, en effet, une autre vérité de fait attestée
par la conscience, que j*ai complètement laissée
de côté jusqu'ici pour ne pas interrompre le cours
de notre étude. Cette vérité consiste dans le senti-
ment parfaitement clair et sûr de notre responsa-
bilité morale, de l'imputabilité de nos actes à nous-
mêmes, sentiment qui repose sur cette conviction
inébranlable, que nous sommes nous-mêmes les
auteurs de nos actions. Grâce à cette conviction
intime, il ne vient à l'esprit de personne, pas même
de celui qui est pleinement persuadé de la néces*
site de Tencbainement causal de nos actes, d'al-
léguer cette nécessité pour se disculper de quel-
que écart, et de rejeter sa propre faute de lui-
môme sur les motifs, bien qu'il soit établi que par
leur entrée en jeu l'action dût se produire d'une
façon inévitable. Car il reconnaît très-bien que
cette nécessité est soumise à une condition sub-
jective, et qu'objectivement, c'est-à-dire dans les
circonstances présentes, par suite sous l'influence
des mêmes motifs qui l'ont déterminé, une ac-
tion toute différente, voire même directement op-
posée à celle qu'il a faite, était parfaitement possible,
et aurait pu être accomplie, pourvu toutefois qu'il
eût été un autre : c'est de cela seulement qu'il s'en
est fallu. Pour lui même, parce qu'il est tel et non
186 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
tel, parce qu'il a tel caractère et non tel autre,
4ine action différente n'était à la vérité pas possible;
mais en elle-même et par suite objectivement y
elle était réalisable. Sa responsabilité, que la cons-
<^ience lui atteste, ne se rapporte donc à Tacte
même que médiatement et en apparence : au
fond, c'est sur son caractère qu'elle retombe ; c'est
de son caractère qu'il se sent responsable. Et c'est
aussi de celui-là seul que les autres hommes le
rendent responsable, car les jugements qu'ils por-
tent sur sa conduite rejaillissent aussitôt des actes
isur la nature morale de leur auteur. Ne dit-on pas,
^n présence d'une action blâmable : c Voilà un
méchant homme, un scélérat, ^ ou bien : c C'est
un coquin !» — ou bien : « Quelle âme mesquine,
hypocrite, et vile 1 » — C'est sous cette forme que
«'énoncent nos appréciations, et c'est sur le carac-
tère même que portent tous nos reproches. L'ac-^
tion, avec le motif qui l'a provoquée, n'est consi-
dérée que comme un témoignage du caractère de
son auteur ; elle est d'ailleurs le symptôme le plus
str de sa moralité, et montre pour toujours et
d'une façon incontestable quelle est la nature de
son caractère. C'est donc avec une grande péné-
tration qu'Aristote a dit : a Nous louons ceux qui
ont déjà fait leurs preuves. Les actes, en effet, sont
le signe de la disposition intérieure, à tel point que
nous louerions même celai qui n'a pas encore agi
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE i87
si nous avons confiance qu'il est disposé à le faire
[Rhétorique, 4,9).» Ce n'est pas sur une action
passagère , mais sur les qualités durables de
son auteur, c'est-à-dire sur le caractère dont
elle émane, que portent la haine, l'aversion et
le mépris. Aussi, dans toutes les langues, les épi-
thètes marquant la perversion morale, les termes
d'injure qui la flétrissent, sont bien plus sou-
vent des attributs applicables à l'homme qu'aux
actions mêmes dont il se rend coupable. On les
applique à son caractère (car c'est à lui qu'in-
combe véritablement la faute), lorsque ses mani-
festations extérieures, c'est-à-dire ses actes, ont
révélé sa nature particulière et permis de l'ap-
précier.
•Là où est la faute doit être également la res-
ponsabilité : et puisque le sentiment de cette res-
ponsabilité est Tunique donnée qui nous fasse in-
duire l'existence de la liberté morale, la liberté
elle-même doit résider là où la responsabilité ré-
side, à savoir : dans le caractère de Vhomme. Cette
conclusion est d'autant plus nécessaire que nous
sommes persuadés que la liberté ne saurait se"
trouver dans les actions individuelles, qui s'en-
chaînent d'après un rigoureux déterminisme une
fois que le caractère est donné. Or le caractère,
comme il a été montré dans le troisième chapitre,
est inné et invariable.
188 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
Nous allons maintenant considérer d'un peu
plus près la liberté entendue dans ce dernier sens,
le seul pour lequel des données positives exis-
tent, afin qu'après avoir refusé d'admettre la liberté
comme un fait de conscience et en avoir déter-
miné le véritable siège, nous nous efforcions au-
tant que possible de nous en faire une idée nette
au point de vue philosophique.
Dans le troisième chapitre, on a vu que chaque
action humaine est le produit de deux facteurs : le
caractère individuel et le motif. Cela ne signifie
aucunement qu'elle soit une espèce de moyen
terme, de compromis entre le motif et le carac-
tère ; au contraire elle satisfait pleinement à cha*
cun d'eux, en s'appuyant, dans toute sa possibi-
lité, sur les deux à la fois ; car il faut et que la
cause active puisse agir sur ce caractère, et que
ce caractère soit déterminable par une telle cause»
Le caractère est l'essence empiriquement recon-
nue, constante et immuable, d'une volonté indi-
viduelle. Or, comme ce caractère est pour toute
action un facteur aussi nécessaire que le motif,
on comprend par là le sentiment qui nous at-
teste que tous nos actes émanent de nous-mêmes,
et cette affirmation «je veux », qui accompagne
toutes nos actions, en vertu de laquelle chacun
doit les reconnaître comme siennes, et en ac-
cepter la responsabilité morale. Nous retrouvons
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 189
ici ce a je veux, et ne veux jamais que ce que je
veux j> que nous rencontrions plus haut dans Texa-
men du témoignage de la conscience, et qui égare
le sens commun jusqu'à lui faire soutenir obstiné-
ment l'existence d*ane liberté absolue du faire ou
du ne pas faire, d'un liberum arbitrium indiffe-
rentiae. Ce sentiment n est rien de plus que la
conscience du second facteur de Tacte, qui en lui-
même serait tout à fait insuffisant pour le produire
et qui, par contre, le motif intervenant, est égale-
ment incapable de faire obstacle à sa production.
Mais ce n'est qu^après avoir été amené ainsi à des
manifestations actives, qu'il donne à connaître sa
véritable nature à Tentendement , lequel, dirigé
vers le dehors plutôt que vers le dedans, n'apprend
à connaître l'essence de la volonté qui se trouve
associée à lui dans une même personne, que par
l'observation empirique de ses manifestations. G*est,
à proprement parler, cette connaissance de plus
en plus immédiate et intime avec nous-mêmes qui
constitue la conscience morale \ laquelle, par
cette raison, ne fait entendre sa voix directement
1. Schopenhauer remarque quelque part avec raison
que les hommes appellent conscience morale ce qui n'est
souvent qu'une conscientia sptiria, où les idées morales
ont bien moins de part que la crainte du châtiment. Quand
nous avons violé la loi, nous sentons que noits nous 8om>
mes mis hors la loi , et ce sentiment, qui est en défini-
tive une crainte, suffit pour nous troubler au milieu de
la sécurité apparente la plus complète.
11.
190 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
qu'après l'action. Avant l'action, elle intervient
tout au plus indirectement y en nous obligeant, au
moment de la délibération, à tenir compte de son en-
trée enjeu prochaine, que nous nous figurons grâce
è, nos réflexions et à nos retours sur les cas analo-
gues, au sujet desquels elle s^est déjà prononcée*
Il convient à présent de rappeler au lecteur T ex-
plication proposée par Kant et déjà mentionnée
au chapitre précédent, sur le rapport entre le ca-
ractère intelligible et le caractère empirique, grâce
à laquelle se concilient la liberté et la nécessité,
dette théorie appartient à ce que ce grand homme,
et je dirai même à ce que toute l'humanité a jamais
produit de plus beau et de plus profond. Il me
suffit d'y renvoyer, car ce serait m*étendre inuti-
lement que de la reprendre ici. Par elle seule on
peut concevoir, dans la mesure des forces hu-
maines, comment la nécessité rigoureuse de nos
actes est néanmoins compatible avec cette liberté
morale dont le sentiment de notre responsabiUté
est un irrécusable témoignage ; par elle encore,
nous sommes les véritables auteurs de nos actions,
^t celles-ci nous sont moralement imputables.
La distinction entre le caractère empirique et le
caractère intelligible, telle que Kant l'a exposée,
relève du même esprit que sa philosophie tout
entière, dont le trait dominant est la distinction
•entre le phénomène et la chose en soi. Et de môme
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE i9!
que pour Kant la réalité ejnpirique du monde
sensible subsiste concurremment avec son idéalité
transcendantaley ainsi la rigoureuse nécessitation
(empirique) de nos actes s'accorde avec notre
liberté transcendantale. Car le caractère empi-
rique, en tant qu'objet de l'expérience, est, comme
l'homme tout entier, un simple phénomène, sou-
mis par suite aux formes de tout phénomène — le
temps, l'espace et la causalité — et régi par leurs
lois. Par contre, la condition et la base du carac-
tère phénoménal que l'expérience nous révèle,
indépendante, en tant que chose en soi, de ces
formes, et soustraite par suite à tout changement
dans le temps, demeurant constante et immuable,
s'appelle le caractère intelligible, c'est-à-dire la
volonté de l'homme en tant que chose en soi. Ainsi
considérée, elle a sans doute la liberté absolue
pour privilège, c'est-à-dire qu'elle est indépendante
de la loi de causalité (en tant que celle-ci est sim-
plement la forme des phénomènes) ; mais cette li-
berté est transcendantale, c'est-à-dire qu'elle est
invisible dans le monde de l'expérience. Elle n'existe
qu'autant que nous faisons abstraction de l'appa-
rence phénoménale et de toutes ses formes, pour
nous élever jusqu'à cette réalité mystérieuse, qui,
placée hors du temps, peut être pensée comme
l'essence intérieure de l'homme en soi. Grâce à
cette liberté^ toutes les actions de l'homme sont
192 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
véritablement son propre ouvrage, malgré la né-
cessité avec laquelle elles découlent du caractère
empirique, lorsque celui-ci subit l'action des molife;
parce que ce caractère empirique est simplement
l'apparence phénoménale du caractère intelligible,
soumis par notre entendement aux formes de l'es-
pace, du temps et de la causalité, c'est-à-dire la
manière et l'aspect sous lesquels se présente à notre
entendement l'essence propre de notre moi en soi.
Il suit de là sans doute que la volonté est libre,
mais seulement en elle-même et en dehors du
monde des phénomènes. Dans ce monde-ci, au con-
traire, elle se présente déjà avec un caractère géné-
ral entièrement fixé d'avance, auquel toutes les ac-
tions doivent être conformes; par suite, lorsqu'elles
sont déterminées avec plus de précision encore par
l'entrée en jeu des motifs, elles doivent nécessaire-
ment se produire de telle ou telle façon, à l'exclu-
sion de toute autre.
Ces considérations nous conduisent, comme il
est facile de le voir, à chercher l'œuvre de la liberté
humaine, non plus, ainsi que le fait le sens commun
du vulgaire, dans nos actions individuelles, mais
dans la nature tout entière [existentia et essentia)
de l'homme, qui doit être considérée comme un acte
libre^ se manifestant seulement, — pour un enten-
dement soumis aux formes du temps, de l'espace,
et de la causaUté, — sous l'apparence d'une multi-
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 193
plicité et d'une variété d'actions, lesquelles cepen-
dant, précisément à cause de Tunité primitive de
la chose en soi qu'elles manifestent, doivent toutes
être revêtues du même caractère, et paraître ri-
goureusement nécessitées par les différents mo-
tifs qui à chaque fois les provoquent et les déter-
minent individuellement. C'est pourquoi, dans le
monde de l'expérience, la maxime Operari sequU
iur Esse (les actions sont conformes à l'essence)
est une vérité qui ne souffre pas d'exceptions.
Chaque chose agit conformément à sa nature et
c'est par ses manifestations actives, sous la sollici-
tation des motifs, que sa nature nous est révélée.
De même, tout homme agit conformément à ce qu'il
est, et l'action conforme à sa nature est déter-
minée dans chaque cas particulier par l'influence
nécessitante des motifs. La liberté, qui par suite ne
peut pas exister dans YOperari (l'Action), doit ré-
sider dans YEsse fl'Etre). C'est une erreur fonda-
mentale, un hystéron protéron de tous les temps,
d'attribuer la nécessité à l'Être et la liberté à l'Ac-
tion : c'est le contraire qui est le vrai ; dans YÊtre
seul réside la liberté, mais dé l'Esse et des motifs
YOperari résulte nécessairement, et cest par ce
que nous faisons que nous reconnaissons noits-
mêmes ce que nous sommes. C'est sur cette vérité,
et non sur une prétendue liberté d'indifférence, que
reposent la conscience de la responsabilité et la
194 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
tendance morale de la vie. Tout dépend de ce qu'est
un homme; ce qu'il fait en découle naturellement,
comme un corollaire d'un principe. Le sentiment
intime de notre pouvoir personnel et de notre cau-
salité qui accompagne incontestablement tous nos
actes, malgré leur dépendance à l'égard des motifs,
et en vertu duquel nos actions sont dites nôtres^ —
ne nous abuse donc pas : mais la portée véritable
de cette conviction dépasse la sphère des actes et
remonte, si l'on peut dire, plus haut, puisqu'elle
s^é tend à note nature et à notre essence mêmes,
d'où découlent nécessairement tous nos actes sous
l'influence des motifs. Dans ce sens, on peut com-
parer ce sentiment de notre autonomie et de notre
causalité personnelles, comme aussi celui de la res-
ponsabilité qui accompagne nos actions, à une ai-
guille qui, montrant un objet placé au loin, sem-
blerait, ux yeux du vulgaire, indiquer un objet plus
rapproché d'elle et situé dans la même direction.
En résumé, l'homme ne fait jamais que ce qu'il
veut, et pourtant il agit toujours nécessairemen .
La raison en est qu'il est déjà ce qu'il veut: car de
ce qu'il est découle naturellement tout ce qu'il fait.
Si l'on considère ses actions objectivement ^ c'est-
Jidire par le dehors, on reconnaît apodictiquement
que, comme celles de tous les êtres de 7a nature,
elles sont soumises à la loi de la causalité dans toute
sa rigueur; su&jectti;emenf, par contre, chacun sont
CONCLUSION ET CONSIDÉRATION PLUS HAUTE 195
qu'il ne fait jamais que ce qu'il veut. Mais cela
prouve seulement que ses actions sont l'expression
pure de son essence individuelle. C'est ce que sen-
tirait pareillement toute créature, même la plus
infime, si elle devenait capable de sentir i.
La liberté n*est donc pas supprimée par ma so-
lution du problème, mais simplement déplacée et
reculée plus baut, à savoir en dehors du domaine
des actions individuelles, où Ton peut démontrer
qu'elle n'existe pas, jusque dans une sphère plus
élevée, mais moins facilement accessible à notre
intelligence — c'est-à-dire qu'elle est transcendan-
tale. Et telle est aussi la signification que je voudrais
voir attribuer à cette parole de Malebranche : c La
liberté est un mystère, :» sous l'égide de laquelle la
présente dissertation a essayé de résoudre la ques-
tion proposée par l'Académie Royale.
1. Il y a là une idée profonde que Schopenhauer a évité
de développer, sans doute parce qu'il reconnaissait qu'elle
appartient en propre à Schelling et à Hegel. — c La
liberté est la nécessité comprise. » (Hegel.) — c Tout
être, aussitôt qu'il devient sujet, convertit la détermina-
tion en spontanéité, la nécessité en liberté. » (Schelling]
PIN.
APPENDICES
I
POUR SERVIR DE COMPLÉMENT AU PREMIER
CHAPITRE.
En conséquence de la distinclion établie par nous
dès le commencement de cet ouvrage entre la liberté
physique, la liberté intellectuelle et la liberté morale,
il me reste encore, après avoir achevé de traiter de
la première et de la dernière, à examiner la seconde^
ce que je ne ferai que par le désir d'être complet, et
avec le plus de brièveté possible.
L'entendement, ou faculté cognitive, est le médium
des motifs, c'est-à-dire Tintermédiaire par lequel ils
agissent sur la volonté, qui est à proprement parler
le fond même (le noyau) de Thomme. Ce n'est qu'au-
tant que cet intermédiaire entre les motifs et la vo-
lonté se trouve dans un état normal, accomplit régu-
lièrement ses fonctions et présente au choix de la
volonté les motifs dans toute leur pureté, tels qu'ils
existent dans la réalité du monde extérieur ^, que
1. Reid objecterait, avec infiniment de raison , que les
motifs n*ont aucune valeur indépendamment de nous, et que
parler des motifs e tels qu'ils existent dans le monde exté-
rieur, » c'est perdre de vue qu'un objet quelconque ne de«
vient motif que par rapport à un entendement qui le con-
çoit de telle ou telle façon. C'est le cas de répéter l'adage
scolastique : « Causa finalis agit non secundùm suum
esse reale^ sed secundùm suum esse cognitum, » — Il y 8
là d'ailleurs le germe d'une question extrêmement déli-
cate, pour laquelle je me permets de renvoyer au cha-
pitre 1" du Livre III de la Morale de M. Janet, et que
Fichte tranchait par cette maxime : « Agis toujours
suivant la conviction actuelle que tu as de ton devoir. »
APPENDICE I 197
celle-ci peut se décider conformément à sa nature,
c'est-à-dire au caractère individuel de Thomme, et par
suite se manifester sans obstacle, diaprés son essence
particulière : en ce cas Thomme est intellectuelle-
ment libre, ce qui signifie que ses actions sont le ré-
sultat véritable et non altéré de la réaction de sa
volonté sous Tinfluence des motifs, qui, dans le monde
extérieur, sont présents à son esprit comme à celui
de tous les hommes. Par suite, elles lui sont alors
imputables moralement aussi bien que juridiquement.
Cette liberté intellectuelle est abolie : !• Lorsque
rintermédiaire des motifs, Tentendement, est troublé
pour toujours ou seulement passagèrement; 2* Lors»
que des causes extérieures, dans certains cas parti-
culiers, allèrent la conception nette des motifs. Le
premier cas est celui de la folie, du délire, du pa-
roxysme, de la passion, et de la somnolence qui ré^
suite de Tivresse ; le second est celui d'une erreur
décidée et innocente, comme celle d'un homme qui
verserait à boire à un autre un poison au lieu d'un mé-
dicament, ou qui, voyant entrer de nuit un domestique
dans sa chambre, le prendrait pour un voleur et le
tuerait, — et autres accidents semblables. Car dans
l'un et l'autre de ces cas les motifs sont altérés, et la
volonté ne peut pas se décider comme elle le ferait
dans les mômes circonstances , si Tintelligence les
lui présentait sous leur aspect véritable. Les crimes
commis dans de telles conditions ne sont pas légale-
ment punissables. Car les lois partent de cette juste
présomption, que la volonté ne possède pas la liberté
morale (auquel cas on ne pourrait pas la diriger) ; —
mais qu'elle est soumise à la contrainte nécessitante
des motifs ; cest pourquoi, à tous les mobiles pos-
498 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sibles qui peuvent exciter au crime, le législateui
s'efforce d*opposer, dans les punitions dont il le me-
nace, des motifs contraires plus puissants. Un code
pénal n'est pas autre chose qu'un dénombrement de
motifs propres à tenir en échec des volontés portées
au mal ^ Mais s'il est arrivé que rintelligence, par
rintermédiaire de laquelle les motifs opposés doi-
vent agir, s'est trouvée momentanément incapable
de les concevoir et de les présenter à la volonté,
alors leur action devenant impossible, ils ont été
pour l'esprit comme s'ils n*existaient pas. C'est
comme lorsqu'on découvre qu'un des fils qui devaient
mouvoir une machine est rompu. En pareil cas, la
responsabilité passe de la volonté à l'intelligence;
mais celle-ci ne peut être soumise à aucune péna-
lité : c'est à la volonté seule que le3 lois s'adressent,
ainsi que toutes les prescriptions de la morale. La
volonté seule constitue Thomme proprement dit;
l'intelligence est simplement son organe, ses anten-
nes dirigées vers le dehors, c'est-à-dire rintermé-
diaire entre les motifs et la volonté *.
Au point de vue moral, de telles actions ne nous
sont pas plus imputables qu'au point de vue juridi-
que. Car elles ne constituent pas un trait du carac-
tère de r homme : ou bien il a agi autrement qu'il ne
méditait de le faire, ou bien il était incapable de
réfléchir à ce qui aurait dû le détourner de cet acte,
c'est-à-dire d'être touché par les motifs contraires.
De même, lorsqu'on soumet un corps que l'on veut
analyser chimiquement à l'action de plusieurs réac-
tifs, pour voir avec lequel il a la plus puissante af-
1 Cf. Fouillée, ouvr, cit., p. 26.
2. V. Ribot, ouvr. cit., n. 69-73.
APPENDICE I d99
finité, si l'on trouve, l'expérience faite, que par. l'in-
tervention d*un obstacle fortuit une des substances
n'a pas pu réagir, l'expérience est considérée comme
absolument sans valeur.
La liberté intellectuelle, que nous avons vue com-
plètement supprimée dans les exemples précédents,
peut dans d'autres cas n'être que diminuée ou abolie
partiellement. C'est ce qui arrive surtout dans
rivresse et dans la passion. La passion est l'excita-
tion soudaine, violente de la volonté S par une re-
présentation qui pénètre par le dehors et acquiert la
force d'un motif; cette représentation possède une
telle vivacité qu'elle obscurcit et ne laisse pas arri-
ver jusqu'à Tentendement toutes celles qui pour-
raient agir contrairement en tant que motifs oppo-
ses. Ces représentations, qui sont pour la plupart
d^une nature abstraite, de simples pensées, tandis
que celle qui excite la passion est quelque chose de
présent et de sensible, ne peuvent pas influer au
même titre sur le résultat final et n*ont donc pas ce
que les Anglais appellent c fair piay i (jeu équitable,
chances égales). L'action se trouve déjà accomplie,
avant qu'elles puissent agir en sens contraire. C'est
comme lorsque dans un duel un des adversaires tire
avant le commandement. Ici encore, la responsabilité
1. C'est plutôt lé contraire qui est le vrai. L'état pas-
sionné, c'est-à-rdire la prédominance d'un désir « exalté
par l'imagination et nourri par l'habitude », correspond à
une abdication passagère de la volonté, plutôt qu'à son
degré de puissance le plus élevé, qui a lieu dans la calme
possession de soi. Il est juste d'ajouter que la volonté,
telle que l'entend ici Schopenhauer, équivaut presque au
6i3{jLoc de Platon, pour lequel il est si difficile de trouver
un équivalent dans notre langue.
200 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
juridique et morale est, selon les circonstances, plus
ou moins abolie, mais elle subsiste toujours en par-
tie. En Angleterre, un meurtre commis dans un état
de surexcitation complète et sans la moindre ré-
flexion, dans la violence d'une crise de colère subi-
tement provoquée, est qualifié de manslaughter (ho-
micide) et puni d'une peine légère, ou même parfois
absous. — L'ivresse est un état qui prédispose aux
passions, parce qu'il augmente la vivacité des repré-
sentations sensibles, en affaiblissant par contre la
pensée in abstracto, et accroît en outre Fénergie de
la volonté. A la responsabilité des actions mêmes se
substitue ici la responsabilité de Tivresse : et c'est
pourquoi les délits commis dans cet état ne restent
pas complètement impunis en justice, bien que la
liberté intellectuelle y soit en partie supprimée ^
Aristote, dans VÉthique à Eudème (II, c. 7 et 9)
et avec un peu plus de détail dans VÉthique à iVico-
maque (III, c. 2], parle déjà, quoique d'une fagon
très-sommaire et très-insuffisante , de cette liberté
intellectuelle, ih lxou(riov xal àxoudiov xarà Stavoiav 2. -«
C'est elle qui est en question, lorsque la médecine
1. Aristote a admirablement traité cette question de droit:
il a vu que si Ton n'est pas directement responsable des
actes commis dans l'ivresse ou dans la passion, on peut
cependant être rendu responsable de cette irresponsahilité
même. V. Éthique à Nicomaque, liv. III, ch. 6.
2. c Tout ce qu'on fait librement, on le fait en le vou-
lant ; et tout ce qu'on fait en le voulant, on le fait libre-
ment. x> {Éthique à Eudème.) Schopenhauer est très-
injuste envers Aristote, qui n'a pas confondu, comme il
le prétend, la volonté avec la liberté : il dit même expres-
eément (Éthique à Eudème, II, VII, 11) : < Il nous parait
impossible de confondre la volonté et la libertéo » V. la
préface de M, Barthélémy St-Hilaire.
APPENDICE I 201
légale et la justice criminelle se demandent si un
criminel était libre ^ et par suile responsable, au mo-
ment où il a commis un acte.
En résumé, on peut considérer un crime comme
commis en Tabsence delà liberté intellectuelle, lors-
que son auteur, au moment d'agir, ne savait pas ce
qu'il faisait 9 ou, plus généralement, lorsqu'il était
dans Tincapacité de concevoir ce qui aurait dû l'en
détourner, je veux dire les conséquences (légales)
de son acte. En ces deux cas il n'est donc pas punis-
sable.
Ceux qui par contre s'imaginent qu'à cause de la
non-existence de la liberté morale et de la nécessité
qui en résulte pour toutes les aclions d'un individu
donné , aucun criminel ne devrait rationnellement
être puni, partent de cette fausse idée sur la péna-
lité, qu'elle est un châtiment des crimes en tant que
crimes, une punition du mal par le mal, au nom de
motifs moraux. Mais il me semble, malgré l'autorité de
Kant, que la pénalité envisagée ainsi serait absurde,
inutile, et absolument injustifiable. Car de quel droit
un homme s'érigerait-il en juge absolu de ses sem-
blables au point de vue moral, et comme tel leur in«
fligerait-il des peines en punition de leurs fautes ?
La loi, c'est-à-dire la menace de la peine ^ a bien
plutôt pour but d'être un motif contraire destiné à
balancer dans Tesprit des hommes les séductions du
mal. Si dans un cas particulier elle manque son effet,
elle doit mettre à exécution sa menace, parce qu* au-
trement elle serait également impuissante dans tous
les cas à venir. Le criminel, de son côté, souffre la
1. Lcges,,, prœcepta minia permixta» (Sénèque.)
S02 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
peine dans ce cas, en conséquence de la perversité
de sa nature morale, qui sous Faction des circons-
tances, c'est-à-dire des motifs, «t de son intelligence,
qui lui faisait entrevoir Tespérance de Timpunité» a
produit Faction d*une fagon inévitable. Cela posé, il
n'y aurait injustice à son égard que si son caractère
moral n'était pas son propre ouvrage, son acte intel-
ligible, mais Touvrage de quelque force différente de
lui '• La môme relation se constate entre une action
et ses conséquences, lorsqu'une manière d'agir cou-
pable porte les fruits qu'elle mérite, non par l'effet
des lois des hommes, mais par celui des lois de la
nature, par exemple lorsque des débordements in*
fàmes amènent d'affreuses maladies, ou bien dans le
cas où un malfaiteur, en essayant de pénétrer par
force dans une maison, éprouve quelque mécompte
fortuit, par exemple lorsque s'étant introduit la nuit
dans une étable à porcs , pour en dérober les hôtes
accoutumés, il trouve à leur place un ours, dont le
maître est descendu la veille dans cette môme au-
berge, et qui s'élance à sa rencontre les bras ouverts*
1. La question de la conciliation du déterminisme et
de la pénalité légale méritait d'être traitée avec plus de
détail : cette conciliation, essayée par Platon et reprise
par Spinoza, conduit, comme Ta parfaitement vu M. Fouil-
lée, à la morale de Tintérôt, ce qui reporte de nouveau la
question de la liberté sur le terrain de la morale. La
cbarité, l'abnégation, l'amour, tout ce qui éloigne l'homma
des considérations d'intérêt individuel ou collectif, seraient
donc les faits à invoquer pour assurer, malgré les argu-
ments qu'on a lus dans les pages qui précèdent, le triom-
phe final de l'idée de la liberté. Voyez l'allégorie profonde,
et tout à fait digne de Platon, qui termine la Liberté et le
Déterminisme, un des chefs-d'œuvre, nous nous plaisons
à le dire après bien d'autres, de la philosophie française
au dix-neuvième siècle.
II
Il est essentiel, pour bien comprendre les conclusions
du travail de Schopenhauer, de se faire une idée exacte
de la doctrine de Kant sur la liberté. On la trouvera
exposée et discutée avec uni talent dont l'éloge n*est plus
à faire dans un chapitre spécial de la Morale de M. Janet.
Puisque les traductions françaises de Kant sont très ré-
pandues, il nous a semblé inutile d'annexer à ce volume
les deux importants passages auxquels nous avons renvoyé
plus haut le lecteur. Mais nous avons pensé qu'il pourrait
être intéressant d'en reproduire une analyse faite par Scho-
penhauer lui-même, dans sa dissertation sur le Fonder
ment de la morale, p. 174-179. (Ce morceau, qui présente
quelques longueurs, a été par endroits plutôt résumé que
traduit.)
DOCTRINE DE KANT SUR LE CARACTERE INTELLIGIBLE
ET LE CARACTÈRE EMPIRIQUE. — THÉORIE DE LA
LIBERTÉ.
Hobbes le premier, puis Spinoza et Hume, ainsi
que Holbach dans son Système de la nature, et
enfin Priestley, qui traita la question de la fagon la
plus exacte et la plus complète, avaient si complète-
ment démontré et mis hors de doute l'absolue et ri-
goureuse nécessité des volitions, sous linfluence des
motifs, qu'elle devait dès lors être comptée au nom-
bre des vérités les plus solidement établies. L'igno-
rance et l'inculture seules pouvaient continuer à
parler d'une liberté existant dans les actions indivi-
duelles de l'homme, d'un liberum arbitrium indiffe-
rentiœ. Kant, acceptant les arguments irréfutables
de ses prédécesseurs, considéra la parfaite nécessité
204 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
des vûlit'ons comme une chose entendue d'avance,
sur le compte de laquelle on ne pouvait plus élever de
doutes ; c'est ce que montrent tous les passages où
il ne parle de la liberté qu'au point de vue théorique.
Mais il restait vrai, d'autre part, que tous nos actes
sont accompagnés de la conscience de notre pou-
voir sur nous-mêmes, de notre causalité personnelle,
ainsi que de celle de leur originalité K Grâce à ce sen-
timent intime, nous les avouons comme notre œuvre
propre, et chacun, avec une sécurité infaillible, se
croit le véritable auteur de ses actes et moralement
responsable de ce qu'il fait. Mais puisque la respon-
sabilité présuppose la possibilité d'avoir agi autre-
ment, et par suite la liberté, il s'en suit que le senti-
ment de la liberté est implicitement contenu dans
celui de la responsabilité. Pour résoudre cette appa-
rente contradiction, Kant appliqua sa profonde dis-
tinction entre le phénomène et la chose en soi, qui
-est le caractère dominant de toute sa philosophie et
en constitue le principal mérite. La clef longtemps
cherchée était enfin découverte.
L'individu, avec son caractère immuable et inné,
rigoureusement déterminé dans toutes ses manifes-
tations par la loi de causalité qui apparaît chez les
êtres intelligents sous la forme de la motivation, est
seulement un phénomène, La chose en soi qui lui
sert de substratum est, en tant que située hors de
l'espace et du temps, une et immuable, affranchie de
la succession et de la pluralité *. Son essence en
soi est le caractère intelligible, également présent
1. UrspruengUchkeit.
2. Pour Schopenhauer, le temps et l'espace sont les
principia individnationis. (V. Schopenhauer etFrauenstœdti
dans la Revue Philosophique du l^r mars 1876;.
appenHice II 205
dans tous les actes de Tindividu et imprimé en eux
comme un chiffre sur mille cachets ; c'est lui qui dé-
termine le caractère empirique, lequel, en tant que
phénomène, se révèle dans le temps et par une suc-
cession d'actes, et qui par suite doit montrer, dans
toutes ses manifestations que les motifs provoquent^
la constance invariable d*une loi naturelle. Cette
théorie fournissait encore une explication rationnelle
et vraiment philosophique de celte invariabilité, de
cette constance inflexible du caractère empirique de
tout homme, que les penseurs sérieux avaient de tout
temps constatée, tandis que les autres sMmaginaient
qu'on pouvait transformer le caractère d'un individu
par des leçons de morale. Ainsi la philosophie était
mise d'accord avec l'expérience, et n'avait plus à
rougir devant la sagesse populaire, qui avait depuis
longtemps énoncé cette vérité dans le proverbe espa-
gnol : Lo que entra con el capillo, sale con la mor"
iaja (ce qui entre avec la casquette, s'en va avec le
linceul) ; ou bien : Lo que en la lèche se marna, en
la mortaja se derrama (ce que l'on suce avec le
lait, on le déverse dans le linceul).
Cette doctrine de Kant sur la coexistence de la
iberté et de la nécessité me parait être ce que Tes-
prit humain a jamais produit de plus imposant et de
plus profond. Elle et l'esthétique transcendantale sont
les deux grands diamants dans la couronne de la gloire
kantienne, qui brillera d'un éclat éternel....
On peut se faire une idée encore plus nette de
cette doctrine de Kant et de l'essence de la liberté,
en les reliant à une vérité générale, dont l'expres-
sion la plus complète me parait être ce principe
souvent exprimé par les scolastiques : Operari
8CH0PENHAUER. 12
206 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
sequitur esse ; c'est-à-dire que chaque être dans le
monde agit conformément à son essence, dans la-
quelle toutes ses manifestations actives sont déjà
contenues en puissance (potentiâ), mais ne passent
k Tacte (actum) que lorsque les causes extérieures
les y déterminent; et ce sont ces manifestations
mêmes qui font connaître Tessence dont elles éma-
nent. Cette essence est le caractère empirique,
tandis que la raison dernière de celui-ci, inaccessi-
ble à l'expérience, est le caractère intelligible, c'est-
à-dire Tessence en soi de cet objet. L'homme ne fait
point d'exception au reste de la nature : lui aussi a
un caractère invariable, qui cependant est tout indi*
viduel et varie d'un homme à l'autre. Toutes les
actions d'un individu, déterminées dans leurs condi-
tions extérieures par les motifs, doivent toujours
rester (moralement) conformes à ce caractère im-
muable et individuel : chacun doit agir comme il est.
C'est pourquoi, dans chaque cas particulier, un
homme donné ne peut faire qu'une seule action:
operari sequitur esse. La liberté n'est pas un attri-
but du caractère empirique, mais seulement du
caractère intelligible. Uoperari d'un homme donné
est déterminé extérieurement par les motifs, et inté-
rieurement par son caractère : aussi tout ce qu'il
fait^ il le fait nécessairement. Mais c'est dans son
Esse que la liberté réside. Il aurait pu être autre-
ment qu'il n*est ^ : et c'est à ce qu'il est actuelle-
ment, qu'incombe le mérite ou le démérite. Car
1. Il y a là, ce me semble, quelque confusion entre
racceplion objective et racception subjective du mot pou-
voir, l'une impliquant la simple possibilitéi et l'autre la
puissance effeciive.
APPENDICE II 207
toutes ses actions découlent naturellement de son
essence; comme de simples corollaires d'un principe.
La théorie de Kant nous fait enfin revenir de cette
erreur fondamentale, qui plaçait la nécessité dans
VEsse et la liberté dans VOperari, et nous fait
comprendre que c'est le contraire qui est le vrai...
Qu'un homme soit tel et non awfre, ce que Tensem-
ble même de ses propres actions lui apprend —
voilà ce dont il se sent responsable : c'est là, c'est
dans l'Esse que se trouve l'endroit que l'aiguillon de
la conscience atteint. Car la conscience n'est préci-
sément que la connaissance de plus en plus intime
que notre manière d'agir nous donne du moi propre.
C'est pourquoi la conscience, à Voccasion de nos
actions, accuse au fond notre nature morale. VOpe-
taxi appartient au domaine de la nécessité. Nous-
mêmes nous n'apprenons à nous connaître qu'empi-
riquement, comme les autres hommes, et nous n'a-
vons de notre caractère aucune connaissance à priori.
Bien plus, il arrive tout d'abord que nous avons de
nous-mêmes une opinion très-haute, et devant notre
tribunal intérieur la maxime qui&que prœsumitur
bonus, donec probetur contrarium vaut tout aussi
bien que devant les tribunaux criminels.
Celui qui est capable de reconnaître, même sous
les formes les plus diverses qu'elle peut revêtir,
l'essence d'une idée et ses traits distinctifs, pensera
avec moi que cette doctrine de Kant sur le carac-
tère intelligible et empirique est une idée qui avait
déjà frappé Platon, mais que Kant le premier a su
élever à la clarté abstraite et vraiment philosophi-
que. Car Platon^ n'ayant pas reconnu l'idéalité du
temps, ne pouvait exposer cette doctrine que sous
208 ESSAI SUR LE LIBRE ARBITRE
une forme mythique et en la rattachant à la mé-
tempsycose. Mais on reconnaîtra avec encore plus
d'évidence Tidentité des deux doctrines, en lisant
l'explication du mythe platonicien telle que Porphyre
Ta développée, avec tant de précision et de netteté
que sa concordance avec la théorie abstraite de
Kant s'impose inévitablement à l'esprit. Ce passage
de Porphyre, dans lequel il commente tout spéciale-
ment le mythe placé par Platon dans la seconde
partie du dixième livre de la République, appartient
à un ouvrage qui n'est pas parvenu jusqu'à nous :
mais Stobée nous Ta conservé en entier au deuxième
livre de ses Eclogae^ (chap. 8, §§ 37-40). Pour en-
gager le lecteur curieux à lire dans Stobée les pages
indiquées, qui sont du plus haut intérêt, je vais rap-
peler ici le court § 39 ; il fera reconnaître que ce
mythe de Platon peut être considéré comme une
forme allégorique de la grande et profonde théorie
que Kant a établie, dans sa pureté abstraite, sous le
titre de Doctrine du caractère intelligible et du carac-
tère empirique, — et que par suite l'esprit humain
était parvenu à cette vérité depuis des milliers d'an-
nées, et même peut-être bien avant Platon, puisque
Porphyre est d'avis que Platon lui-même l'a regue
des Égyptiens. D'ailleurs elle se trouve déjà con-
tenue dans la doctrine de la métempsycose du
brahmanisme, qui est, selon toute probabilité^ la
source de la sagesse des prêtres égyptiens. Voici la
traduction du paragraphe en question : « La pensée
de Platon, prise dans son ensemble, me parait être
1. Les Eclogœ étaient une des lectures favorites de
Schopenhauer. Il en existe un exemplaire couvert de notes
marginales de sa main.
APPENDICE II 209
la suivante : les âmes, avant d'entrer dans des corps
et d'être soumises à des genres de vie déterminés,
ont la liberté de choisir telle existence ou telle
autre, qu'elles devront mener ensuite dans le corps
particulier qui convient à chacune d'elles ; en sorte
qu'elles peuvent choisir la vie d'un lion^ aussi bien
que celle d'un homme. Mais une fois qu'elles se sont
décidées pour un genre d'existence déterminée, cette
liberté leur est enlevée. Puis^ quand elles sont des-
cendues dans les corps, et que d'âmes libres elles
sont devenues les âmes d'animaux, elles obtiennent
le degré de liberté qui convient à la nature de chaque
animal. Or cette liberté peut être tantôt très-intelli-
gente et très-mobile S comme chez Thomme, tantôt
restreinte et peu mobile, comme chez la plupart des
autres animaux. Elle dépend étroitement de la nature
de chaque animal, et bien qu'elle se meuve par elle-
même ^, elle est dirigée par les instincts qui résultent
de cette nature '. >
1. ne^vouv xKi iroAuxcvKirày.... ènyonttunràv xkI iMvoxfiénov,
2. Kcveû/Acvov /Aèv IÇ aOroO. — Platon appelle souvent Tâine
oLVTOMvnrbç. (Vis 8ui motrix.)
3. Tacite, dont Téducation philosophique fut certaine-
ment platonicienne, fait quelque part à la môme doctrine
une aUusion très- claire qui n'a pas été assez remarquée :
c Alii fatum quidem congruere relus putant, sed non e
vagis slellis, verùm apud principia et nexus naturalium
causarum : ac tamen electionem viiœ nohis relinquunt,
quant ubi eîegeris, certum imminentium ordinem, » (Ânn.
VI, XXII.) On trouvera ce point développé avec quelque
détail dans une étude sur La Philosophie de Tacite {Revue
de l'Instruction Publique, du 29 janvier 1876).
FIN DES APPENDICES.
TABLE DES MATIERES
AVERTISSEMENT V-VIII
CHAPITRE PREMIER. — Définitions, !«> De la liberté.
Distinction entre trois genres de libertés. Réduc*
tion du concept de la liberté au concept général de
l'absence de nécessité. — Définition de la néces-
* site. Distinction entre trois genres de nécessités.
Affirmation fondamentale de la liberté morale. —
2» De la conscience. — Distinction entre la cons-
cience et la perception extérieure. La volonté est
l'objet essentiel et môme exclusif de la conscience. 1-22
CHAPITRE II. — La volonté devant là conscience,
— Chaque volition a un objet qui en est la cause
et la matière. — Le témoignage de la conscience
nous atteste, non pas notre libre arbitre, mais
notre pouvoir personnel sur nos organes. C'est une
affirmation hypothétique de notre pouvoir d'agir, et
non une affirmation catégorique de notre pouvoir
de vouloir. — L'examen de ce témoignage nous
autorise donc à répondre négativement à la ques-
tion de l'Académie Royale : reste à confirmer cette
réponse par une conclusion à non esse ad non
posscy en démontrant la non-existence de la liberté
morale 23-48
TABLE DES MATIÈRES 2U
CHAPITRE III. — La voknté devant la perception
extérieure, — Le principe de causalité, considéré
comme la forme la plus généiale de notre enten-
dement. — Trois formes de ce principe, la causa-
tion, l'excitation et la motivation. Leurs carac-
tères distinctifs. — Différenciation prorgessive de
la cause et de l'effet à mesure qu'on s'élève dans
la série des êtres. — La volonté, instrument de
cette transformation chez les animaux supérieuis.
Nécessité absolue de tous les effets, — Croyance
implicite des hommes à l'action nécessitante des
motifs. — Origine psychologique de Tillusion qui
nous fait croire au libre arbitre. Si l'on admet le
libre arbitre, chaque action humaine est un effet
sans cause. — Tout phénomène est le produit de
deux facteurs : la cause et le caractère de l'objet
modifié. — Application de cette loi générale à
l'homme : le caractère et les motifs. — Le carac-
tère de l'homme est individuel, invariable et inné.
Les vices et les vertus sont innés. — Le libre
arbitre implique l'hypothèse d'une existence sans
essence. — Sophisme de Buridan. — Témoignages
du Dante et d'Aristote. — Inconséquence de Leib-
niz et de ses imitateurs. — L'anticipation de l'ave-
nir rendue impossible par le libre arbitre 49-1
CHAPITRE IV. — Tous les grands penseurs se sont
rangés à Vidée déterministe, — Jérémie. — Luther.
— Aristote. — Cicéron. — Le Livre des Macchabées.
— Passage de saint Clément d'Alexandrie. — Opi-
nion de saint Augustin. — Vanini. — Hume. —
Kant. — Retour sur saint Augustin. — Citations de
Hobbes. — Spinoza. — Passages de Hume et de
Priestley. — Voltaire. — Distinction de Kant entre
le caractère einpirique et le caractère intelligible.
— Critique du livre de Schelling. — Invectives
contre la philosophie de son temps. — Philosophie
française : Maine de Biran et Victor Cousin. —
Opinion des poètes : Shakespeare. — Waller Scott*.
— Gœthe. —Schiller 127-178
CHAPITRE V. — Conclusion et considération plus
haute, — Sentiment de la responsabilité morale. -*-
212 TABLE DES MATIÈRES
Ce sentiment porte sur le caractère et non sur les
actes. — La responsabilité comme la liberté rési*
dent dans YEsse et non dans VOperari, — Exposi-
tion de la doctrine de Kant. — Transcendantalité
de la liberté morale 179-195
APPENDICE I. — De la liberté intellectuelle. — La
liberté intellectuelle consiste dans la possibilité de
Faction des motifs sur la volonté. — Cas où elle
est supprimée. — Fondement rationnel de la péna-
lité. Conciliation des peines légales et du détermi-
nisme 196 202
APPENDICE II. — Exposition de la théorie de Kant
sur la liberté, empruntée à la Dissertation sur les
Fondements de la Morale, par Sc^openbauer. —
Passage très - important de Porphyre , cité par
Stobée 203-209
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Enquête parlementaire sur
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H. Reynald. 1 vol. in-18 8 50
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ehanse. 1 vol. in-8. 2* édition. 6 fr.
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dans la défense des États, avec fig. dans le texte et
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23. D£ QUATREFAGES. I^'espèee humaine. 1 vol. in-8. G** édition.
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Causes physiologiques de r harmonie musicale, i vol. in-8, avec
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25. ROSENTHAL. i«es nerfs et les muscles. 1 vol. in-8, avec
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beaux-arts, suivi de l'Optique et la Peinture, avec
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27. WURTZ. M.m théorie atomique. 1 vol. in-8. 3» édition. 6 fir.
28-29. SECGHI (le Père). I.es étoiles. 2 vol. in-8, avec 63 fig. dans
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38. ROOD. Théorie scientifique des couleurs. 1 vol. in-8
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POUGHET (G.). i.e sans. 1 vol. in-8, avec figures.
SEMPER. E.es conditions d'existence des animaux. 1 vol. in-S,
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DE LA DÉFENSE NATIONALE
DÉPOSITIONS DES TÉMOCVS :
TOME PREMIER. Dèpotitioiis d« MM. Tkiers, aarédUl Mae-Mahoa.maiéekd
LeScenf, Bened«tti, due de Gramont, de Talhooèt, «aind Risaalt de Geaooilfy,
beroD J^r6me Darid, général de Paiikao, Jules Brame, Dréolle, «te.
TOME II. DépositioDs de MM. de Chandordjf Lainier, Creasoa, Dréo, Reae,
Rampoot, Steeoaekers, Femiqne, Robert, Schneider, Baffet, LebreUm et Hébert,
Bellaoçé , colonel Alaroine , Gerrais, Bécherelle , Ri^mb, Moller, Bootafoj,
Mejer, Clément et Simonnean, Fontaine, Jacob, Lemaîre, PetettB,Gajot-MoB^ay-
rotiz, général Soamaio, de Legge, colonel Vabre, de Crîsenoj, colonel Ibos, etc.
TOME m. Dépositions militaires de MM. de Frejeinet, de Serres, le général
Lefort, le général Dncrot, le général Vinoj, le Ueatenant de Taissean Farcj,
le commandant Amet, l'amiral Pothnan, Jean Bmnet, le général de Bean-
fort-d'Hantponl, le gént^ral de Valdan, le giènéral d'Aorelle de Paladines, le géné-
ral Chanzy, le général Martin des Pallières, le général de Sonis, etc.
TOME lY. Dépositions de MM. le général Bordone, Mathieu, de Laborie, Lace-
Villiard, Castillon, Debosschère, Darcy, Chenet, de La Taille, Baillehaehe, de
Grancey, L'Hermite, Pradier, Middleton, Frédéric Morin, Thoyot, le maréchal
Baxaine, le général Bojrer, le maréchal Canrobert, etc. Annexe à la dépositioa
de M, Testebn, note de M. le colonel Denfeit, note de la Commission, etc.
TOME V. Dépositions complémentaires et réclamations. — Rapports de la
Sréfectnre de police en 1870-1871. — Circulaires, proclamations et bolletini
n Goaremement delà Défense nationale. — Suspension du tribunal de la Rochelle;
rapport de M. de La Borderie ; dépositions.
ANNEXE AU TOME V. Deuxième déposition de M. Cresson. ÉTénements
de Nîmes, affaire d'Ain Tagout. — Réclamations de MM. le gén&ral Bellot et
Bngelhart. — Note de la Conunission d'enquête (1 £r.).
RAPPORTS :
TOME PREMIER. M. Chaperj les procès-Terbanx des séances du Goaver-
nement de la Défense nationale. •— M. de Sugnyy les événements de Lyoa
f ous le Gonr. de la Défense nat. — M. de Rettéguier^ les actes du Gour. de la
Défense nat. dans le sud-ouest de la France.
TOME II. M. Saint-Marc Girardiriy la chute du second Empire. — M. de
Sugnyy les éréoements de Marseille sons le Gout. de la Défense nat.
TOME III. M. le comte Daruy la politique du Gouvernement de la Défense
nationale à Paris.
TOME IV. M. Chaper, de la Défense nat. an point de vue militaire à Paris-
TOME V. Boreau-Lajanadiey l'emprunt Morgan. — M. de la Borderie^ le oamp
de Conlie et l'armée de Bretagne. — M. de la Sicotièrei l'affaire de Dreux.
TOME VI. M. de Rainneville, les actes diplomatiques du Gout. de la Défense
nat. — M. ^ . Lallii, les postes et les télégraphes pendant la guerre. — M. Z>eIioI,
la ligne du Sud-Ouest. — M. Perrot, la défense en province (V* partie).
TOME VII. M. Perrotf les actes militaires du Gour. de la Défense nat» eo
proTince {impartie: Expédition de l'Est).
TOME VIII. M. de la Sicotière, sur l'Algérie.
TOME IX. Algérie, dépositions des témoins. Table générale et analytique
des dépositions des témoins avec renvoi aux rapports (10 fir.)*
TOME X. M. Boreau'Lajanadie, le Gonyemement de la Défense nationale à
Tours et à Bordeaux (5 fr.).
PIÈCES JUSTIFICATIVES :
TOME PREMIER. Dépêches télégraphiques officielles, première partie
TOME DEUXIÈME. Dépêches télégraphiques officielles, deuxième partie. —
Pièces Jnstificatives du rapport de M. Saiut-Marc Girardin.
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E. RESSÉGUIEH. — Toulouse sous le Gouv. de la Défense nat. Id-4. 2 fr. 50
SAINT-MARC GIRARDIN. — La chute du second Empire. In-4. 4 fr. 50
Pièces justificatives du rapport de M, Saint-Marc Girardin. i vol. in-4. 5 fr.
DE SUGNY. — Marseille sous le Gouy. de la Défense nat. Id-4. 10 fr.
DE SUGNY. — Lyon sous le Goût, de la Défense nat. In-4. 7 fr.
DARU. — La politique du Gouv. de la Défense nat. à Paris. In-4. 15 fr.
CHAPER.-^Le Gouy. delà Défense à Paris an point de yue militaire. In-4. 45 fr.
CHAPER. -^Procès-verbauz des séances du Gouv. de la Défense nat. In-4. 5 fr.
DOREAU-LAJANADIE. — L'emprunt Morgan. In-4. 4 fr. 50
DE LA BORDERIE. — Le camp de Conlie et l'armée de Bretagne. In-4. 10 fr.
DE LA SICOTIÉRE. — L'affaire de Dreux. In-4. 3 fr. 50
DE LA SICOTIÉRE. — L'Algérie sous le Gouvernement de la Défense nationale.
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DE RAINNEYILLE. Actes diplomatiques du Gouv. de la Défense nat. 1 vol.
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DELSOL. La ligue du Sud-Ouest. 1 vol. in-4. 1 fr. 50
PERROT. Le Gouvernement de la Défense nationale en province.2 vdl. in-4. 25 &.
BOREAU-LAJÂNÂDIE. Rapport sur les actes de la Délégation du Gouver-
nement de la Défense nationale à Tours et à Bordeaux. 1 vol. io 4. 5 fr.
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Trocha, J. Favre, Ernest Picard, J. Ferry, général Le Fié, général Vinoy. colonel
Lambert, colonel Gaillard, général Appert, Flocpet, général Cremer, amiral Saisiet,
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3fr. 50
RffîERT (Léonce). Esprit de la Canstltiitfaii du 25 février
1875. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
NOËL (E.). Mémoires d'un imbécile, précédé d'une préfoce
de M. Littré. 1 vol. in-18, 3« édition (1879). 3 fr. 50
PELLETAN (Eug.). Jaronmieav, le Pastevr d« déaeri. 1vol.
in-18 (1877). Couronné par l'Académie française. Crédit. 3fr. 50
PELLETAN (Eug.). Elisée, Teyase d'vM hemme i^ la r»>
cherche de lui-même. 1 vol. in-18 (1877). 3 fr. 50
PELLETAN (Eug.). Vu roi phUosophe, Frédéric le «nuid.
1 vol. in-18 (1878). 3 fr. 50
PELLETAN (Eug.). lie monde marche (la loi du progrès).
1 vol. in-18. 3 fr. 50
£. DUVERGIER DE HAURANNE (M'"^). Histoire populaire de
la Révolution française. 1 v. in-18, 3*édit., 1881. 3 fr. 50
ÉTUDES CONTEMPORAINES
ROUILLET (Ad.). lies bourgeois gentilshommes. — li^armée
d'Henri Y. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
— Types nouTcaux et inédits. 1 vol. in-18. 2 fr. 50
— l.^arrlère-l»au de Tordre moral. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
YALMONT (Y.), i^'espion prussien, roman anglais, traduit par
M. J. DuBRiSAY. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
ROURLOTON (Ëdg.) et RORERT (Edmond). li» Commune et
ses idées à travers Thistoire. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
GHASSERIAU (Jean). Du principe autoritaire et du prin-
cipe rationnel. 1873. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
MAQUET (Alfred). lia République radicale. In-1 8. 3fr. 50
RORERT (Edmond), i^es domestiques. In-18 (1875). 3 fr. 50
LOURDAU. Ii49 sénat et la magistrature dans la démocra-
tie française. 1 vol. in-18 (1879). S fr. 50
FIAUX.. lia femme, le mariage et le divorce, étude de
sociologie et de physiologie. 1 vol. in-18. 3 fr. 50
PARIS (le colonel). lie feu à Paris et en Amérique. 1 vol.
in-18. 3 fr. 50
DURRIEUK. Du divorce et de la séparation de corpfl.
1 vol. in-18. 3 fr. 50
— 15 —
BIBLiIOTHIÉQUE UTIiiJEî
LISTE DES OUVRAGES PAR 0R1>RE D'APPARITION
Le vol. de 190 p., br., 60 cent. — Cart. à Tangl.,,! fc
i. — Morand. Introd. à l'étude des Sciences pkysiquef. 2^ édit.
II. — CruTeilliier. Hygiène générale. 6^^ édition. ,
III. — Corbon. De renseignement professionnel. 2^ édition.
lY. — li. Piehat. L'Art et les Artistes en France. 3^ édition.
V. — Bûches. Les Mérovingiens. 3^ édition.
VI. — Bnehes. Les Garlovingiens.
YII. — F. Morm. La France au moyen âge. 3^ édition.
YlII. — Bastide. Luttes religieuses des premiers siècles. 4® éd.
IJi, — Bastide. Les guerres de la Réforme. 4^ édition.
X. — E. Pelietan. Décadence de la monarchie française. 4^ éd.
XI. — li. Brotbier. Histoire de la Terre. 4* édition.
XII. — jianson. Principaux faits de la chimie. 3® édition.
XIII. — TurelL. Médecine populaire. 4^ édition.
XIY. — Morln. Résumé populaire du Gode civil. 2^ édition».
XY. — Balior<»wsitl. L'homme préhistorique. 2® édition.
XYI. — A. «U. L'Inde et la Chine. 2« édition.
XYIL — jiataiapr. Notions d'Astronomie. 2® édition.
XYIII. — Cristai. Les Délassements du travail.
XIX. — ¥^ietor Mewftier. Philosophie zoologique.
XX. — Ci. jourdan. La justice criminelle en France. 2* édition.
XXI. — €h. Roiland. Histoire de la maison d'Autriche. 3® édit.
XXII. — E. Despois. Révolution d'Angleterre. 2* édition.
XXIII. — B. Gastineau. Génie de la Science et de l'Industrie.
XXI Y. — H. LeneTeHx. Le Budget du foyer. Economiedomestique.
XX Y. — I4, Comlie». La Grèce ancienne.
XXYI. — Fréd. IjOcIl. Histoire de la Restauration. 2® édition.
XXYII. — li. Brotiiier. Histoire populaire de la philosophie.
XXYIII. — E.Margoiié. Les Phénomènes de la mer. 4® édition.
XXIX. — li. Collas. Histoire de l'Empire ottoman. 2® édition.
XXX. — Zurcher. Les Phénomènes de l'atmosphère. 3® édition.
XXXI. — E. Raymond. L'Espagne et le Portugal. 2*^ édition.
XXXII. — Eugène lioël. Yoltaire et Rousseau. 2* édition
XXXIII. — A. Ott. L'Asie occidentale et l'Egypte.
XXXIY. — Ch. Richard. Origine et fin des Mondes. Z^ édition.
XXXY. — Enfantin. La Yie éternelle. 2« édition.
XXXYI. — £. Brotliier. Causeries sur la mécanique. 2* édition.
XXX YII. — Alfred Doneand. Histoire de la marine française.
XXYIII. — Fréd. l<oek. Jeanne d'Arc.
XXXIX. — Carnet. Révolution française. — Période de création
(1789-1792).
— 16 —
4
XL. — Camot. RéTolution française. — Période de conservation
(i792-180A}.
XU. — Bvreher et Marcelle. Télescope et Microscope.
XLII. — Blermy. Torrents, Fleuves et Canaux de la France.
XLIII. — p. Seeebl, 'iroir, Briet et Delamsay. Le Soleil, les
Ëtoiles et les Comètes.
XLIY. — Stanley JeTons. L'Économie politique, trad. de
l'anglais par H. Gravez.
XLY. — EnAk Ferrière. Le Darwinisme. 2* édiL
XLYI. — H. I^enevenx. Paris municipal.
XLVIl. — Boillot. Les Entretiens de Fontenelle sur la pluralité
des mondes, mis au courant de la science.
XLYIIl. — E. ZeTort. Histoire de Louis-Philippe.
XLIX. — Gelkie. Géographie physique^ trad. de l'anglais par
H. Gravez.
L. -^ aBaborowskl. L'origine du langage.
LI. — H. Blerzy. Les colonies anglaises.
LU. — Albert JLéwj. Histoire de l'air.
LUI — Gelkle. La Géologie (avec figures].
LIV. — zaborowski. Les Migrations des animaux et le Pigeon
Toyageur.
LY. — F. Panlhaa. La Physiologie d'esprit (avec figures).
LYI. — Zureher et Margelle. Les Phénomènes célestes.
LYU. — Girard de RiaUe.Les peuples de l'Afrique et de l'Amé-
rique.
LYIII. — Jae^nes Bertillon. La Statistique humaine de la
France (naissance, mariage, mort).
LIX. — Panl Gaffarel. La Défense nationale en 1792.
LX. — Herbert ilpencer. De Téducation.
LXI. — Jules Bami. Napoléon I^^^.
LXII. — Huxley. Premières notions sur les sciences.
LXIII. — P. Bondois. L'Europe contemporaine (ITSO'-ISTO).
LXI Y. — GroTe. Continents et Océans (avec figures).
LXY. — Jouan. Les îles du Pacifique (avec 1 carte).
LXVl. — Robinet. La Philosophie positive.
LXYII. — Renard. L'homme est- il libre ?
LXYIII. — Zaborowski. Les grands singes.
LXIX. — Hatin. Le journal.
LXX. Girard de Rialie. Les peuples de l'Asie et de l'Europe.
LXXI. Doneand. Histoire contemporaine de la Prusse.
LXX II. — Dafonr. Petit dictionnaire des falsifications.
LXXIII. — Hennesny. Histoire contemporaine de Tltalie.
LXXIV. — i^enevenx. Le travail manuel en France.
— 17 —
REVUE
Politiqoe et Littéraire
(Revue des cours littéraires),
3« série.)
Directeur :
M. Eus. YCMC;.
REVUE
Scientifique
(Revue des cours scientifiques,
3« série.)
Directeurs :
MM. A. BREGIJET,
et Ch. RICHET.
REiriJE POIilTlOVE ET I^ITTERAIRE
En 1871, après la guerre, la Revue des cours littéraires^
agrandissant son cadre, est devenue la Revue polititique et litté-
raire. Au lendemain de nos désastres, elle avait cru de son devoir
de traiter avec indépendance et largeur toutes les questions d'in-
térêt public, sans diminuer cependant la part faite jusqu'alors à
la littérature, à la philosophie, à Thistoire et à l'érudition. Le
nombre de colonnes de chaque livraison fut alors élevé de
32 à /18.
Depuis le 1®' janvier 1881, des raisons analogues nous ont
décidé à agrandir encore le format de la Revue, et chaque livraison
contient maintenant 64 colonnes de texte. Ce supplément est con-
sacré à la littérature d'imagination qui répondait à un besoin sou-
vent exprimé par nos lecteurs, et c'est surtout avec la nouvelle^
ce genre charmant et délicat , que nous cherchons à lutter con-
tre les tendances de plus en plus vulgaires auxquelles se laisse aller,
sans trop y prendre garde, le goût contemporain.
Chacun des numéros^ paraissant le samedi, contient : Un
article politique, oCi sont appréciés, à un point de vue plus
général que ne peuvent le faire les journaux quotidiens^ les
faits qui se produisent dans la politique intérieure de la
France^ discussions parlementaires, etc.
Une Causerie littéraire où sont annoncés, analysés et jugés
les ouvrages récemment parus : livres, brochures, pièces de
— 18 —
théâtre importantes, etc.; une NomMe et des articles gêogra-
phkiaes, historiqaes, etc.
Parmi les-ertlaborateiirs nous citerons :
Articles politiques. — MM. de Pressensé, Ch. Bi^ot, Ànat.
Dnnojer, Anatofe Leroy-Beauliea, Oamageran, À. Âstruc.
Diplomatie et pays étrangers. — MM. Yan den Berg, G. de
Yarigny, Albert Sorel, Rejnald, fjéo Quesnel, Louis Léger,
Jesierslû, Joseph Reinach.
Philosophie. — MM. Janet, Garo, Gli. LéTèque, Yéra, Th. Ribot,
E. Boutroox, Nolen, Huxley.
Morale. — MM. Ad. FranclL, Laboulaye^ Legomré^ Biuntsehli.
Philologie et archéologie. — MM. Max Mûller, Eugène Benoist,
L. Havet, £. Ritter, Maspéro^ George Smith.
Littérature ancienne. — MM. Egger, Havet, George Perrot, Gaston
Boîssier, Geffiroy.
Littérature française. — MM. Gh. Nisard, Lenient, Bersier, Gidd,
Jules Claretie^ Paul Albert, H. Lemattre.
Littérature étrangère. — MM. MéiièreSy Buchner, P. Stapfer,
A. Barine.
Histoire. — MM. Alf. Maury^ Littré^ Alf. Rambaud, G. Monod.
Géographie i Economie politique. — MM. Levasseur, Himly,
Yidal-Lablache, Gaidoz^ Debidour, Alglave.
Instruction publique. — Madame G. Goignet, MM. Bmsson, Sm.
Beaussire.
BeauX'-arts. — MM. Gebhart^ Justi, Schnaase, Yischer, Gh. Bigot.
Critique littéraire. — MM. Maxime Gaucher, Paul Albert.
Notes et impressions. — MM. Louis Ulbach, Pierre et Jean.
Nouvelle et romans. — MM. Gustave Flaubert, Jules de Glouvet,
Abraham Dreyfus, Ludovic Halévy, Francisque Sarcey, Tourgueneff,
Arthur Baignières^ Quatrelles.
Ainsi la Revue po/tït^tie embrasse tous les sujets. Elle con-
— 19 —
sacre à chacun une place proportionnée à son importance.
Elle est^pour ainsi dire, une image yiyante, animée et ûdèle
de tout le mouyement contemporain.
nE¥IJE SCUIHTIFIQIJE
Mettre la science à la portée de tous les gens éclairés sans
l'abaisser ni la fausser^ et^ pour cela, exposer les grandes
découvertes et les grandes théories scientifiques par leurs au»
leurs mêmes ;
Suivre le mouvement des idées philosophiques dans le
monde savant de tous les pays ;
Tel est le double but que la Revue scientifique poursuit de-
puis plus de dix ans avec un succès qui Ta placée au premier
rang des publications scientifiques d'Europe et d'Amérique.
Pour réaliser ce programme, elle devait s'adresser d'abord
aux Facultés françaises et aux Universités étrangères qui
comptent dans leur sein presque tous les hommes de science
éminents. Mais^ depuis deux années déjà^ elle a élargi son
cadre afin d'y faire entrer de nouvelles matières.
En laissant toujours la première place à l'enseignement
supérieur proprement dit^ la Revue scientifique ne se restreint
plus désormais aux leçons et aux conférences. Elle poursuit
tous les développements de la science sur le terrain écono-
mique, industriel, militaire et politique.
Ainsi la Revue scientifique publie les principales leçons
faites au Collège de France, au Muséum d'histoire naturelle
de Paris^ à la Sorbonne, à l'Institution royale de Londres,
dans les Facultés de France, les universités d'Allemagne,
d'Angleterre, d'Italie, de Suisse, d'Amérique, et les insti*
tutions libres de tous les pays.
Elle analyse les travaux des Sociétés savantes d*Europe et
d'Amérique, des Académies des sciences de Paris^ Vienne,
Berlin, Munich, etc., des Sociétés royales de Londres et
d'Edimbourg^ des Sociétés d'anthropologie, de géographie,
de chimie, de botanique, de géologie, d'astronomie, de méde-
cine^ etc.
Elle expose les travaux des grands congrès scientifiques,
les Associations française, britannique et américaine, le Congrès
— 20 —
des naturalistes allemands, la Société helTétique des sciences
nature] les, les congrès internationaux d'anthropologie pré-
historique, etc.
Enfin, elle publie des articles sur les grandes questions de
philosophie naturelle, les rapports de la science ayec la poli-
tique, l'industrie et l'économie sociale, l'organisation scienti-
flqiierloH diTers pays^ les sciences économiques et militaires, etc.
Comme la Revue politique et littéraire, la Revue scientifique a
élargi son cadre depuis le 1®' janvier 1881, en présence de la
nécessité de donner une plus large place à chacune des sciences
en particulier.
Parmi les collaborateurs nous citerons :
Astronomie, rpMéorologie, — MM. Paye, Balfour-Stewart,
Janssen, Normann Lockyer, Vogel, Laussedat, Thomson, Rayet,
Briot, A. Herschel, Gallandreau, Trépied, etc.
Physique. — MM. Helmholtz, Tyndall, Desaîns, Mascart, Car-
penter, Gladstone, Fernet^ Bertin, Breguet, Lippmann.
Chimie. — MM. Wurtz, Bertheiot, H. Sainte-Glaire Deville, Pas-
teur^ Grimaux, Jungfleisch, Odling, Dumas, Troost, Peligot,
Gahours, Friedel, Frankland.
Géologie, — » MM. Hébert^ Bleicher, Fouqué, Gaudry, Ramsay,
Sterry-Hunt^ Gontejean^ Zittel, Wallace, Lory, Lyell^ Daubrée,
Yélain.
Zoologie» — MM. Agassiz, Darwin, Haeclcel, Milne Edwards,
Perrier, P. Bert Van Beneden, Lacaze-Duthiers, Giard, A. Moreau,
E. Blanchard.
Anthropologie, — MM. de Quatrefages» Darwin, de Mortillet,
Virchow, Lubboclc, K. Vogt, Joly. .
Botanique. — MM. Bâillon, Cornu, Faivre, Spring, Chatin,
Yan Tieghem, Duchartre, Gaston Bonnier.
Physiologie j anatomie. — MM. Chauveau, Charcot, Moleschott,
Onimus, Ritter, Rosenthal, Wundt, Pouchet, Ch. Robin, Yulpian,
Virchow, P. Bert, du Bois-Reymond, Helmholts, Marey, Briicke,
Gh. Richet.
Médecine. — MM. Ghauveau, Cornil, Le Fort, Verneuil,
Uebreich, Lasègue, G. Sée, Bouley, Giraud-Teulon, Bouchardat,
liéplne, h, H. Petit.
^ience» militaires, — MM. Laussedat, Le Fort, Abel, Jervois,
Usquin, X»**.
— 21 — .
Philosophie scientifique, — MM. Alglave, Bagehot, Garpenter,
Hartmann, Herbert Spencer, Lubbock, Tyndall, Gavarret, Ludwig,
Th. Ribot.
Prix d'abonnement :
Une seule Revue séparément
Six mois. Un an.
Paris..*.... 15' 25'
Départements. 18 30
Étranger.. .. 20 35
Les deux Revues ensemble
Six mois. Un an.
Paris 25' 45
Départements. 30 50
Etranger. ... 35 55
L'abonnement part du 1^' juillet, du 1«' octobre, du 1^*^ janvier
et du l^** avril de chaque année.
Chaque volume de la première série se vend : broché 15 fr •
relié 20 fr.
Chaque année de la 2^ série^ formant 2 volumes, se vend :
broché 20 fr.
relié 25 fr.
Chaque année de la 3^ série, formant 2 volumes, se vend :
broché 25 fr.
relié 30 fr.
Port des volumes à la charge du destinataire.
Prix de la eolleetlon de la première série :
Prix de la collection complète de la Revue des cours littéraires ou de
la Revue des cours scientifiques (1864-1870), 7 vol. in-4. 105 fr.
Prix de la collection complète des deux Revues prises en même temps.
14 vol. in-4 , 182 fr.
Prix de la eolleetion eomplète des devx premières séries !
Revue des cours littéraires et Revue politique et littéraire, ou Revue
des cours scientifiques et Revue scientifique (décembre 1863 — jan~
vier 1881), 26 vol. in-4 295 fr.
La Revue des cours littéraires et la Revue politique et littéraire, avec
la Revue des cours scientifiques et la Revue scientifique, 52 volumes
in.4 524 fr.
La troisième série a commencé le i*' janvier 1881
— 22 —
DE LA FRANGE ET DE L'ETRANGER
lie
Agrégé de philo80(Aie, Docteur ds lettres
(5* année, 1881.)
La Revue philosophique paraît tous les mois, par livraisoni^
de 6 à 7 feuilles graod iD-8, et forme ainsi à la fin de chaque
année deux forts volumes d*en?iron 680 pages chacun.
CHAQUE NUMÉRO DE LA REVUE CONTIENT :
1® Plusieurs articles de fond ; 2** des analyses et comptes rendus eu
nouveaux ouvrages philosophiques français et étrangers ; 3** un comfli
rendu aussi complet que possible des publications périodiques de Vé^
tranger pour tout ce qui concerne la philosophie; H^ des notes, don*
ments, observations, pouvant servir de matériaux ou donner lieu à dei
Ynes nouvelles.
' Prix d'abonnement :
Un an, pour Paris, 30 fr. — Pour les départements et Tétranger, 33 fr.
La livraison 3 fr.
REVUE HISTORIQUE
INrisée par MM. C&abriel MOMO» et QostoYe f ACWIBE
(5« année, 1881.)
La Revue historique parait tous les deux mois, par lifrai-
sons grand in-8 de 15 à 16 feuilles, de manière à former à la
fin de Tannée trois beaux Tolumes de 500 pages chacun.
CHAQUE LIVRAISON CONTIENT :
1. Plusieurs articles de fond, comprenant chacun, s*il est possible,
on travail complet. — II. Des Mélanyes et Variétés, composés de docu-
ments inédits d'une étendue restreinte et de courtes notices sur dfli
points d'histoire curieux ou mal connus. — III. Un Bulletin historique de
la France et de l'étranger, fournissant des renseignements aussi complets
que possible sur tout ce qui touche aux études historiques. — IV. Une ana-
lyse des publications périodiques de la France et de l'étranger, au point
de vue des études historiques. — V. Des Comptes rendus critiques dei
livres d'histoire nouveaux.
Prix d'abonnement :
Un an. pour Paris, 30 fr. — Pour les départements et l'étranger, 33 fr.
I « ii>n^qison 6 fr.
— 23 —
REVUE DE MÉDECINE
Dirigée par MM.
Bouchard , Chargot , Ghadveau
PaRROT et VULPIAN
Rédacteurs en Chef
BfM. Landouzt et Lépine
REVUE DE CHIRURGIE
Dirigée par MM.
Ollier et Vernedil
Rédacteurs en Chef
MM. NiGAisE et Terrier
ir«
année — 4991.
La Revue de médecine et la Revue de chirurgie sont la continuation
de la Revue mensuelle de médecine et de chirurgie fondée en 1877. Le
programme de ces Revues reste d'ailleurs le même, elles publient cha~
cune : 1° des Travaux originaux; 2** des Revues critiques; 3** des Ana-
hjses critiques des travaux et des livres publiés en France et à l'étranger.
Chaque Revue paraît tous les mois par livraisons de 5 à 6 feuilles in-8
raisin, de façon à former à la fm de Tannée un fort volume de 1000 à
1100 pages.
PRIX D^JlBOMllfiBIEIiT
Pour une seule Revue :
Un an, Paris 20 fr.
— Départ, et étranger. 23 fr.
Pour les 2 Revues réunies :
Un an, Paris 35 fr.
— Départ, et étranger. 40 fr.
La livraison 2 francs.
Chacune des années de la Revue mensuelle de médecine et de chi^
rurgie (1877, 1878, 1879, 1880) se vend séparément 20 fr. ; on peut
aussi avoir les livraisons séparées aux prix de 2 fr.
ji
Journal de l'Anatomie et de la Physiologie
normales et pathologiques de l'homme et
des animaux, publié par MM. Charles Robin et
G. PoucHET. (Dix-septième année, 1881.)
sur
travaux
qm se font à l'étranger sur la plupart des sujets qu'embrasse le titre de ce recueil.
U a «n outre pour objet : la tératologie, la chimie organique, l'hygiène^ la toxi-
cologie et la médecine légale dans leurs rapports avec l'anatomie et la physiologie.
Les applications de l'anatomie et de la physiologie à la pratique et de la méde-
dne, de la chirurgie et de l'obstétrique,
CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION :
Un an, pour Paris 30 fr.
— pour les départements et Tétranger 33 fr.
La livraison ... 6 fîr.
Les treize premières années , 1864, 1865, 1866, 1867, 1868, 18d9,
1870-71, 1872, 1873, 1874, 1875, 1876 et 1877, sont en vente au prix de
fO fr. Tannée, et de 3 fr. 50 la livraison. L'abonnement est porté
à 30 fr. depuis l'année 1878.
— 24 —
RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES
Pathologie médicale.
BÂRTELS. lies maladies des retais, traduit de l'alleniand par le
docteur Edelmann; avec préface et notes de M. le professeur Lépire.
1 vol. in-8 avec fig. (Sous presse .)
BIGOT (V.). Des périodes raisemuuates de raUénatlon men-
tale, i vol. in-S. 1877. 10 fr.
BOTKIN. Des maladies du eœnr. Leçons de clinique médicale faites
à l'Université de Saint-Pétersbourg. 1872^ in-8. 3 fr. 50
BOTKIN. De la flèvre. Leçons de clinique médicale faites à l'Université
de Saint-Pétersbourg. 1872, in-8. à fr. 50
BOUGHUT. Histoire de la médeetaie et des doetrinea médi-
eales. 1873, 2 vol. in-8. 16 fr.
BOUGHUT. DIagnostle des maladies du système nerreiix par
rophthalmoseopie. 1866, 1 vol. in-8 avec atlas colorié. 9 fr.
BOUGHUT ET DESPRÉS. Dletionnalre de médeelne et de thé-
rapeutique médicale et eMmrgleale, comprenant le résumé
de la médecine et de la chirurgie, les indications thérapeutiques de
chaque maladie, la médecine opératoire, les accouchements, Toculis-
tique, l'odontotechnie, les maladies d'oreille, l'électrisation, la ma-
tière médicale, les eaux minérales, et un formulaire spécial pour
chaque maladie. 3^ édition^ 1877, très augmentée. 1 vol. in-A avec
906 figures dans le texte et 3 cartes.
Broché. 25 fr. — Gartonné. 27 fr. 50; — Relié. 29 fr.
DAMASGHINO. liOçons snr la maladie des voles dlsestlves.
1 vol. in-8, 1880. U fr.
DESPRÉS. Traité théorique et pratique de la syphilis, ou infec-
tion purulente syphilitique. 1873, 1 vol. in-8. 7 fr.
DURAND-FARDEL. Traité pratique des maladies ehronlques.
1868, 2 vol. gr. in-8. 20 fr.
DURAND-FARDEL. Traité thérapeutique des eaux mluérales
de la France et de l'étranger, et de leur emploi dans les maladies
chroniques. 3^ édition. 1 vol. in-8. {Sous presse.)
DURAND-FARDEL. Traité pratique des maladies des TieUlards.
1873, 2« édition. 1 fort voL gr. in-8. U fr.
FERRIER. De la loeallsatlon des maladies eéréhrales, traduit
de l'anglais par H. G. de Varignt, suivi d'un mémoire de MM. Ghàr-
COT et Pitres sur les Localisations motrices dans les hémisphères de
Vécorce du cerveau, 1 vol. in-8 et 67 fig. dans le texte. 1879. 6 fr.
GVRNIER. Dletionnalre annuel des progrès des seleneea el
Institutions médleales, suite et complément de tous les diction-
naires. 1 vol. in-12 de 500 pages. 16« année, 1880. 7 fr.
RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES. 25
GINTRAG (E.)* Conni théorique et elinl^ne de pathologie In-
terne et de thérapie médicale. 1853-59. 9 toI. gr. in-8. 63 fr.
Les tomes lY et y se Tendent séparément. lA fr.
Les tomes VI et VII (Maladies du système nerveux) se vendent sépa-
rément. iti fr.
Les tomes VIII et IX {Maladies du système nerveux^ suite) se ven-
dent séparément. ià. fr.
GINTRAG. Traité théoriqne et pratique des maladleii de Tap-
pareil nerveux. 1872, A vol. gr. in-8. 28 fr.
GOUBERT. Manuel de Tart des autopsies cadavériques^ surtout
dans ses applications à Tanat. pathol. , accompagné d'une lettre de
M. le prof, Bouillaud. In-18 de 520 pages, avec 1A5 figures. 6 fr.
HÉRARD ET GORNIL. De la phthisie pulmonaire^ étude anatomo-
pathologique et clinique. 1 vol. in-8 avec fig. dans le texte et
planches coloriées. 2* édit. (Sous presse ,)
K13NZE. Manuel de médecine pratique^ traduit de l'allemand par
M. Knoeri. i vol. ivL-iS. {Sous presse,)
LANGEREAUX. Traité théorique et pratique de la syphilis.
2* édition. 1874. 1 vol. gr. in-8 avec fig. et planches color. 17 fr.
MÂRTINEAU. Traité «Unique des affections de Tutérus. 1 fort
vol. gr. in-8. 1879. 14 fr.
MAVDSLEY. i^a pathologie de Tesprlt, traduit de l'anglais par
M. Germont. 1 vol. in-8. (Sous presse,)
MUNARET. liO Médecin des villes et des campagnes. H^ édition.
1862, 1 vol. gr. in-8. 4 fr. 60
MCRGHISON. De la flèvre typhoVde, avec notes et introduction du
docteur H. Gdeneau de Musst. 1 vol. in-8 avec figures dans le texte
et planches hors texte. 1878. 10 fr.
NIEMEYER. Éléments de pathologie Interne et de tliérapeu-
tiquC) traduit de l'allemand, annoté par M. Gornil. 1873, 3^ édition
française augmentée de notes nouvelles. 2 vol. gr. in-8. 44 fr.
ONIMUS ET LEGROS. Traité d*électrlelté médicale. 1 fort vol.
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TARDIEU. Manuel de pathologie et de clinique médicales.
4® édition, corrigée et augmentée. 1873, 1 vol. gr. in-18. 8 fr.
TAYLOR. Traité de médecine légale, traduit de l'anglais par le
D' Henri Goutagne. 1 vol. gr. in-8. 15 fr.
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Tons les exemplaires sont coloriés. — La première partie (Lnxatioii
et Fractnres) est terminée ; elle est composée de 12 li f iJ U Bo w a et demie
(100 planehes contenant 254 fig. et 127 bois); et coàte, reliée. 150 fr.
BILLROTH. TrmHé ée ptlirtesig ckirwsmye gf^fiale, trt-
doit de l'allemand, précédé d'one introd. par M. le proL YxuiuiL.
1880, %• tinmrf^i 1 fort ToL grr. in-S, avec 100 fig. dans le texte. 14 fr.
DON I> ERS. Wi^affllgMaff r et les irerres cjlindriqaes, traduit di
hollandais par le docteur H. Doa^ médecin à Yerey. 1862, 1 yfA.
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De ARLT. Wem fci eiwrea de l'seil, considérées an point de Tue pn-
tique et médico-légal. 1 vol, in-18. 3 fr. 50
JAMAIN rt TERRIER. mammI «e petite ekfnnrsie. 1880, 6" édit.,
refondae. 1 vol. gr. in-18 de 1000 pages avec 450 fig. 9 fr.
JAMAIN tT TERRIER. BfMiael de pathetosie et de e — H pe
cMrvrsleales* 1876, 3« édition. Tome I^ 1 fort vol. in-18. 8 fr.
Tome II. 1 Tol. in-18. 1878-1880. 8 fr.
Tome III. 1 vol. in-18. {Sous presse.)
KOENIG (Franz). Patlielosie ehimrsieale, traduit de Talleniând par
le docteur Pluckert. 2 forts vol. in-8 avec fig. (Sous presse.)
LE FORT. La ehlmrsle miUtalre et les Sociétés de secours en
France et à l'étranger. 1872, 1 vol. gr. in-8 avec fig. 10 fr.
LIEBREICII (Richard). Atlaii d'ophthalmoseopie représentant l'état
normal et les modifications pathologiques du fond de Toeil visibles
k Tophthalmoscope, composé de 14 planches contenant 60 figures
tirées en chromolithographie, accompagnées d'un texte explicatif et
dessinées d'après nature. 1870, 2^ édition. 1 vol. in-folio. 30 fr.
MAC (xORMAC. Manuel de ehirargie antiseptique, traduit de l'an-
glais par M. le docteur Lutaud. 1 vol. in-8 avec 62 fig. (1881). 6 fr.
MALCiAUtNK. Manuel de médecine opératoire. 8^ édition^ publiée
par M. le professeur Léon Le Fort. 2 vol. grand in-18 avec 744 fig.
dans In texte. 1873-1877. 16 fr.
MAUNOURY BT SALMON. Manuel de rart des aeeouehenaentfl,
^ l'usnge des élèves en médecine et des élèves sages-femmes. 1874»
in-18 avec 115 grav. 7 fr.
t
RÉCENTES PXJBLICATIONS MÉDICALES. !27
NfiLATON. Élémento de pathologie chlmrsleale^ par M. A. Né-
laton, membre de l'Institut, professeur de clinique à la Faculté de
médecine, etc.
Seconde édition complètement remaniée.
Tome premier^ rédigé par M. le docteur Jamain^ chirurgien des hô-
pitaux. 1 fort vol. gr. in-8. 9 fr.
Tome second, rédigé par le docteur Péan, chirurgien des hôpitaux.
1 fort vol. in-8 avec 288 fig. dans le texte. 13 fr.
Tome troisième, rédigé par M. le docteur Péan. 1 vol. gr. in-8
avec 1^8 figures dans le texte. m fr.
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A6£T (Sir James). lieçons de «Unique ehlrargleale, traduites de
l'anglais par le docteur L. H. Petit, et précédées d'une introduction
h de M. le professeur Verneuil. 1 vol. grand in-8, 1877. 8 fr.
WËAN. liOCOiM de cllnlqne ehlrursleale .
f Tome I. Leçons professées à l'hôpital Saint-Louis pendant Tannée
I 1874 et le premier semestre de 1875. 1 fort vol. in-8, avec
f 40 figures intercalées dans le texte et 4 planches coloriées hors
texte. 1876. 20 fr.
Tome II. Leçons professées pendant le deuxième semestre de l'année
1875 et l'année 1876. 1 fort vol. in-8^ avec ûg. dans le texte. 20 fir.
PHILLIPS. Traité des maladlen des wolett nrliialres. 1860,
1 fort vol. in-8 avec 97 fig. intercalées dans le texte. 10 fr.
feUGHARD. Pratique Journalière de la ehimrsie. 1 vol. gr. in-8
aifec 215 fig. dans le texte. 2^ édit., 1880, augmentée de chapitres
inédits de l'auteur, et revue par le D' J. Craue. 16 Or.
^OTTENSTEIN. De ranesthésle chlrurslcale. 1 vol. in-8. 10 fr,
SCHWEIGGER. liCçonA d*ophtlialnio9eopie, avec 3 planches lith. et
des figures dans le texte. In-8 de 144 pages. 3 tr, 50
SCELBER6-WELLS. Traité pratique don maladies des yeux.
1873, 1 fort vol. gr. in-8 avec figures. Traduit de l'anglais. 15 fr.
VIRGHOW. Pathologie des tumeurs, cours professé à l'Université de
Berlin, traduit de l'allemand par le docteur Aronssohn.
Tome I". 1867, 1 voL gr. in-8 avec 106 fig. 12 fr.
Tome II. 1869, 1 vol. gr. in-8 avec 74 fig. 12 fr.
Tome m. 1871, 1 voL gr. in-8 avec 49 fig. 12 fr.
Tome IV. 1876 (1" fascicule), i gr. ia-8avec figures. 4 flr. 50
28 RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES.
YVERT. Traité praU^ve et ellBiqae des MeMMves da gMi
rœil, avec introduction de M. le D' Galezowski. i
gr. in-8. 1880.
Thérapeutique. — Pharmacie. — Hygiène.
BINZ. Abrégé de matière médicale et de tliérapeatlqae^ t
de rallemand par MM. Alquier et Courbon. 1872. 1 yoI. ia-
335 pages. 2 1
BOUGHARDAT. Traité d'hygiène publique et privée, bas<
TÉtiologie. 1882. 1 fort Tol. gr. in-8.
BOUGHARDAT. Mouveau Fermulaire magistral, précédé
Notice sur les hôpitaux de Paris, de généralités sur l'art de fora
suivi d'un Précis sur les eaux minérales naturelles et artific
d'un Mémorial thérapeutique, de notions sur l'emploi des c<
poisons, et sur les secours à donner aux empoisonnés et ai
phyxiés. 1881, 23® édition, revue, corrigée. 1 vol. in-18. 3
Cartonné à l'anglaise, à fr. — Relié. à
BOUGHARDAT. Formulaire vétérinaire, contenant le mode
tion, l'emploi et les doses des médicaments simples et con
prescrits aux animaux domestiques par les médecins vétéri
français et étrangers, et suivi d'un Mémorial thérapeu
3« édit i vol. in-18. (Sous presse,)
BOUGHARDAT. Manuel de matière médicale, de tbéri
tique comparée et de pbarmaele. 1873, 5® édition, S
gr. in-18. i
BOUGHARDAT. Annuaire de thérapeutique, de matière n
eale et de pharmacie pour 1991, contenant le résumé de
vaux thérapeutiques et toxicologiques publiés pendant V
1881. 1 vol. gr. in-32. ai* année. i 1
BOUGHARDAT. De la glycosurie ou diabète sucré, son t
ment hygiénique. 1875. 1 vol. grand in-8, suivi de notes et docui
sur la nature et le traitement de la goutte, la gravelle uriqut
l'oligurie, le diabète insipide avec excès d'urée, l'hippurie,
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GORNIL. lieçons élémentaires d'hygiène privée, rédigées d'
le programme du ministre de l'instruction publique pou
établissements d'instruction secondaire. 1873, 1 vol. in-18
figures. 2 1
RÉCENTES PUBLICATIONS MÉDICALES. 29
DESCHAMPS (d'Avallon). Compendlnm de pharmaeie pratique.
Guide du pharmacien établi et de rélève en cours d'études^ com-
prenant un traité abrégé des sciences naturelles^ une pharmacologie
raisonnée et complète^ des notions thérapeutiques, et un guide pour
les préparations chimiques et les eaux minérales; un abrégé de
pharmacie vétérinaire^ une histoire des substances médicamen-
teuses^ etc. ; précédé d'une introduction par M. le professeur Bou-
chardat. 1868, 1 vol. gr. in-8 de 1160 pages environ. 20 fr.
MAURIN. Formulaire magistral des maladies des enfants.
1 vol. in-18. (Sous presse.)
Anatomie. — Physiologie. — Histologie.
ALAVOINE. Tableaux du système nenrenx, deux grands tableaux
avec figures. 1878. 5 fr.
BAIN (Al.). lies sens et Tintelllgence, traduit de l'anglais par
M. Gazelles. 1873, 1 fort vol. in-8. 10 fr.
BASTIÂN (Charlton). lie eer veau, organe de la pensée. 2 volumes
in-8 avec figures, cart. à Tangl. 12 fr.
BÊRAUD (B. J.). Atlas complet d^anatomie etairurgicale topo-
graphique, pouvant servir de complément à tous les ouvrages
d'anatomie chirurgicale, composé de 109 planches représentant plus
de 200 gravures dessinées d'après nature par M. Bion, et avec texte
explicatif. 1865, 1 fort vol. in-4.
Prix : fig. noires, relié. 60 fr. — Fig. coloriées, relié. 120 fr.
Le même ouvrage, texte anglais. (Même prix.)
BÊRAUD (B. J.) ET ROBIN. Manuel de physiologie de l'homme
et des principaux vertébrés. 2 vol. gr. in-18, 2^ édition,
entièrement refondue. 12 fr.
BÊRAUD (B. J.) ET YËLPËAU. Manuel d'anatomie ehlrurgleale
générale et topographique. 2** éd., 1 vol. in-8 de 622 p. 7 fr.
BERNARD (Claude). lierons sur les propriétés des tissus vU
▼ants, avec 94 fig. dans le texte. 1 vol. in-8. 8 fr.
BERNSTËIN. I<es sens. 1877. 1 vol. in-8 de la Bibliothèque scient
intern.y avec fig., 2« édit. Cart. 6 fr.
CORNIL et RANYIER. Manuel d'histologie pathologique. 2<^ édi-
tion. 2 vol. in-8 avec de nombreuses figures dans le texte.
Tome I. 1 fort volume in-8. 15 fr.
Tome II. {Sous presse .)
FAU. Anatomie des formes du eorps humain, à l'usage des
peintres et des sculpteurs. 1866, 1 vol. in-8 avec atlas in-folio de
25 planches. Prix : fig. noires. 20 fr. — Fig. coloriées. 35 fr.
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glais par M. H. C. de Yarignj, arec 68 fig. dans le texte, 1878. 10 fr.
FERRIER. I«e« l«ealiMittMMi des ■uUiUUe* c ér éfcw rt cg- 1 vol
iii-8, traduit de l'anglais, par M. H. G. de Yaugitt. Suivi d'in
mémoire de MM. Charcot et Pitres sur les localisations motrieu
dans l'écorce det hémisphères du cerveau, 1 vol. in-8. 1879. 6 fr.
JAMAIN. %9Kwemm traité, éléneatalre ^Tsmaamw^e deMHpttve
•i «e prépAr*ti*B« ABAt^mHiaefl. 3« édition, 1867, 1 toI. grand
in-18 de 900 pages avec 223 fig. intercalées dans le texte. 12 fr.
Avec figures coloriées. 40 fr.
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ABiBuuix^ traduit de rallemand par le docteur Lahillonne. 1 fort
vol. in-8 avec 200 figures dans le texte. 1866. 15 fr.
L0N6ET. Traité de pliysiolosie- 3^ édition, 1873.3 v. gr. in-8avee
figures, 36 fr.
LUYS. I^e eerrean, ses ffonettoB*. 1 vol. in-8 de la Bihliothèqve
scient, intem,, 1879, 4« édit. avec fig. Cart. 6 fr.
IIAREY. Du mouTeiiient daB« le« ffonetlentf de la vne. 1868,
1 vol. in-8 avec 200 figures dans le texte. 10 fr.
MAREY. I«a maetaine animale. 1877, 2« édit., 1 vol. in-8 de la Bi-
bliothèque scientifique internationale. Cartonné. 6 fr.
PETTIGREW. lia loeomotlon eiiez les anlmaiix^ marche^ natation.
1 vol. in-8, avec figures. 6 fr.
ROBIN (Gh.) et POUGHET. Journal de l'anatamle et de la phy-
siolosie normales et pathologiques de l'homme et des animaux,
dirigé par MM. Je professeur Gh. Robin (de l'institut) et 6. Pouchet,
professeur au Muséum d'histoire naturelle, paraissant tous les deux
mois par livraison de 6 à 7 feuilles gr. in-8 avec planches.
Prix de l'abonnement, un an, pour Paris. 30 fr.
— — pour la France et l'étranger. 33 fr.
La livraison. 6 fr.
ROSEMTHAL. I^es nerfs et les muscles. 1 vol. in-8 avec 75 figures.
2* édit., 1878. 6 fr.
SGHIFF. liOçons sur la physiolosle de la digestion^ faites an
Muséum d'histoire naturelle de Florence. 2 vol. gr. in-8. 20 fr.
VULPIAN. lieçons de ptaysiolosie générale et comparée dn
système nerveux, faites au Muséum d'histoire naturelle, recueillies
et rédigées par M. Ernest Brémond. 1866, 1 vol. in-8. 10 Ar.
VULPIAN. I^eçons sur l'appareil ¥aso*motenr (physiologie et patho-
logie), reoueilUes par le D' H. Gartille. 2 vol. in-8. 1875. 18 fr.